J'ai bien connu Georges, en tant que dirigeant politique et comme ami. Il est souvent venu dans le Gard pour des meetings qui étaient, chaque fois, d'immenses succès populaires. J'ai d'ailleurs conservé une photo sur laquelle nous sommes ensemble avec Jean Kanapa, un autre grand ami qui lui aussi fut un familier de notre département. Mes premières rencontres avec Georges Marchais remontent aux années 70, quand je suis devenu membre du secrétariat fédéral du PCF, chargé de la communication (on disait alors "la propagande"). Les réunions que nous avions périodiquement à Fabien, au siège du Comité Central, étaient toujours d'une grande richesse. Ses interventions avaient la capacité de nous ouvrir des perspectives nouvelles et stimulaient notre réflexion. Je me souviens notamment d'une réunion en 1972, peu après la signature du Programme Commun de la Gauche, pour la conclusion duquel il s'était tellement engagé et qui soulevait notre enthousiasme (nous en avons alors vendu des milliers d'exemplaires dans le département). Il nous dit à cette occasion,"Si ça ne marche pas, il faudra complètement réviser notre stratégie", expliquant combien était fragile un accord réalisé "en haut" et non le résultat d'un puissant mouvement populaire, bien que celui-ci ait été associé à son élaboration. J'avais été - nous avions été - surpris de cette remarque, car nous étions alors convaincus que "cela" ne pouvait pas échouer et que c'était la seule voie possible pour changer de politique en France. Georges avait cette capacité d'anticipation: très engagé dans la réussite du présent, il pensait toujours "au coup d'après". La marque d'un grand dirigeant qui accéda à la direction du PCF à une époque oû le reflux du communisme était amorcé depuis plusieurs années. Quand il fut élu Secrétaire Général du Parti, après en avoir été le secrétaire général adjoint aux côtés de Waldeck Rochet, nous voyions en lui le militant ouvrier capable de mettre notre parti à l'offensive. Ce fut le cas. C'est sous sa direction que fut entreprise la modernisation du PCF. La fin du "centralisme démocratique", qui était plus centraliste que démocratique, c'est lui. L'eurocommunisme et notre prise de distance avec l'Union Soviétique, c'est également lui. Ce qui fera apparaître encore plus dommageable l'interview au cours de laquelle il se fit piéger à Moscou et approuva l'intervention militaire soviétique en Afghanistan. Il formait, lui l'ancien ouvrier métallurgiste issu du mouvement syndical, un binôme étonnamment complémentaire avec l'intellectuel de haut niveau d'origine bourgeoise que fut Jean Kanapa qui aida notre fédération durant les années 1976, 77 et 78, alors que j'étais secrétaire fédéral. Une admiration et une confiance réciproques les unissaient. Georges, l'autodidacte admirait la vaste culture de Jean, et Jean était conquis par le sens de classe et la culture ouvrière de Georges. Cette période, jusqu'au décès de Jean en 1978, fut extraordinairement féconde pour le PCF. En 1978, Georges fut heureux de mon élection à l'Assemblée Nationale. D'autant que cette année là, les quatre députés du Gard furent communistes: Adrienne Horvath, Emile Jourdan et Gilbert Millet. Situation remarquable, alors qu'à l'échelle nationale, ce ne fut pas un succès pour le PCF. En 1981, je fus devancé au 1er tour des législatives par le candidat socialiste Georges Benedetti, en faveur duquel je me désistai pour barrer la route à la droite. Après l'élection, j'acceptai de devenir collaborateur du groupe des députés communistes à l'Assemblée Nationale. Ce fut une période d'activité intense au cours de laquelle nous tentions d'infléchir le plus possible à gauche, la politique du gouvernement de Pierre Mauroy, sous la présidence de François Mitterrand. J'étais alors chargé de suivre la loi sur les nationalisations, en liaison avec la section économique du comité central aux travaux de laquelle je participais. Georges Marchais était un député assidu et, lorsqu'il passait au "groupe", il ne manquait pas de s'enquerrir de l'avancement de la loi. Par la suite, membre du comité central de 1987 à 1996, j'eus encore plus souvent l'occasion de le rencontrer et d'échanger avec lui.
La gouaille et la combativité de Georges faisaient merveille à la télévision, média qu'il apprit très vite à maîtriser. Nous n'avons plus depuis retrouvé les mêmes audiences. Ses successeurs étaient pourtant talentueux, mais les temps avaient changé. J'en profite pour rectifier une erreur (volontaire ?) Georges n'a jamais prononcé les paroles qu'on lui prête: "Elkabbach, taisez-vous". C'est une invention journalistique. Il était certes très offensif à l'égard des journalistes de télévision, n'hésitant pas à leur demander le montant de leur salaire. Mais il ne fut jamais injurieux. L'inverse n'a pas toujours été le cas. A cet égard il souffrit terriblement de la campagne nauséabonde déclenchée contre lui à propos de son départ comme travailleur en Allemagne pendant la guerre, à une époque où il n'était pas encore un militant. Il en souffrit d'autant plus qu'il était désormais le premier responsable du "Parti des fusillés", dont le passé et l'histoire lui tenaient à coeur. Cela le marqua profondément, en dépit du soutien d'anciens dirigeants de la Résistance communiste comme Gaston Plissonnier qui fut le responsable clandestin de la zone sud. Car Georges était un sensible qui cachait parfois sous des airs bravaches, cette sensibilité. Très attentif à la situation de chaque camarade, il pouvait, par contre, être brutal lorsque sa confiance avait été trompée. Est-il le seul ?
La fédération du Gard - je ne me souviens plus en quelle année - organisa, dans notre jardin à Nîmes, rue de Montaury, une grande réception avec Georges. Plusieurs centaines de participants étaient présents. C'était en pleine tourmente médiatique contre lui et j'entends encore une jeune camarade lui dire: "Georges, tiens le coup". Les larmes lui montèrent aux yeux...Ainsi était Georges Marchais.
Bernard DESCHAMPS
16 novembre 2012