Délaissant le (prestigieux) Palais des Papes et la Place de l’horloge, je me fonds dans les rues étroites de la vieille ville, accueilli par des murs d’affiches multicolores annonçant les quelque 1 700 spectacles du Festival off.

  Sous un soleil implacable, des milliers de spectateurs potentiels en short, chemises à fleurs, barbe et casquette souvent, battent le pavé, sollicités par  une multitude d’annonceurs que l’on devine bénévoles, armés de flyers, brandissant des pancartes ou  équipés de panneaux ventraux et dorsaux qui les font ressembler aux gladiateurs des temps anciens, dans un brouhahas de voix que surmontent les cris scandés ou les accents musicaux de groupes d’actrices et d’acteurs qui arpentent ces rues.

    Les salles de spectacles sont innombrables, ne comportant pour la plupart qu’un nombre réduit de places, de 20 à 50, équipées de fauteuils souvent  confortables, d’une sonorisation et d’éclairages, certes sommaires mais suffisants, où de jeunes auteurs se lancent à la conquête du public.

   Ne perdons pas de temps. Après un verre d’eau et un burger vite avalé, je vais aller voir trois spectacles  Bien évidemment, pour commencer, Où est Charles? par Charles Tesnière, en compagnie d’une spectatrice attentive, Cécilia. Faussement parfois présentées comme un spectacle burlesque, les méditations de Charles sont au contraire une réflexion pudique, certes distanciée grâce à une pointe d’humour, sur son évolution intérieure. Charles se met courageusement à nu, famille, amours,  convictions philosophiques et politiques (parfois) Loin de la foi religieuse de son enfance, Charles est en recherche d’une nouvelle spiritualité. Curieusement, à quelques jours d’intervalles, je rencontre cette démarche qui est aussi celle de Baumgartner, dans le dernier ouvrage publié par Paul Auster récemment disparu : « cet homme qui n’en a pas et ne croit à rien […] a fini par découvrir la religion.», à la suite d’un rêve au cours duquel il dialoguait avec son épouse morte noyée dix ans plus tôt.

    La Compagnie Odyssée RH créée par Thierry Bismuth, nous propose « Tous chômeurs ? » Pendant une heure, trois comédiens non professionnels qui changent tous les jours,  consultants en Ressources Humaines et stagiaires,  pétris de talents, vont se succéder dans une série de sketches à partir de textes personnels écrits par eux-mêmes,  au cours desquels ils seront successivement chirurgien, avocat, enseignant,  confrontés à l’intelligence artificielle qui risque de prendre leurs métiers. Loin d’être de la science-fiction, en 2024 des chirurgiens opèrent déjà, grâce à des robots, en télétravail... A travers le rire que suscite leur prestation, nous sommes amenés à nous interroger : Faut-il craindre ou épouser le changement ?

    Un air d’harmonica précède dans la nuit « Le colonel Barbaque » interprété par Vincent Barraud d’après le roman de Laurent Gaudé Dans la nuit Mozambique, mis en scène par Vincent Barraud et Hounhouénou Joël Lokossou.

   Une pirogue glisse sur le fleuve Niger. Dedans, un homme brûle de sa dernière fièvre. Il a eu plusieurs vies. Par bribes, Quentin Ripoll alias Colonel Barbaque,  nous raconte les tranchées de la première guerre mondiale, blessé et sauvé par un  tirailleur sénégalais, son impossible retour à la vie d’avant, puis le départ à l’aventure en Afrique dont il tombe amoureux, le commerce, les trafics. Enfin, le basculement dans la rébellion contre le colonisateur.

     « L’homme-soldat de 14/18 face à l’horreur - nous dit Vincent Barraud - l’insoutenable ; les ressorts de la survie, les valeurs, les courages qui s’invitent dans la boue […] Mourir peut être  un drame, une souffrance, ce peut aussi être une délivrance, la fin consciente d’un chemin. C’est une affaire personnelle, la part ultime d’intimité qui doit être respectée. »

   Une performance d’acteur successivement conteur, harmoniciste et danseur.

   J’avais aimé l’écriture poétique de Laurent Gaudé dans Mille vies et dans Salina. Je vais lire Dans la nuit Mozambique.

Bernard DESCHAMPS

15 juillet 2024