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2 décembre 2013 1 02 /12 /décembre /2013 10:47

ali-harounSorti des presses en septembre 2013, le dernier ouvrage d’Ali Haroun LE REMPART, passionnera, j’en suis certain, celles et ceux qui s’intéressent à l’histoire récente de l’Algérie et notamment les jeunes Algériens si avides de connaître l’histoire de leur pays. LE REMPART, en effet, analyse avec minutie la période cruciale marquée par « l’interruption du processus électoral » en 1992 et l’action du Haut Comité d’Etat qui, à la suite de la démission du Président Chadli, fit fonction de Présidence collégiale de la République du 14 janvier 1992 au 30 janvier 1994 en pleine tourmente terroriste déclenchée par le FIS (Front Islamique du Salut).

Les lecteurs de ma génération connaissent Ali Haroun ; les jeunes, au sud comme au nord de la Méditerranée, peut-être moins. Quelques mots donc sur l’auteur. Né en 1927, après l’école primaire et secondaire en Algérie, il fait son droit en France à Panthéon-Sorbonne où il obtient son Doctorat d’Etat. Il s’engage dès 1954 dans le combat pour l’indépendance  de l’Algérie et devient un des dirigeants de la Fédération de France du FLN dont il écrira l’histoire dans un ouvrage qui fait autorité La 7e wilaya. Entre autres responsabilités, Ali Haroun participa en 1956-1957 à la rédaction clandestine d’El Moudjahid. A l’indépendance, en1962-1963, il est député à l’Assemblée Constituante. Il se consacrera ensuite à sa profession d’avocat au barreau d’Alger et à la Cour Suprême et ne renouera avec la politique active que le 18 juin 1991, date à laquelle il est nommé Ministre délégué aux Droits de l’Homme dans le gouvernement de Sid Ahmed Ghozali, sous la Présidence de Chadli Bendjedid. Il sera un des cinq membres du Haut Comité d’Etat qui assurera la présidence collective.

Rappel chronologique. Les candidats du FIS ont remporté en 1990 les élections locales dans les APC (Assemblées Populaires Communales) et après leur succès au premier tour des élections législatives le 26 décembre 1991, ils sont en passe d’obtenir la majorité à l’Assemblée Populaire Nationale lors du deuxième tour qui doit avoir lieu le  16 janvier 1992. Le 11 janvier 1992, les élections sont annulées et le Président Chadli démissionne. Le 14 janvier est créé le Haut Comité d’Etat (HCE). Ali Haroun fut chargé, en raison des liens d’amitié qui les unissaient depuis longtemps, de convaincre le dirigeant « historique » de la révolution Mohammed Boudiaf exilé au Maroc, de revenir en Algérie pour prendre la tête du HCE. Ce que de nombreux commentateurs en Algérie et à l’étranger ont qualifié de « coup d’Etat militaire ».

Ali Haroun témoigne : face au déchaînement de la « terreur djihadiste » et aux risques qu’une victoire assurée du FIS aux élections nationales faisaient peser sur l’avenir de l’Algérie que fallait-il faire ? Il s’attache à  démontrer que la démission du Président Chadli, persuadé que son retrait favoriserait le dénouement de la crise, fut le résultat d’une réflexion personnelle et non d’une pression de l’armée. Ce que Chadli affirmera jusqu’à sa mort, y compris lorsqu’il séjournera en Belgique pour des soins médicaux. L’auteur analyse le processus de création du Haut Comité d’Etat auquel les 3F (FLN, FFS et FIS) étaient hostiles, pour en démontrer la conformité avec la Constitution de l’Algérie. Enfin, et ce n’est pas le moins important, il nous fait juge du dilemme auquel les dirigeants algériens furent confrontés : « Fallait-il par respect du processus électoral accepter la mort de la démocratie ? Dans la vie des hommes comme dans celle des peuples, il est des moments où la légitimité prime la légalité. » Grave question à laquelle il répond : « Il était [donc] assurément légitime d’interrompre l’élection, pour éviter au pays le retour aux mœurs sclérosées et aux pratiques inhumaines des temps écoulés. » (P. 17) Il sera, par la suite chargé ainsi que d’autres membres du HCE, notamment Redha Malek un des négociateurs des Accords d’Evian, d’aller expliquer cette position dans plusieurs capitales étrangères : Berlin, Bruxelles,  Copenhague, La Haye, Madrid, Montréal, New York, Stockholm, Vienne… Il indiquera notamment que si, en 1933, l’Allemagne s’était opposée à l’accession d’Hitler au pouvoir, en dépit de la victoire électorale de celui-ci, le sort du monde en eut été changé. On apprend à cette occasion que des responsables tels que Jacques Delors, Félipe Gonzalès et l’ancien Secrétaire général de l’ONU Kurt Waldheim, approuvèrent cette position, alors que la France, dans le même temps accordait des visas de complaisance aux chefs terroristes et devenait une de leurs bases arrière, tandis que le bureau de l’Agence France Presse à Alger était « un véritable relai du FIS ». 

