Je reviens d'Alger où j'ai participé aux cérémonies commémoratives du 1er novembre 1954. Mon dernier voyage remontait à l'automne 2010. J'avais hâte de me rendre compte sur place, de l'atmosphère régnant en Algérie, après les émeutes du 5 janvier 2011 et les bouleversements intervenus dans plusieurs pays arabes. Qui plus est, à la veille d'une élection législative, en 2012, qui s'annonce importante.
Arrivé lundi 31, en début d'après-midi à Alger, je me suis retrouvé immédiatement au milieu de la foule qui attendait l'inauguration du métro (le second en Afrique après celui du Caire). Les rues autour de la Grande Poste et les marches de la Grande Poste elle-même, étaient envahies par les Algérois qui se pressaient sur plusieurs rangs derrière les barrières de sécurité. Une foule joyeuse, au milieu de laquelle déambulaient de nombreux policiers en tenue mais sans armes. Bien sûr, une partie de cet accueil populaire était organisé, comme en témoignaient les portraits du Président, tous identiques, portés par des jeunes de 14, 15 ans. Mais la plupart des personnes présentes , à l'évidence, étaient venues spontanément "pour voir le Président', comme j'ai pu m'en rendre compte, en parlant avec les uns et les autres et comme l'ont manifesté les youyous qui l'accueillirent à sa sortie du métro. Je ne crois pas enjoliver la réalité en disant cela. Des journaux, le lendemain, ont parlé "d'un bain de foule timide". Certes, Alger est une immense métropole de plus de 2 millions d'habitants. C'est donc à l'aune de ce chiffre qu'il faut apprécier l'ampleur des rassemblements populaires. Il y avait vraiment beaucoup de monde. Et cela était d'autant plus remarquable, que 5 inaugurations ou poses d'une première pierre, avaient lieu ce même après-midi, avec, chaque fois, une assistance nombreuse.
J'ai été frappé de la joie ambiante (il y a des regards qui ne trompent pas) que j'ai ressentie, à nouveau , le lendemain, en prenant le métro tout neuf. Simple curiosité, comme l'ont écrit plusieurs commentateurs ? Il y avait sans doute de cela, mais aussi autre chose. Le métro est reçu par les Algériens, non pas comme "un jouet", mais comme un signe. Le signe des changements en cours, qu'ils espèrent et dont ils souhaitent qu'ils voient le jour dans le calme. Après la décennie de sang, c'est une aspiration très profonde .
La revue Jeune Afrique (éditée en France) de la semaine du 1er novembre, écrit que "le mouvement [les émeutes du 5 janvier, ndlr] ne fédère pas. Pis, il provoque le désaveu populaire." La population n'a pas, non plus, participé aux "marches" du samedi, dont l'échec n'est pas dû uniquement à la présence des forces de police. Au cours de mon séjour, j'entendrai, à plusieurs reprises, des militants de l'opposition affirmer que les Autorités algériennes ont eu la bonne attitude à l'égard des émeutes de janvier. Il y eut malheureusement cinq morts - cinq morts de trop - mais beaucoup reconnaissent que la police, qui eut de nombreux blessés, fit preuve de retenue; l'état d'urgence, en vigueur depuis 1992, fut abrogé et le gouvernement adopta très rapidement des mesures de contrôle des prix des produits alimentaires de première nécessité.
Des augmentations de salaires significatives ont été accordées dans la fonction publique, en réponse aux actions revendicatives qui se sont développées impétueusement depuis deux ans et le salaire minimum (SNMG) est passé de 15.000 DA (146 €) à 18.000 DA (175 €). Il sera encore augmenté le 1er janvier 2012. Et puis, il y a les chantiers. L'Algérie est un immense chantier (de construction de logements notamment). Y compris celui de la future Grande Mosquée, critiquée par l'opposition laïque, est reçu avec fierté par la majorité de la population. Dans le même temps, une partie importante de la jeunesse (la moitié de la population a moins de 25 ans) vit, faute d'emplois, de "l'économie informelle", et dépend pour cela des gros importateurs algériens. L'ensemble de la population algérienne balance entre le doute et l'espoir (elle a tellement souffert de l'après-1988), mettant en cause, non pas le Président, mais "le système", sans bien définir ce qu'il recouvre. Un des signataires du dossier sur l'Algérie de l'hebdomadaire Jeune Afrique, écrit : "La personne du Président n'a pas été remise en question", "Le chef de l'Etat a lancé [le 15 avril dernier, ndlr] un processus de réformes. A son rythme et dans la concertation."
Je reviendrai sur les projets de lois soumis par le Gouvernement (et critiqués par les partis d'opposition), qui doivent être adoptés par le Parlement avant la fin de cette législature et qui concernent : un nouveau régime éléctoral; les partis politiques; les associations; la place des femmes dans les assemblées élues; la fin du monopole d'Etat sur la télévision (projet qui aiguise les appétits de grands groupes industriels, commerciaux ou financiers). Les journaux de ces derniers jours (la plupart sont d'opposition), font état des débats houleux en commissions et en séances plénières de l'Assemblée Nationale Populaire, jusqu'alors considérée comme une chambre d'enregistrement. Il apparaît que ce n'est pas, ou plus, le cas.
Comme tous les pays, l'Algérie est sous la pression des organismes financiers, FMI, Banque Mondiale et de l'Union Européenne qui veulent lui imposer les privatisations et "la concurrence libre et non faussée" (qui est un danger mortel pour les pays du Sud ). Depuis les années 80, l'Algérie s'est convertie à l'économie de marché. Abrogeant les lois qui avaient instauré les embryons de "socialisme" des années post-indépendance. Pourtant certains - y compris à gauche - lui reprochent d'être restée au milieu du gué et de ne pas aller au bout de sa conversion. Ce débat traverse tous les milieux. Y compris à la tête de l'Etat. Mais, depuis deux ans , au sein même du gouvernement, les partisans du "patriotisme économique" sont plus présents et se font plus insistants. Ce qui explique, pour une bonne part, la condescendance et la méfiance des instances internationales. Cependant, l'Algérie n'ayant pas de dette à l'égard de ces instances, peut se permettre de refuser leurs diktats.
Depuis les interventions de la France en Côte d'Ivoire et de l'OTAN en Libye, une inquiétude est perceptible parmi la population qui a le sentiment d'assister à un processus de reconquêtes coloniales. Les Algériens ont, dans leur immense majorité, mal vécu la mort programmée de Kadhafi. Et si l'Algérie était à son tour menacée ? Le Peuple algérien est profondément patriote. Un patriotisme, un attachement à la souveraineté de leur pays, forgés dans les durs combats de la Guerre d'Indépendance. Si, par hypothèse (absurde ?) l'OTAN avait des vélléités de s'attaquer à ce grand pays, et si les conditions en étaient créées, sous je ne sais quel prétexte, je suis persuadé que la Nation algérienne, tout entière, ferait bloc.