Nous étions suspendus depuis mercredi à tous les communiqués de presse qui nous disaient en continu le drame que vivait l’Algérie sur le site gazier d’In Amenas. Et nous imaginions l’angoisse des quelque 850 travailleurs pris au piège, à celle de leurs familles et de leurs amis. Nous pensions aussi au peuple algérien tout entier qui après avoir vécu la décennie noire devait s’interroger : « Cela va-t-il recommencer ? »
Le 12 janvier j’avais terminé mon article publié sur ce blog, par cette phrase: « L’Algérie qui a payé un si lourd tribut dans les années 90 et rétabli la paix, est de nouveau directement menacée en raison des 1 400 km de frontière commune avec le Mali, donc difficile à sécuriser. » C’était le lendemain du déclenchement de l’intervention militaire française au Mali et…5 jours plus tard, des terroristes s’emparaient du complexe gazier. Nous avions été bien peu nombreux à mettre en garde contre les risques de déstabilisation que l’intervention de la France faisait courir à toute cette région. En peu de jours les faits malheureusement nous ont donné raison.
Non, décidément non, il ne fallait pas que l’ancienne puissance coloniale intervienne dans un conflit intérieur au Mali. La résolution 2085 du Conseil de sécurité de l’ONU, adoptée à l’unanimité le 20 décembre 2012, était sans ambiguïté : « (Point 10) Prie l’Union africaine, agissant en étroite coordination avec la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest[CEDEAO, ndlr], le Secrétaire général et les autres organisations internationales et partenaires bilatéraux intervenant dans la crise malienne, de lui faire rapport tous les 60 jours sur le déploiement et les activités de la MISMA [force militaire africaine, ndlr], y compris avant le lancement de l’offensive dans le nord du pays, en couvrant les points suivants : 1) progrès accomplis dans le déroulement du processus politique au Mali, en particulier dans l’élaboration de la feuille de route pour le rétablissement de l’ordre constitutionnel et dans les négociations entre les autorités maliennes et l’ensemble des parties qui dans le nord du Mali ont rompu tout lien avec les organisations terroristes ;… »
Ce fut le mérite de l’Algérie et de sa diplomatie d’avoir obtenu le 21 décembre 2012, du MPLA et de Ansar Dine, deux groupes de la rébellion touareg, « l’offre de cessation des hostilités » et l’engagement de négocier avec les autorités maliennes. Cependant la France était toujours résolue à intervenir militairement, comme les autorités françaises continuèrent à l’affirmer. Le 5 janvier 2013, la presse algérienne nous informait, je cite Le Quotidien d’Oran : « Mali, Ansar Dine reprend les armes. » et l’article précisait, citant un communiqué d’Ansar Dine : « Le gouvernement malien n’a jamais manifesté la moindre volonté de discuter avec (nous) et de régler les problèmes du nord du pays […] Il méprise cette offre [de cessation des hostilités, ndlr] à laquelle il n’a jamais répondu positivement». Le quotidien ajoutait : « Selon Sahara Médias, [ Iyad Ag Ghali, dirigeant d’Ansar Dine, ndlr ] accuse le pouvoir central de Bamako d’être à la solde de la France qu’il dénonce comme étant à l’origine du blocage des pourparlers de paix. »
Peu de médias en France ont fait état de cette information confirmée pourtant par M. Oumar Mariko, Secrétaire général du Parti de la Solidarité Africaine pour la Démocratie et l’Indépendance (opposition malienne) qui répondant à Pierre Barbancey (Humanité Dimanche, 17/23 janvier 2013) indique : « Du côté de la rébellion touareg, un accord a été signé entre une partie du Mouvement national de la libération de l’Azawad et Ansar Eddine (groupe islamiste, composé de Touaregs), paraphé au Burkina Faso. C’est à ce moment là que le président par intérim, Dioncouda Traoré, et son ministre des Affaires étrangères ont subitement changé de ton, en annonçant la fin de la concertation, et évoqué un recours à l’armée. »
Qui est Iyad Ag Ghali, le chef d’Ansar Dine ? C’est un rebelle touareg qui, à la tête du MPA (Mouvement Populaire de l’Azawad ( nord du Mali) a déclenché l’insurrection du 28 juin 1990. Le MPA était considéré comme un mouvement islamiste modéré. Le 21 novembre 2007, Iyad Ag Ghali sera nommé Conseiller consulaire en Arabie Saoudite, par le Président du Mali, Amadou Toumani Touré (ATT), sous le gouvernement Modibo Sidibé qui, l’un et l’autre, ont été arrêtés les 21 et 22 mars 2012 lors du coup d’Etat du Capitaine Sanogo. Iyad Ag Ghali était « un interlocuteur valable », de même que le MPLA.
