(Dernière mise à jour, le 11 juillet 2024 à 15h.)
Alors que s’abat « le vol noir des corbeaux sur nos plaines », quel merveilleux antidote que la visite de l’exposition sous-titrée Art moderne et décolonisation, au musée d’Art moderne de la ville de Paris. Immense. Par le nombre de pays représentés, de peintres exposés, par la qualité des œuvres et son ambition émancipatrice d’ouverture à « l’autre ».
Largement déployée dans les belles salles du musée, elle se décompose en 4 époques : 1/Nadha, entre renaissance culturelle arabe et influence occidentale 1908-1937 ; 2/adieu à l’orientalisme, les avant-gardes contre-attaquent ; 3/décolonisations : l’art moderne entre local et global ; 4/l’art en lutte : de la cause palestinienne à « l’apocalypse arabe » 1967-1988.
Je déambule dans le temps et l’espace, flashant ici ou là au gré de mon humeur. Et j’assiste de toile en toile à l’émergence de « l’artiste indigène » qui peu à peu se dégage de l’influence occidentale, tandis qu’en Occident se développe une anti-culture dont témoigne la brutalité de Les gardiens de la paix (1904) de l’affichiste libertaire Henri Jossot (1866, décédé en 1951 à Sidi Bou Saïd).
Henri Jossot : « Les gardiens de la paix ». (1904)
Dans le même temps, Philippe MOURANI (1875-1970) peint la proclamation du Grand Liban par les autorités françaises en 1920.
Philippe Mourani : « Proclamation du Grand Liban par les autorités françaises » (1920)
Mais le mouvement est irrésistible d’émancipation des peuples dont l’influence se manifeste dans la création artistique. Rabah Mellal réalise en 1948 Femme combattante de kabylie. Le regard fier, elle se tient droite, les bras croisés sur le ventre, modestement vêtue d’une robe longue que retient une ceinture nouée à la taille. Cette monumentale sculpture en bois d’olivier, de 2 mètres de haut, serait un hommage à Lalla Fatma N’Soumer, héroïne de la résistance algérienne au cours des premières années de la conquête de l'Algérie par la France.
Rabah Mellal : « Femme combattante de Kabylie » (1948)
Les Encres du papier (1940) d’Inji Efflatoun (1924-1989) peintre égyptienne, militante marxiste et féministe née au Caire en 1924 dans une famille traditionnelle musulmane, témoignent de cette évolution qui va s’affirmer avec (parmi beaucoup d’autres), un autre Egyptien, Ramsès Younan né en 1913 à Minieh et mort en 1966 au Caire. Membre du groupe trotskiste Art et Liberté. De 1943 à 1945, il est le rédacteur de la revue El Magalla El Guedida, dont le ton est hostile à la fois au colonialisme anglais, à Hitler et à Staline. Il y publie des traductions en arabe d'Albert Camus, Franz Kafka et Arthur Rimbaud.
Son tableau "Tropique du Cancer"(1945), entre autres œuvres exposées, attire l’attention et invite à la découverte. Comme un clin d’œil, une tête de femme sur chevalet de Picasso, nous dit l’influence du maître dans cette grande toile, aux personnages sculpturaux.
Ramsès Younan, "Tropique du Cancer, 1945
Je ne connaissais pas « Conscience du sol » (1956) d’Hamed Abdalla (1917-1985). C’est un des tableaux qui m’a le plus impressionné, non seulement pas sa taille, mais en ce que le peintre a su s’approprier les techniques occidentales pour exprimer, comme l’indique son titre, l’attachement viscéral à la terre natale. Autodidacte, Hamed Abdalla débute sa carrière vers l'âge de 20 ans. Étouffé par le climat politique de son pays natal, Abdalla quitte l'Égypte pour Copenhague dans les années 1960, avant de s'installer en France. On devine dans ce tableau l’influence de Paul Klee et des peintres des pays nordiques.
Hamed Abdalla « Conscience du sol »1956
« J'ai été soudain choquée par la lumière [de l’Algérie, ndlr] J'ai alors commencé à casser la forme », confiera Maria Manton (née le 4 décembre 1910 à Blida et morte le 2 septembre 2003 à Paris). Cela donne « Vue du port d’Alger » (1953)
Maria Manton :" Vue du port d’Alger" (1953)
Jean-Michel Atlan, né le 23 janvier 1913 à Constantine (Algérie) et mort le 12 février 1960 à Paris était d'origine judéo-berbère, issu de la bourgeoisie de Constantine. Il quitte l'Algérie pour Paris en 1930, où il étudie la philosophie à la Sorbonne. Il milite alors à l'extrême gauche trotskiste et anticolonialiste. Il est professeur de philosophie au lycée de Laval en 1938-1939, puis, à la rentrée de 1939, au lycée Condorcet à Paris. Dès la mi-novembre 1940, il est déchu de la Fonction publique.
En 1941, il commence à peindre. Il est arrêté le 9 juin 1942, à la fois pour son engagement dans la Résistance et parce qu'il est juif. Incarcéré à la prison de la Santé, il échappe aux camps d'extermination en simulant la folie. Interné, à l'hôpital Sainte-Anne, il en sort à la Libération.
Son style a évolué de l’expressionniste à l’abstraction.
Jean-Michel Atlan : « Abstraction arabe » (1958)
L’Algérie tient une place importante dans cette exposition avec des œuvres peintes bien sûr, des films et…des affiches de l’époque de la guerre d’indépendance. Des peintres algériens, mais également des peintres français et européens, anticolonialistes pour la plupart. Parmi eux, les peintres de ma génération, M’Hamed Issiakhem (1928-1985) et Mohammed Khadda (1930-1991) qui, à partir de l’Indépendance en 1962, ont donné un nouveau cours à la création artistique en puisant dans la culture ancestrale de l’Algérie. Les connaissant bien, je suis peut-être trop exigeant, mais les œuvres présentées dans cette exposition ne sont pas, à mon sens, les plus représentatives.
