Les vœux du Président de la République au Corps diplomatique constituent à cet égard un baromètre assez fiable et la comparaison entre 2014 et 2013 est intéressante.
Une première remarque concernant sa vision générale du Monde. En 2013, il stigmatisait « une crise longue, dure, éprouvante, qui n’épargne aucun continent […] Elle est à la fois financière, monétaire, écologique, économique et même parfois politique.». En 2014, il juge le « monde en ce moment [est] incertain, instable, imprévisible.», ce qui dénote un profond pessimisme. Mise à part une brève allusion à ce qu’il appelle « le Printemps Arabe », à aucun moment il ne mentionne les luttes des peuples pour le progrès ni les succès que certains remportent (Bolivie, Vénézuéla, etc). Une constante, il est foncièrement hostile au protectionnisme et milite en faveur du libre-échange dans les relations commerciales internationales. Il se réjouit de l’accord conclu par l’OMC (l’Organisation Mondiale du Commerce) à Bali et il est favorable à un accord UE-USA qui serait pourtant préjudiciable aux acquis de notre peuple. Il souhaite « une réforme du système monétaire international et avoir des mouvements de parité qui correspondent aux économies. »
L’Europe. En 2013, le Président de la République avait assez longuement traité de l’euro qui selon lui était sauvé ; de la « faible croissance » et de son souhait d’une « coordination des politiques économiques » européennes ; des « politiques d’austérité » dont « souffrent les peuples » ; du « taux de chômage » ; de la Politique Agricole Commune ; de l’exception culturelle ; de la politique énergétique et de la vocation de l’Union Européenne à être « le trait d’union entre l’Europe du Nord et l’Europe du Sud, l’Europe de l’Ouest et l’Europe de l’Est ». Il avait « dénoncé les excès de la finance [qui] n’ont pas été encore véritablement maîtrisés.» En 2014, il met l’accent sur le « pacte de responsabilité» et sur l’aide à apporter aux entreprises. Il expose ses quatre « ambitions » : la défense européenne, l’énergie, l’économie numérique et « le contrôle de l’immigration ». A l’évidence, il y a un glissement de ses priorités.
L’essentiel de son allocution du 17 janvier dernier était consacré au rôle de la France dans le Monde, au nom des « valeurs universelles » dont la France serait porteuse. C’est, depuis Jules Ferry, le crédo de tous les interventionnistes de gauche et les vœux de 2014 détaillent ce que, selon François Hollande, doit être l’attitude de notre pays en Afrique, au Proche et au Moyen-Orient, à l’égard de la Russie, de la Chine, de l’Inde, du Japon et de l’Amérique latine. A propos de la démocratie et des droits de l’homme, au nom desquels, François Hollande s’arroge le droit d’intervenir dans certains pays, il convient de remarquer combien sa préoccupation est sélective. Ainsi, les pays du Golfe qui sont, comme on sait, des exemples de démocratie, non seulement ne sont pas visés, mais le Président de la République française rend hommage à « l’effort nécessaire » qu’ils accomplissent pour parvenir à un règlement pacifique de la situation en Syrie, alors qu’ils fournissent des armes à l’opposition islamiste.
Il se dit solidaire de l’Afrique et se défend d’en être « le gendarme et […] n’entend pas le redevenir. », pour aussitôt justifier les interventions militaires au Mali – dont il surestime le succès contre les bandes armées – et en Centrafrique - où il sous-estime les massacres qui se poursuivent en dépit (ou à cause, NDLR) de la présence des troupes françaises. Une phrase de son allocution est significative : au Mali, la France « était accompagnée, ou plus exactement […] elle soutenait des forces africaines. » En réalité la France s’y est imposée, comme elle s’impose en Centrafrique, jusqu’à intervenir dans les élections et les changements de gouvernements. Et il confirme que dans le cadre d’un « accord de défense », 1000 hommes continueront de stationner au Mali qui, depuis l’indépendance, avait toujours refusé la présence de troupes étrangères sur son sol.
A propos de la Syrie, il est pris à contre-pied. En janvier 2013, il affirmait : « La France a été la première à reconnaître la coalition nationale comme seule autorité légitime représentant aujourd’hui le peuple syrien. Cette coalition se structure, se renforce chaque jour […] la France agira pour lui apporter tout l’appui nécessaire (y compris militaire, NDLR) …La chute du régime est inéluctable. Nous avons à préparer l’après-Assad… » En janvier 2014, la chute du régime n’est plus inéluctable, la coalition est divisée et une conférence de Paix a lieu à Genève à l’initiative de la Russie, des USA…et de l’Algérie. Sans préjuger de son résultat final que nous ne connaissons pas au moment où j'écris, sa tenue est déjà un premier succès sur la voie de la paix. Rétropédalage de François Hollande: « Je ne me résigne pas à ce que le choix qui pourrait être présenté au monde, soit la perpétuation d’un régime dictatorial, celui de Bachar El Assad ou l’extrémisme des islamistes. » Mais une nouvelle fois il se trompe en affirmant que l’opposition démocratique ne viendra à Genève que si l’après-Assad est à l’ordre du jour. Deux jours plus tard, cette opposition annonce qu’elle participera à la Conférence de Genève ou le régime sera présent…Fabius déclare alors (22/01/2014), en contradiction avec ses déclarations antérieures : « Il ne faut pas rechercher une solution militaire… »
Le 17 janvier, François Hollande n’évoque que brièvement l’Iran, à propos de laquelle la diplomatie française a également été désavouée.
Mais le changement le plus important concerne la Palestine. En janvier 2013, après le vote par la France en faveur du statut d’Etat non-membre observateur de l’Autorité palestinienne à l’ONU, François Hollande affirmait : « Rien de doit être fait pour rendre inaccessible cet objectif (un accord juste et négocié entre les Israéliens et les Palestiniens, NDLR) et notamment la poursuite de la colonisation. » Le 17 janvier 2014, non seulement il ne dénonce pas la colonisation qui continue, il n’y fait même pas référence et prône des concessions « de l’un et de l’autre ». Il y a là, c’est évident, un alignement sur les positions israéliennes.
Cette orientation de notre politique extérieure ne contribue pas au rayonnement de la France dans le Monde.
Bernard DESCHAMPS, 22/01/2014