Pour la première fois de l’histoire, des députés algériens et français commémorent ensemble, à Paris, le massacre du 17 octobre 1961.
Ici, on noie les Algériens. En lettres capitales, la phrase barrait les ponts de la Seine. 17 octobre 1961. Les Algériens de France se décident à braver les restrictions imposées à leur encontre par le préfet de police, Maurice Papon. Interdiction de se rassembler, interdiction de sortir entre 20h30 et 5h30, interdiction pour les cafetiers d’ouvrir leur commerce au-delà de 19h... A l’appel du FLN, 30 000 Algériens descendent dans la rue pour une manifestation pacifique. La police en a décidé autrement. En pleine Guerre de Libération de l’Algérie, elle a envie d’en découdre avec les indépendantistes de la métropole. La manifestation est réprimée dans le sang et fait entre 80 et 200 morts. Des cadavres sont retrouvés, flottant sur la Seine. Il a fallu attendre 2012 et l’élection de François Hollande pour que le massacre du 17 Octobre 1961 soit reconnu. 53 ans après, une délégation de parlementaires algériens sera associée et présente pour la première fois aux cérémonies de commémoration à Paris.
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Abdelkader Haddouche. Député FLN, représentant de la communauté algérienne à l'étranger, membre de la commission des affaires étrangères à l’APN : "Il ne suffit pas d’avoir accès à la vérité historique, il faut aussi une volonté de l’assumer"
-En quoi cette commémoration est un temps fort de l’année ?
La commémoration du 17 Octobre 1961, c’est pour moi un devoir de mémoire. A Marseille, c’est la septième année que nous organisons des événements autour de cette date. Nous tenons à pérenniser ces cérémonies d’hommage, chaque année, parce que ce qui s’est passé cette nuit-là est une leçon de combativité. Ceux qui sont descendus dans la rue se battaient pour la liberté, la souveraineté et le droit à la citoyenneté. A mon sens, la date du 17 octobre doit aussi être un moment d’échange et de débats tourné vers l’avenir de la relation algéro-française. Notamment sur les axes à creuser en matière de coopération.
-Pour la première fois, cette année, des parlementaires français et algériens commémoreront, main dans la main, le massacre du 17 Octobre. C’est un symbole fort ?
Oui, je suis moi-même invité à des cérémonies à Paris et à Saint-Etienne. Vous savez, une bonne partie de la classe politique française a évolué sur le 17 Octobre 1961. Et là, il ne faut pas avoir honte de citer François Hollande qui, en tant que candidat puis en tant que président, a porté une parole forte pour la reconnaissance du massacre. Je ne peux que m’en féliciter ! Cela a permis d’apaiser les esprits et d’ouvrir une nouvelle page dans l’histoire de la relation Algérie-France. Cette commémoration permet aussi de rapprocher les deux peuples, d’affirmer plus encore le partenariat d’exception et l’amitié qui lient nos deux pays. De toute façon, nous n’avons pas le choix : nous sommes condamnés à travailler et à réussir ensemble. Maintenant, il ne suffit pas d’avoir accès à la vérité historique, il faut aussi une volonté de l’assumer.
-Que voulez-vous dire ? Qu’il faut passer des paroles aux actes, par exemple sur les questions de libre-circulation et de flux migratoires ?
Je dis simplement qu’il est temps que l’échange passe à une vitesse supérieure. Il est possible de dépasser les traumatismes de l’histoire. Je vais vous donner un exemple, celui de la relation franco-allemande. Le passé commun n’est pas glorieux, pourtant, le couple franco-allemand est aujourd’hui le poumon économique de l’Europe, après avoir été le moteur de la construction européenne. C’est bien la preuve que lorsque la volonté politique existe, on peut faire beaucoup de choses !
-Y a-t-il encore des points noirs dans l’histoire franco-algérienne ?
En tant que politique, je ne suis pas vraiment fondé à m’exprimer sur la question. C’est un débat que doivent avoir les historiens de part et d’autre. Cela dit, je trouverais intéressant d’ouvrir un comité scientifique, un espace de travail commun, entre les historiens algériens et leurs homologues français, pour avancer ensemble. Cela permettrait aussi de dépassionner le débat. Il faut à tout prix éviter l’instrumentalisation de la mémoire. Cela dit, une partie de la classe politique française reste complexée par ce passé commun. Il ne faut pas. Cela ne réduit pas la France de reconnaître une partie de ses torts. Bien au contraire, ça la grandit.