C'est l'histoire de deux trajectoires familiales différentes qui aboutissent à un projet identique commun: la participation aux combats au sein du FLN pour l'Indépendance de l'Algérie, puis à la construction du nouvel Etat.
"Elevé dans une ambiance de christianisme social, Pierre intériorisa de bonne heure sa foi et puisa dans son éducation une idée intransigeante de la justice. Quant à Claudine, elle est issue d'une vieille famille républicaine: grands-parents instituteurs, fervents de l'école laïque; une mère professeure et un père officier aux convictions démocratiques bien ancrées." écrit dans la préface M. Rédha Malek qui fut un des négociateurs des Accords d'Evian et Premier ministre en 1993/94.( il avait longuement reçu notre groupe de France-El Djazaïr lors du voyage de 2006)
Pierre a fait des études de médecine. Claudine des études de sociologie et d'ethnologie. Ce sont les hasards des changements d'affectation du père de Claudine qui ont conduit celle-ci en Algérie où elle a rencontré son futur mari qui lui y est né. Les lecteurs qui s'intéressent aux politiques de santé de l'Algérie après 1962, liront avec intérêt les informations précises et nombreuses que donne à ce sujet Pierre Chaulet qui fut un des principaux artisans de la lutte contre la tuberculose. Et ceux (et celles) qui s'intéressent aux problèmes de l'agriculture algérienne trouveront dans les pages rédigées par Claudine Chaulet des précisions et des révélations sur les politiques mises en oeuvre ou avortées et sur les obstacles rencontrés.
Claudine et Pierre Chaulet, on le sait, ne furent pas de simples observateurs bienveillants de la guerre pour l'Indépendance. Ils en furent des acteurs très engagés. Leur proximité amicale avec Abane Ramdane qui, avec Larbi Ben M'Hidi, unifia la résistance au Congrès de la Soummam (20 août 1956) les amena à prendre des risques hors du commun. C'est Claudine, Pierre ayant été arrêté, qui évacua Abane Ramdane hors d'Alger en 1957, lui évitant ainsi l'arrestation, la torture et la mort qui allait être le sort de Larbi Ben M'Hidi. Ce sont également les Chaulet qui transportèrent clandestinement le document original de la Plate-forme de la Soummam caché dans les langes de leur fils Luc. Au fil des pages, ils rendent hommage aux femmes et aux hommes qu'ils côtoyèrent au cours des huit années de guerre imposées par des dirigeants français sourds aux légitimes aspirations du peuple algérien; le psychiatre et militant Frantz Fanon, Salah Louanchi, beau-frère de Pierre et un des dirigeants de la Fédération de France du FLN, le Professeur André Mandouze, l'abbé Jean Scotto, Mgr. Duval, le Père Teissier...
Cette relation à deux voix couvre la totalité de la période allant des prémices du 1er novembre 1954 à l'année 2008, donc de la guerre d'indépendance et des premiers pas de la jeune République Algérienne Démocratique et Populaire, au coup d'état militaire de Houari Boumedienne en 1965 qui destitua et emprisonna Ahmed Ben Bella, aux réalisations marquantes qui suivirent jusqu'à la conversion à l'économie de marché en 1989, à la terrible épreuve de la décennie de sang, puis à la politique de Réconciliation Nationale.
Militant du FLN, puis un temps de l'ANR créée par Rédha Malek, Pierre Chaulet ainsi que Claudine se tinrent toujours à distance des conflits de personnes et des luttes pour le pouvoir et poursuivirent inlassablement la voie qu'ils s'étaient tracée et qui était celle de la Soummam: bâtir une Algérie démocratique et sociale. Lorsqu'ils formulent une critique, ce n'est jamais de façon unilatérale. Les Chaulet soulignent au fil des pages les acquis de l'Algérie indépendante en matière de santé, dans l'enseignement, etc, notamment sous Boumedienne auquel ils ne faisaient pourtant pas confiance au départ. S'ils sont parfois critiques, ils ne visent pas tel ou tel dirigeant, mais les conditions qui ont conduit à des erreurs, des fautes, des dérives et parmi ces conditions défavorables, celles laissées par 132 ans d'occupation coloniale. Ils dénoncent également les pressions exercées par le FMI, la Banque Mondiale et les milieux de la finance internationale. Ils ont combattu la montée de l'islamisme radical et ils ne sont pas tendres avec les propagandistes du "Qui tue qui?" et avec les initiateurs, d'inspiration catholique, de la rencontre de Sant'Igidio qui flétrissaient l'armée algérienne et dédouanaient les islamistes de leurs crimes. Ils sont réservés sur la politique de Réconciliation nationale et surtout ils s'inquiètent des progrès de l'individualisme et de la séduction du néo-libéralisme auprès de la société algérienne. Prenant de la hauteur, ils replacent ces dérives dans le contexte mondial actuel marqué par l'offensive d'un capitalisme débridé (ils n'emploient pas le mot, mais celui de libéralisme) et ils affirment leur confiance dans la capacité du peuple algérien qui a surmonté tellement d'épreuves, à frayer sa propre voie dans le monde d'aujourd'hui dans le restect des valeurs qui ont fondé sa révolution. Je partage leur optimisme.
- Pierre et Claudine Chaulet, LE CHOIX DE L'ALGERIE, DEUX VOIX, UNE MEMOIRE, Préface de Rédha Malek,Editions Barzkh, Alger, février 2012.