Il faut savoir gré à François Charcellay de consacrer dans Midi Libre de ce 28 juillet, une page entière à la mémoire d’une personnalité injustement oubliée alors qu’elle a révolutionné les pratiques éducatives à l’égard des jeunes délinquants et par la suite des enfants autistes.
Jeune instituteur, issu de l’Ecole normale de Parthenay en 1952, j’avais deux modèles : Célestin Freinet et Fernand Deligny. Les « maîtres d’école » (c’est le titre d’un très beau roman de Pierre Gamarra) joueront un rôle important dans ma vie. C’est également le Journal d’un autre instituteur, Mouloud Feraoun assassiné par l’OAS le 15 mars 1962, qui sera plus tard mon livre de chevet.
J’avais été enthousiasmé par Graine de crapule écrit en 1943 par Fernand Deligny :
« Il faut savoir ce que tu veux.
Si c’est te faire aimer d’eux, apporte des bonbons. Mais le jour où tu viendras les mains vides, ils te traiteront de grand dégueulasse.
Si tu veux faire ton métier, apporte leur une corde à tirer, du bois à casser, des sacs à porter.
L’amour viendra ensuite, et là n’est pas ta récompense. […]
Sais-tu chanter, improviser une histoire de pirates, marcher sur les mains, imiter les cris d’animaux, dessiner sur les murs avec un morceau de charbon ?
Alors tu auras de la discipline. »
Ecrire cela en 1943, sous l’occupation nazie, sonnait avec impertinence et m’avait séduit. Ce refus du paternalisme, ce respect de l’autre qui est différent, l’effort de se mettre à sa portée pour le comprendre, m’inspireront ma vie entière et pas seulement dans ma vie professionnelle. Fernand Deligny comme Célestin Freinet, bousculaient des conceptions, des habitudes, des pratiques. Ils ne furent évidemment pas compris d’emblée. Ils rencontrèrent beaucoup d’obstacles. C’est le lot des novateurs. L’un et l’autre ont un temps été membres du Parti Communiste Français. Leur démarche que l’on peut qualifier de libertaire suscitait parfois des réserves dans le parti. Je n’ai cependant pas le souvenir que Fernand Deligny en ait été "viré quatre ou cinq fois", comme l’affirme Jacques Lin. Il faudrait vérifier dans les archives du comité central. Elles peuvent être consultées aux Archives départementales de Seine Saint Denis. Ce n’est pas impossible, encore qu’on ne puisse être exclu qu’une fois. Les pratiques étaient dures en ces temps de « guerre froide », mais c’est du Parti communiste Français qu’il se sentit sa vie durant le plus proche et ce sont les communistes et la CGT qui lui apportèrent avec d'autres (Hervé Bazin et François Truffaut notamment) aide et soutien. C’est également un vice-président communiste du Conseil général du Gard qui, avec l’aide du service d’action sociale du département, mit en place une convention préservant le caractère « hors-norme » du « lieu de vie », et inscrivant celui-ci dans une démarche de service public, ce qui permit le maintien de la structure alors menacée des Graniès à Monoblet.
Fernand Deligny est mort en 1996. Nous n’étions pas dix à Saint-Martin-de-Valgalgues pour son incinération et je revois son cercueil sur lequel était sobrement déposée une fleur de chardon sa fleur préférée. Un seul élu était présent et c’était un élu communiste.
Bernard DESCHAMPS
28 juillet 2013.