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22 septembre 2024 7 22 /09 /septembre /2024 15:04

   Alice Zeniter poursuit la quête de ses origines.  Ses pas la conduisent avec ce roman de la Kabylie en Kanaky-Nouvelle-Calédonie où son arrière-arrière-grand-père a été déporté.

  

Frapper l’épopée (Flammarion, août 2024) est un roman. Un roman politique. Il est sorti des presses au mois d’août, quelques semaines, sans que cela ait été concerté, après le début des émeutes du mois de mai et l’élection à l’Assemblée nationale française, le 7 juillet, d’Emmanuel Tjibaou, le fils du leader indépendantiste historique, Jean-Marie Tjibaou. En un moment donc ou la Kanaky-Nouvelle-Calédonie est sous les feux de l’actualité.

   Petit rappel historique. En 1871, une insurrection éclate en Algérie contre les forces coloniales françaises. Lancée le 15 mars 1871, depuis le massif montagneux des Bibans en Kabylie par le cheikh El-Mokrani et son frère Bou-Mezrag, d’où son nom de « révolte de Mokrani »,  rejoints par le cheikh el-Haddad .Elle soulève environ 250 tribus, soit un tiers de la population de l’Algérie.  Elle a lieu au même moment que les insurrections communalistes, dont la « Commune de Paris » et celle de Marseille. Elle est violemment réprimée.  Plus de 200 Kabyles sont internés et de nombreuses déportations ont lieu à Cayenne ou en Nouvelle-Calédonie. La plupart ne seront amnistiés qu’en 1895. 450 000 hectares de terre sont confisqués et distribués aux colons français.

    Les déportés algériens côtoient des Communards français parmi lesquels l’institutrice, écrivaine et  militante anarchiste Louise Michel, dont Alice Zeniter cite  cette phrase  : « Un matin, dans les premiers temps de la déportation, nous vîmes arriver dans leurs grands burnous blancs, des Arabes déportés pour s’être, eux aussi, soulevés contre l’oppression. Ces Orientaux, emprisonnés loin de leurs tentes et de leurs troupeaux, étaient simples et bons et d’une grande justice ; aussi ne comprenaient-ils rien à la façon dont on avait agi envers eux. »

   L’héroïne du roman, Tass -  abrégé du prénom berbère Tassadith qui signifie « persévérante » -  après des études en Kanaky, puis en France où elle a fait la connaissance de Thomas son compagnon avec qui elle a vécu à Orléans pendant dix ans, vient de rompre et rentre à Nouméa où elle est nommée sur un poste de professeure remplaçante de français.

   Elle a quitté le froid pour la chaleur tropicale et une  nature exubérante. Les arbres, les fleurs, la mer et le « frisolis des vagues ». Et les oiseaux, l’emblématique cagou, le sterne néréis à tête noire, les notous, le merle des Moluques, les bengalis à becs rouges…C’est une symphonie de couleurs, de saveurs – les confitures de goyaves – et de sons.

    Tass, qui à l’évidence est le double de l’auteure, retrouve son frère Ju et sa mère Pascale ; des ami-es, Sylviane et Laurie. Elle fait la connaissance d’un trio singulier, Un Ruisseau, bohême sans domicile fixe, FidR (Fille de la réussite) qui travaille à l’hôpital et NEP (N’épousera pas un pauvre) qui vit dans une cabane isolée et élève seule son fils, Le Petit. Un groupe qui prône « l’empathie violente ».

   Deux de ses élèves, Pénélope et Célestin, des jumeaux qui se ressemblent étrangement et ne se séparent jamais, l’intriguent. Ce sont des élèves studieux dont elle découvre qu’ils portent tatoués sur le poignet, MPTHY  XXcra, une inscription indépendantiste fréquente sur les murs de la ville. Leur absence soudaine et les questions de la police vont l’inciter à partir à leur recherche. Celle-ci va se croiser avec la quête de ses ancêtres dans un pays où se mêlent  réalité et surnaturel : « Dans cet archipel, le souffle des ancêtres n’est pas une expression vide de sens mais une réalité invisible […] « Les peuples second ont emprunté au peuple premier une façon de voir dans les arbres, les pierres, les fondations écroulées et les fleurs de bord de chemin les histoires de leur famille. » (p. 265)

    En chemin, surprise par la nuit elle tombe dans un « trou d’eau », un sanctuaire qu’il est interdit de violer, et là, comme un fantôme, son arrière-arrière-arrière-grand-père, Areski Arezki, va apparaître, et son long cheminement du bagne à sa libération, sa blessure pendant la révolte kanak de 1878 dirigée par le chef Ataï, puis son mariage avec Eugénie une des jeunes femmes recrutées par l’administration française  pour devenir les épouses des « Libérés ». C’est l’occasion d’une description détaillée des différentes strates de la population de l’archipel, colons, Libres, Libérés, kanak, et d’un rappel par l’auteure des méfaits et des crimes de la colonisation par la France depuis 1853.

   Le trio, Un Ruisseau, FidR et NEP, va recueillir Tass et lui confier le sens de la mission qu’ils se sont fixée. Ce n’est pas un groupe « terroriste », «…les principes directeurs de leurs actions : créer chez les Blancs un sentiment de dépossession, troubler l’évidence du chez-soi, limer la confiance qu’ils ont dans leur statut de propriétaire […] ne jamais être des voleurs […] nous voulons casser la voix des on parle pour toi » (p. 309).  Une de leurs actions en cours consiste à  déséquilibrer par petites touches la statue de Jean-Marie Tjibaou et de Jacques Lafleur se serrant la main, érigée au centre de Nouméa à la suite des Accords de Matignon de 1988.

   Le terme « les Blancs » que l’on retrouve également dans l’interview du député Emmanuel Tjibaou à l’Humanité magazine du 5 septembre 2024, peut surprendre. C’est une appellation factuelle courante qui n’induit pas une stigmatisation en fonction de la couleur de peau. L’accent est mis en effet sur la domination économique des colons – venus de métropole ou anciens bagnards – qui génère ces réactions.

    Tass apprend du trio que les jumeaux les ont rejoint et que Pénélope qui a été violée par son oncle est enceinte. Nouveau télescopage avec l’actualité, Alice Zeniter consacre plusieurs pages à la dénonciation des crimes sexuels au sein des familles.

BD, 24 septembre 2024

"jour de deuil"

en Kanaky-Nouvelle-Calédonie

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