(Dernière mise à jour, le 16 août 2024 à 15h30)
Les trois candidats dont le dossier a été validé par l’ANIE, * Abdelmadjid Tebboune, 78 ans, (indépendant, soutenu par plusieurs partis, dont le FLN et de RND), Abdelali Hassani Cherif, 57 ans (MSP, islamiste) et Youcef Aouchiche, 41 ans (FFS, socialiste), entament officiellement aujourd’hui leur campagne électorale.
Le Front des Forces Socialistes (FFS) qui a quitté en 2020 le Pacte de l’alternative démocratique (gauche), en raison de divergences de fond, présente un candidat – son secrétaire national - pour la première fois depuis 1999.
Youcef Aouchiche est né dans la wilaya de Tizi-Ouzou Il y a grandi et suivi ses études primaires, moyennes et secondaires, jusqu'à l’obtention du baccalauréat en 2003, année où il s’inscrivit à l’université d’Alger pour suivre des études en sciences politiques, spécialité politique internationale. Après l’obtention de sa licence, il a travaillé comme journaliste de 2008 à 2012. A partir de 2012, il sera attaché parlementaire jusqu’en 2017, puis élu secrétaire national du FFS en 2020.
Dans son programme « Vision » présenté le 10 août, il affirme vouloir traduire « les aspirations des Algériennes et des Algériens pour la liberté, la dignité et la justice [et] qui s’étaient manifestées à travers le Hirak béni du 22 février 2019 d’une manière pacifique, civilisée ». Il veut promouvoir « Un projet national, démocratique, moderniste, progressiste et, enfin, populaire, mais pas populiste». C’est tout à fait dans la ligne de sa déclaration en faveur de « la reconstruction d’un consensus national […] la construction d’un front patriotique solide et durable », rapportée par L’EST du 2 mars. Curieusement, c’est une proposition que l’on retrouve, formulée un peu différemment, dans le programme du candidat du MSP.
Youcef Aouchiche se prononce pour un « régime parlementaire semi-présidentiel ». Une de ses premières mesures sera «l’abrogation de l’article 87-bis du code pénal et de toutes les lois restrictives des libertés, la libération avec une grâce présidentielle de tous les détenus d’opinion». Il fera notamment adopter « une loi organique pour la reconnaissance officielle de tamazight, la réhabilitation politique des martyrs du FFS morts en 1963, la tenue d’élections générales anticipées en 2025, la réforme de la Cour constitutionnelle et du Conseil supérieur de la magistrature. »
Au plan social, le candidat Aouchiche promet la revalorisation du SMIG à 40.000 dinars et l’instauration de l’Impôt sur le revenu global (IRG), à partir de 50.000 dinars, une allocation familiale à 3.000 dinars, l’instauration d’un revenu minimum universel ou RMU, en lieu et place de l’actuelle allocation chômage, à hauteur de 20.000 dinars, qui devra bénéficier aux chômeurs, aux femmes au foyer et aux personnes à mobilité réduite. Les étudiants verront leur bourse d’études atteindre également les 20.000 dinars par mois ».
Au plan économique, le candidat du FFS propose « le développement du secteur de l’industrie nationale à haute valeur ajoutée, la dépénalisation de l’acte de gestion pour encourager l’entreprenariat, la modernisation du système bancaire et financier, en renforçant la rigueur budgétaire avec l’amendement de la loi organique 18-15 ». Ce n’est pas un programme de rupture.
Il avait, au cours de divers entretiens précédents, exposé sa philosophie dans ce domaine. Dans L’Expression DZ du 8 février 2024, il insistait sur la nécessité de « s'ouvrir sur l'extérieur, avec la libéralisation des échanges [qui] doit s'accompagner de protections tarifaires et non tarifaires pour la production nationale et les secteurs stratégiques de l'économie, tout en permettant d'acquérir les technologies appropriées au développement des différents secteurs d'activité». Le FFS affiche clairement son choix qui repose sur une alternative libérale ou l'État «doit jouer le rôle de régulateur du monde économique». « Cette démarche – notait L’expression DZ proche des milieux d’affaires - émanant d'un parti dit «socialiste» suscite un important intérêt de la part des observateurs politiques et économiques au vu de la démarcation idéologique dont le FFS vient d'opérer en faisant l'éloge de l'économie de marché. »
Son programme comporte également « l’augmentation des budgets annuels alloués aux secteurs de l’Éducation, de l’Enseignement supérieur et de la Santé, à hauteur de 50 % ». Mais aucun chiffrage n’est indiqué.
