Mireille et Michel BERTHIER m’ont rapporté d’Alger, Mémoires d’une combattante de l’ALN (CHIHAB Editions, janvier 2014) de Zohra Drif, une des « jeunes filles de la Casbah ». Jusqu’à maintenant Zohra Drif s’était refusée à écrire ses mémoires. Cette édition est donc un évènement dont je rendrai compte dans quelques jours. Mais sans attendre, je vous reproduis, en ce 28 décembre 2014, quelques bonnes feuilles de cet ouvrage qui relatent les faits qui se sont produits à Alger le 28 décembre 1956 et qui ont profondément marqué ce que Massu a appelé à tort « La bataille d’Alger ».Bernard DESCHAMPS
A nous la « grève de huit jours », à Massu sa « bataille d’Alger » (Pages 306 et 307)
« La grève générale devait démontrer le soutien total du peuple à notre délégation à l’ONU où la question algérienne devait être débattue pour imposer pacifiquement le FLN comme notre unique et légitime représentant. Tout le monde en parlait, la rue en bruissait depuis la fin décembre 1956, mais personne n’en connaissait ni la date, ni la durée. Ces deux éléments d’information dépendaient de la date que fixerait l’ONU pour le débat. Bien évidemment les deux camps en guerre depuis le 1er novembre 1954, se préparaient au débat à l’ONU car nos responsables avaient réussi à faire de l’Algérie la question centrale de la session onusienne. Notre camp, peuple et militants unis autour du FLN, avait choisi sur décision de nos chefs du CCE (Comité de Coordination et d’Exécution, ndlr) une action d’envergure civile et pacifique : une grève de huit jours. Le camp ennemi, c’est-à-dire le gouvernement de Guy Mollet, le Ministre de l’Algérie, Robert Lacoste, son armée, les colons et les « ultras » de l’Algérie française, s’étaient préparés eux aussi au débat à l’ONU. D’abord les tenants du courant dur de l’Algérie française qui se recrutaient en Algérie mais aussi dans la métropole parmi les civils et les militaires. Enrôlant leurs barbouzes dans les rangs des organisations « ultras » en Algérie, ils organisèrent l’assassinat le 28 décembre 1956, d’Amédée Froger, Président de l’association des maires d’Algérie, et plusieurs attentats le 29 décembre contre des églises, des temples et même un caveau de cimetière en les imputant au FLN. Le but de ces attentats et leur imputation à nos combattants était d’empêcher toute négociation avec le FLN et surtout de forcer le gouvernement français à donner les pleins pouvoirs à l’armée en Algérie. Amédée Froger était une personnalité importante de la population coloniale européenne, un des grands colons de la Mitidja, hostile à toute réforme et dont on disait qu’il fut un des acteurs les plus acharnés contre notre peuple dans les massacres du 8 mai 1945. La nouvelle de son assassinat, accueillie avec joie par notre population, provoqua des réflexes de méfiance et de vigilance de la part de nos chefs qui avaient vite compris la manipulation et son objectif. El Kho (nom de guerre de Yacef Saâdi, le chef militaire de la Zone Autonome d’Alger, ndlr), surpris par la nouvelle, convoqua tous les responsables de zones. Ils confirmèrent que l’assassinat d’Amédée Froger n’était pas l’œuvre d’un de nos fidayne.[…] Le jour de l’enterrement fut une des journées les plus angoissantes que j’aie vécue. Toute la Casbah était en état d’alerte et toutes ses issues étaient mises sous le contrôle de nos fidayne. De la terrasse nous parvenaient un brouhaha continu, des coups de feu sporadiques, des cris et des bruits de klaxon ininterrompus. El Kho envoya des militants pour suivre les funérailles et en faire rapport. Ils revinrent tous en soulignant la violence inouïe que des bandes d’Européens, jeunes et vieux, avaient manifestée contre tout indigène sur leur chemin. Nous eûmes à déplorer plusieurs dizaines de morts parmi notre population, victimes du déchaînement de haine qui accompagna les funérailles d’Amédée Froger. Voilà comment les colons et leurs organisations « ultras », avec la complicité de l’armée et de la police ainsi que d’hommes politiques métropolitains, préparèrent le débat sur la question algérienne à l’ONU. Ils créèrent les conditions pour la transmission de tous les pouvoirs à l’armée dans le but de tuer notre révolution et ses objectifs, en « nettoyant » le pays et notamment Alger de ses combattants. » (Zohra Drif, Mémoires d’une combattante de l’ALN. P.306-307)
Pour mémoire :
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Le 7 janvier 1957, Guy Mollet, Président du Conseil donnait tous les pouvoirs de police à Massu en vertu des pouvoirs spéciaux votés par l’Assemble Nationale française le 12 mars 1956.
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Le FLN appela les Algériens, en Algérie et à l’étranger à observer une grève du 28 janvier au 5 février 1957. Cette grève fut très suivie par les mineurs algériens du bassin houiller des Cévennes (voir Le fichier Z, Bernard Deschamps)
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La « Bataille d’Alger » qui ne fut pas une bataille mais une répression atroce contre la population pratiquement désarmée d’Alger, dura jusqu’en octobre 1957.