Le 9 février 1992, le HCE décrète l’état d’urgence qui permet au Gouvernement et au ministre de l’Intérieur de « prendre les mesures de préservation ou de rétablissement de l’ordre public. » et de « prononcer le placement en centres de sûreté, dans un lieu déterminé, de toute personne majeure dont l’activité s’avère dangereuse pour l’ordre public. » Ali Haroun fait état de « 7 375 internés dont 3 004 à Reggane ; 1 590 à Ouargla et 1 000 à In Salah… » (P.62) et il s’élève contre les accusations de torture en précisant que la Croix Rouge et Amnesty International avaient accès à ces lieux d’internement et tout loisir d’interroger les prisonniers.

Ali Haroun rappelle le climat de haine que faisait régner le FIS au moment du meurtre du Président du HCE  le 29 juin 1992 à Annaba. Il publie des photocopies de tracts appelant à éliminer physiquement les membres du HCE. Contrairement à une opinion largement répandue, aucune preuve jusqu’à ce jour n’a été apportée que l’assassinat par un garde du corps de Boudiaf ait été commandité. Par contre cet acte s’inscrivait dans un climat poussé au paroxysme et auquel un certain nombre de militaires, y compris des gradés, succombèrent.

L’ouvrage se termine sur la désignation  unanime le 30 janvier 1994 par le Haut Comité de Sécurité du ministre de la Défense le Général  Liamine Zeroual comme Président de la République pour la période de transition jusqu’à l’élection présidentielle. Celui-ci n’était pas candidat à cette responsabilité pour laquelle il pensait n’avoir aucune compétence et il se fit beaucoup prier. Sa désignation fut ratifiée par 61, 34%  des votants lors de l’élection très ouverte de 1995.     .

Le bilan que fait Ali Haroun des deux années d’existence du Haut Comité d’Etat est mitigé. Il convient que « la sécurité n’a pas été rétablie », mais pour autant son action ne fut pas un échec. La création du HCE a permis d’éviter un vide du pouvoir et il cite l’opinion d’un ancien ambassadeur du Japon en Algérie dont on peut penser qu’il fut un observateur objectif et qui écrit : « le peuple algérien fut placé devant un choix difficile : fallait-il accepter de jouer la carte de la démocratie en continuant le processus électoral qui aurait abouti à l’établissement d’un Etat islamique, ou opter fondamentalement pour la démocratie, considérant que l’Etat islamique ne peut être démocratique et, auquel cas, il devenait nécessaire d’interrompre le processus électoral […] Dans le cas de l’Algérie, je puis dire que l’intervention de l’armée n’était pas un coup d’Etat au sens traditionnel […] Il faut également rappeler que l’armée est une institution étatique authentique, et les militaires issus du peuple. On ne peut à priori l’accuser d’être antidémocratique. » (P. 294-295) 

Le HCE, présidence collégiale de la République ne limita pas son action à la sécurité, il impulsa une politique globale que le gouvernement Ghozali mit en œuvre et qui, après les années d’économie dirigée sous Houari Boumédiène, confirma l’engagement de l’Algérie sur la voie de l’économie de marché. Mais c’est une autre histoire…

Au total, un livre utile qui suscite réflexion et débats ; un livre qu’il faut lire absolument.

Bernard DESCHAMPS, 1er décembre 2013.

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