En politique étrangère, il se prononce en faveur d’« une diplomatie offensive dans le cadre des règlements des conflits régionaux et internationaux, saluant au passage «la résilience du peuple palestinien qui fait face à l’agression sioniste depuis plus de 10 mois», tout comme il a rappelé le soutien du FFS «au peuple sahraoui, dont la situation est une question de décolonisation». Sans se prononcer à ce stade sur la solution à un ou deux Etats.
Côté Défense nationale, le candidat appelle à «une véritable industrie militaire pour en finir avec nos dépendances vis-à-vis des autres pays, pour l’achat d’armement ».
Abdelaali Hassani Cherif, le candidat du MSP, est originaire de Magra, dans la wilaya de M'Sila. Il a obtenu un diplôme d'ingénieur d’État en génie civil en 1992 puis une licence en droit administratif en 2004. Il a été membre de l'Assemblée populaire de la wilaya de M'Sila de 2002 à 2007 et député à l'Assemblée populaire nationale de 2007 à 2012. Il était responsable de l’organisation et de la numérisation au sein du parti puis secrétaire général de son parti, avant de devenir président du MSP en 2023 prenant la relève d’Abderrezek Makri.
Jeune Afrique (11 juin 2024) rappelle que : «Fondé en 1990, le MSP, proche des Frères musulmans et se définissant comme modéré, n’a jusqu’à présent présenté un postulant à la magistrature suprême qu’à deux reprises. En 1995 d’abord, où son fondateur et chef spirituel Mahfoud Nahnah a récolté un score de 26,6 %. En 1999, le même a été éliminé de la course à la présidence faute d’avoir pu produire une attestation officielle prouvant sa participation à la guerre de libération nationale, comme l’exigeait la loi électorale de l’époque.
À la suite du déclin de son influence sur le jeu politique, le MSP s’était rapproché du régime en soutenant la candidature de l’ancien chef de l’État, Abdelaziz Bouteflika, et faisait partie de l’Alliance partisane constituée autour de lui, avant de s’en éloigner en 2012. Par la suite, il avait boycotté les élections présidentielles de 2014 et 2019, protestant contre le quatrième et le cinquième mandat. […] Avec 65 sièges, la formation politique d’Abdelali Hassani représente aujourd’hui la troisième force politique à l’Assemblée nationale, derrière le Front de libération nationale et les indépendants.[…] la mouvance islamiste algérienne avance divisée vers la présidentielle de septembre : le Mouvement El-Bina d’Abdelkader Bengrina, en effet, a opté de son côté pour un soutien au président Abdelmadjid Tebboune.[…] Abdelaali Hassani parle beaucoup de réformes économiques et institutionnelles et jamais de la charia. Finies, en public, les références à la religion. L’islam, estime le candidat, doit se tenir éloigné de la politique.[…] Le MSP se revendique de l’opposition, il entretient une proximité troublante avec le régime. Moins de trois mois après son élection à la tête du parti en mars 2023, Abdelaali Hassani Cherif a demandé – et obtenu – audience auprès du président Tebboune, puis à nouveau au mois de novembre de la même année. À l’issue de chacune de ces entrevues, le candidat a déclaré approuver la politique étrangère du pays et soutenir la démarche de constitution d’un « front national contre la menace extérieure » sans émettre la moindre critique sur le mandat du président. » Jeune Afrique
Le programme qu’il a présenté le 3 août, tel que le rapporte El Moudjahid (4 août 2024), illustre cette démarche. Après avoir insisté sur « le renforcement des capacités de notre armée pour participer à la sécurité de notre pays et de notre voisinage immédiat, surtout avec les différentes menaces qui guettent le pays de toutes parts», le candidat du MSP qui a qualifié d’ « économie socio-libérale » l’étape actuelle de l’Algérie, a énoncé une série de promesses telles que « confirmer le rôle de l’école politique de l’équité, de la modération et des constantes nationales, de la lutte pour une transition politique, de réaliser un partenariat politique national, de porter espoir à tous les Algériens, surtout les jeunes, d’améliorer le service public avec une gouvernance numérique réelle, de consacrer la dignité du citoyen algérien, de valoriser l’intelligence collective et enfin ; de consacrer l’Algérie comme un pays émergent. »
Le président-candidat Abdelmadjid Tebboune qui brigue un second mandat, bien qu’il soit le plus âgé des postulants, est le premier président qui ne soit pas issu de la guerre de libération, trop jeune à l’époque pour y participer. Originaire de Naâma une petite localité des Hauts-Plateaux au sud-est de Tlemcen, il a suivi une carrière de haut fonctionnaire avant d’être nommé ministre sous la présidence d’Abdelaziz Bouteflika.
