Habitant Nîmes, c’est à…Paris, au Musée d’Art Moderne que j’ai vu pour la première fois des œuvres du nîmois Claude Viallat. J’avoue ne pas avoir été conquis d’emblée. La grande bâche exposée dérangeait mes confortables habitudes esthétiques car j’en étais resté à Picasso qui, en son temps, avait lui aussi bousculé notre vision impressionniste du monde qui elle-même, etc. Depuis, j’ai peu à peu pris plaisir à ses créations. J’attendais donc avec impatience de pouvoir aller découvrir la rétrospective que lui consacre le Musée Fabre de Montpellier. Je n’ai pas été déçu, c’est un festival d’inventivité et de couleurs.
De ses premiers tableaux peints à Aubais dans la manière et les tons de Cézanne et d’Auguste Chabaud (que j’aime), à ses dernières tentures et foulards de 2014, en passant par sa passion des cordes, des nœuds, épissures et coulisseaux, des bois travaillés et peints, on suit avec intérêt son évolution et notamment son passage aux premières empreintes colorées autour de 1966. D’autres créateurs, rompant avec l’académisme de leur temps, se sont emparés de techniques et de démarches forgées par des traditions populaires pour inventer des formes nouvelles, un art nouveau. On pense à Picasso, aux Cubistes et aux arts primitifs africains, à Piet Mondrian… Nul ne sera surpris que j’évoque aussi Mohammed Khadda, le rénovateur de la peinture algérienne contemporaine, rejetant l’orientalisme et puisant son inspiration dans la graphie et les couleurs des peintres, des céramistes, des lissiers arabes et berbères. C’est la démarche empruntée par Claude Viallat à un moment de sa vie et qu’il n’a cessé d’enrichir depuis. Claude Viallat, Camarguais, s’est inspiré de la tradition des empègues, ces dessins au pochoir déposés sur l’encadrement des portes de nos habitations lors des fêtes locales.
La forme de son empreinte colorée, devenue célèbre, est due au hasard. Il l’a voulue ainsi pour s’affranchir de toute pression figurative. Tout en continuant à peindre sur divers supports, des taureaux, des raseteurs, des toréadors… Ses supports ! Surfaces peintes détournées de leur destination : draps, bâches militaires, bâches de cirques, tauds de bateaux, rideaux, foulards imprimés, etc. Son imagination et la ressource sont inépuisables et ce qui frappe dans l’exposition du Musée Fabre, c’est sa capacité à se renouveler. Chaque pièce est différente. La forme de l’empreinte est toujours la même et sa disposition est répétitive, mais sa couleur varie à l’infini, ce qui créé un sentiment de joyeuse explosion colorée. La plénitude étant atteinte avec les toiles monumentales des dernières salles.
Petit retour en arrière. En 1957, Claude Viallat peint sur toile, La guerre, dans toute son horreur. L’affrontement Est-Ouest (la « guerre froide ») est maximum. Trois pays possèdent l’arme atomique, les USA, l’Union Soviétique et, depuis le mois de mai, la Grande Bretagne. Nous sommes à la merci d’une catastrophe thermonucléaire, soit par accident ou pire en cas de guerre ouverte qui entraînerait la fin de l’humanité. Des avions américains chargés de bombes atomiques sillonnent le ciel en permanence avec les risques d’accidents majeurs que cela implique. L’angoisse est si présente que nul, même non politisé, ne peut y échapper.
Claude Viallat effectuera son service militaire en 1959 et 1960 en Algérie à Constantine. L’indépendance de l’Algérie et la Paix ne sont pas encore en vue. On dit qu’il fut très troublé par cette guerre et qu’il peignit alors une multitude de petits sujets. Il serait intéressant de voir dans quelle mesure ces sujets reflétèrent son trouble.
La production de Claude Viallat est si foisonnante, que je ne me risquerai pas à décrire chaque toile ou bâche dans leur diversité. Avec cependant une affection particulière pour l’une d’elles, en raison de la saison, et que j’appellerai « Feuilles d’automne… » : Empreintes rouges travaillées bordées de noir sur fonds verts et roux.
« Tombe et tourbillonne, la feuille, la feuille.
Tombe et tourbillonne, la feuille au vent. »
Bernard DESCHAMPS
10/10/2014