L’Algérie était donc fondée à poursuivre les discussions avec ces deux mouvements afin de les séparer des groupes terroristes AQMI et MUJAO. Ecoutez sur Youtube, l’interview du 19 août 2012, de Mme Aminata Traoré, ancienne Ministre malienne de la Culture qui défend cette option dans l’intérêt de son pays. C’est la stratégie qui avait été appliquée en Algérie par le Président Bouteflika avec la politique de Réconciliation Nationale qui consistait à séparer le bon grain de l’ivraie et qui a mis fin à la décennie noire. En refusant la négociation et en ayant demandé à la France (sur pression de celle-ci ?) d’intervenir militairement, le Président du Mali par intérim - donc sans legitimité populaire - porte une lourde responsabilité.
Une fois l’opération militaire française engagée, que pouvait faire l’Algérie ? Une chose est de ne pas y participer, conformément à sa doctrine constante depuis l’Indépendance, de non-intervention dans les affaires des Etats. Autre chose aurait été de s’y opposer alors que la « communauté internationale » approuve cette intervention. Pouvait-elle dès lors interdire aux Rafales français le survol de son territoire ? Personnellement, je ne le pense pas. Cependant l’engrenage était en place et elle allait en subir immédiatement les conséquences.
Que n’a-t-on entendu depuis la prise d’otages, sur le refus de l’Algérie de négocier et sur sa brutalité supposée dans le traitement de ce type de situation. Il faut n’est-ce pas, continuer à instiller dans l’esprit des lecteurs et des téléspectateurs que les Algériens sont des barbares. Combien de spécialistes autoproclamés de l’Algérie ont défilé sur le petit écran, tranquillement installés le cul sur leur chaise, à 2000 km du théâtre des opérations que la plupart d’ailleurs ne connaissaient pas, pour critiquer d’un ton docte l’armée algérienne. Le quotidien régional Midi Libre rougit-il aujourd’hui d’avoir titré le 18 janvier sur toute la largeur d'une page : « Otages sacrifiés en Algérie». C’est vrai le bilan est lourd, très lourd. On sait aujourd’hui qu’il s’établit à 23 otages et 32 terroristes tués, mais 685 otages ont été libérés dont 107 étrangers. Les plus hautes autorités françaises, y compris les responsables militaires ont loué la résolution et le savoir-faire de l’Armée algérienne. Jean-Pierre Chevènement pour sa part vient de saluer le courage des militaires algériens, dont personne ne parle, alors qu’ils ont dû faire face à une situation dangereuse et d’une extrême complexité, aggravée par la présence du gaz. Je m’associe à ses paroles. Sans doute également en saura-ton un jour un peu plus sur l’héroïsme des ingénieurs qui, dit-on, se sont opposés aux terroristes qui voulaient faire exploser les installations gazières.
Un engrenage dangereux est enclenché qui concerne tous les pays du champ. Où s’arrêtera-t-il si les grandes puissances économiques et les organismes internationaux ne modifient pas leur politique à l’égard des pays sous-développés. Ce n’est pas la guerre qui résoudra la misère et les frustrations qui sont à l’origine de beaucoup de trafics et du terrorisme dans le monde.
Bernard DESCHAMPS, 20 janvier 2013