On lira son bilan présidentiel à la rubrique Etat de l’Algérie, début 2024. Celui-ci est jugé plutôt positif par la Banque mondiale et par le Fonds monétaire international (FMI). Il a fait adopter un certain nombre de dispositions légales qui visent à insérer davantage l’ « Algérie nouvelle » dans la mondialisation capitaliste, en favorisant les investissements privés étrangers (IDE) , et en faisant sauter les verrous qui protégeaient le capital algérien. Le chômage a légèrement reculé, au prix, pour une part, de l’économie informelle tolérée par le pouvoir.
Ce président élu par une minorité en 2019, bien que son élection ait été conforme à la Constitution, a acquis depuis une certaine popularité en raison notamment de l’augmentation substantielle des allocations, des pensions, des retraites et des salaires dans le secteur public, bien que celle-ci ne couvre pas une inflation galopante. Une partie de la jeunesse l’appelle affectueusement « tonton ». Par contre, tous les observateurs et les organisations de défense des droits humains dénoncent le vote de lois antidémocratique et les poursuites judiciaires, les lourdes condamnations et l’emprisonnement d’opposants politiques.
Le président-candidat et son ministre des Affaires étrangères, fidèles aux engagements traditionnels de l’Algérie indépendante, ont joué les médiateurs dans plusieurs conflits régionaux et multiplié au Conseil de sécurité de l’ONU, au sein de la Ligue des Etats arabes et de l’Union africaine, les initiatives diplomatiques en faveur d’un Etat palestinien souverain dans les frontières de 1967 avec Jérusalem-Est comme capitale et en soutien du Front polisario pour l’autodétermination du Sahara occidental.
Dans son numéro de ce mois d’août, El Djeich, la revue de l’armée, proclamait comme un avertissement (à qui ?) : « Alors que notre pays s'apprête à organiser des élections présidentielles anticipées le 7 septembre 2024, et comme elle l'a toujours fait lors des grands rendez-vous nationaux, l'Armée nationale populaire est pleinement disponible et prête à sécuriser toutes les étapes du processus électoral, en veillant à ce que toutes les conditions de sécurité soient réunies pour son succès et permettre aux citoyens d'accomplir leur devoir électoral dans un climat empreint de calme et de quiétude. »
Hier soir, veille du début de la campagne électorale, la Télévision algérienne a publié un communiqué du ministère de la Défense annonçant avoir mis en échec un plan terroriste, attribué au Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie (MAK), qui visait à perturber le déroulement de la présidentielle : «les services de sécurité combinés ont procédé, le 4 août 2024, au niveau du port de Bejaïa (5ème Région militaire), à l’arrestation du dénommé Zaïdi Moussa, en compagnie de son épouse, en possession d’une quantité d’armes à feu, de munitions, d’une somme d’argent en devises, ainsi que d’autres objets, minutieusement dissimulés dans leur véhicule, dans l’intention de les introduire clandestinement au pays depuis le port de Marseille (France)». A la suite des aveux du suspect, 21 personnes furent arrêtées et déférées devant le parquet du tribunal de Sidi M’hamed (section de lutte contre le terrorisme) et 12 autres accusés, en fuite, sont recherchés.
La presse d’opposition dénonce ce qu’elle considère comme un coup monté. C’est le cas notamment d’Algérie360° du 16 août 2024 (favorable au MAK et à la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental) qui déclare : « ce nouvel épisode d’aveux préfabriqués intervient dans le contexte de l’annonce par l’armée algérienne de son engagement, bien que cela ne soit pas son rôle, à sécuriser la campagne présidentielle et les opérations de vote du 7 septembre. »
Rappelons pour mémoire que plusieurs partis qui souhaitaient présenter une candidature à cette élection, en ont été empêchés par les conditions à remplir jugées anormales. C’est le cas entre autres du Parti des travailleurs (PT, trotskiste de Louisa Hanoune) et de l’Union pour le changement et le progrès (UCP de Zoubida Assoul), membres du Pacte pour une alternative démocratique.
Le président de l’ANIE a annoncé que, contrairement à 2019, il n’y aura pas de débat télévisé entre les trois candidats.
Bernard DESCHAMPS
15 août 2024
*ANIE, Autorité nationale indépendante des élections créée le 15 septembre 2019 par une loi organique.