André Fougeron 1913-1998, fils d'un maçon et d'une couturière, ouvrier métallurgiste chez Renault, ne pouvait rester indifférent devant la détresse des travailleurs immigrés en France. Cela donne « Nord-Africains aux portes de la ville » (1954)
André Fougeron : « Nord-Africains aux portes de la ville » (1954)
Rachid Khimoune est un sculpteur français d'origine algérienne, né le 7 avril 1953 à Decazeville, dans l’Aveyron. Diplômé de l’École supérieure des beaux-arts de Paris en 1974, Rachid Khimoune pratique d'abord la peinture avant de se tourner vers la sculpture..
« Voir ce que l'on ne voit plus, regarder autrement, dans la magie et le rêve » dit-il. C’est ce qui fait toute la poésie de son œuvre. De la plaque d'égout, à la vieille prise de courant, en passant par les objets de récupération, Rachid redonne relief et vie à l'insignifiant. L'univers de Rachid Khimoune : un monde imaginaire peuplé d'animaux réels ou inventés, composé d'un fatras d'objets qui peuplent notre quotidien, son « Bestiaire » comme il l’appelle.
Rachid Khimoune : "L'homme valise" (1985)
Une exception, Étienne Bouchaud né le 15 février 1898 à Nantes, décédé le 16 juin 1989 à Paris. Fils d'Adolphe Bouchaud, propriétaire du château de La Bernardière (Saint-Herblain), et de Marie Geneviève d'Espinacy. Il exalte l’Algérie coloniale avec « Honneur aux harkis » (1963). Il fait partie de ce que l'on appellera « la génération du Môle » à Alger où il peint les garçons du port et les quartiers réservés. Il est un des rares peintres de l'École d'Alger à concevoir des œuvres sur le thème de la guerre d'Algérie.
Affiches de l'époque de la guerre d'Algérie, du PCF, de l'Humanité, de la SFIO...et de l'OAS.
Chaïbia Talal née en 1929 à Chtouka et morte le 2 avril 2004 à Casablanca, est une artiste peintre marocaine, représentante de l'art naïf. Autodidacte, elle peint à partir de 1963 après avoir entendu en rêve une voix lui dire : « Chaïbia prends les couleurs et peins ! ». Le critique d'art Pierre Gaudibert voit ses toiles et l'encourage. Elle expose pour la première fois en 1966 au Goethe-Institut de Casablanca, puis à Paris, au Musée national d'Art moderne, au Salon des indépendants, au Salon des surindépendants, à la galerie Soltice, à la FIAC, au Salon de mai, à la Biennale de La Havane, au Salon d'Automne, etc....
Jamil Hamoudi (1924-2003) était un artiste irakien devenu directeur du département des beaux-arts du ministère de la Culture. Il est connu pour son implication dans divers mouvements artistiques irakiens et arabes, notamment le mouvement Hurufiyya qui a comblé le fossé entre l'art irakien traditionnel et moderne.
Jamil Hamoudi : "Dorival" (1951)
Gouider Triki né en 1949 à Nabeul (Tunisie). Il travaille et vit en Tunisie. Diplômé de l'Ecole des Beaux-Arts de Tunis (1966-1971), Gouïder Triki a poursuivi ses études à l'Ecole des Beaux-Arts de Paris (1971-1974), obtenant un stage à la Cité Internationale des Arts de Paris (1975-1976). .
Gouider Triki : "Ö Jérusalem"
Claude Lazar artiste-peintre français né en 1947 à Alexandrie en Egypte. Claude Lazar est arrivé à Paris en 1957 à la suite de la nationalisation du canal de Suez. Après ses études secondaires, il suit des cours à l'Académie de la Grande chaumière. Il entre ensuite à l'École nationale supérieure des métiers d'art.
Enthousiasmé par les événements de mai 1968, il participe à un stage de cinéma militant à la faculté de Vincennes, alors bastion de la contestation. Dans ce cadre il collabore à la réalisation du film "Attention aux provocateurs », une critique du rôle du PCF pendant la guerre d’Algérie. Dans « Confrontation » se côtoient des ouvriers armés d'une pelle et d’un marteau piqueur qui réparent une rue pendant qu’un (ou une ?) riche oisif (ve) se prélasse dans un fauteuil.
Shafic ABBOUD, ABOU NADDARA, Hamed ABDALLA, Youssef ABDELKE, Amal ABDENOUR, Boubaker ADJALI, Etel ADNAN, Maliheh AFNAN, Mohamed AKSOUH, Farid AOUAD, Fatma ARARGI, Abdelkader ARNAOUT, Mohamed ATAALLAH, Jean-Michel ATLAN, Amin EL-BACHA, Simone BALTAXE, Michel BASBOUS, Ala BASHIR, Fatma Haddad-Mahieddine (dite BAYA), Souhila BEL BAHAR, Farid BELKAHIA, Nejib BELKHODJAH, Fouad BELLAMINE, Mahjoub BEN BELLA, Aly BEN SALEM, Abdallah BENANTEUR, Djamila BENT MOHAMED, Samta BENYAHIA, Maurice BISMOUTH, Etienne BOUCHAUD, Pierre BOUCHERLE, Huguette CALAND, Nasser CHAURA, Ahmed CHERKAOUI, Saloua Raouda CHOUCAIR, Chaouki CHOUKINI, collectif CINÉMÉTÈQUE, Inji EFFLATOUN, André ELBAZ, Fouad ELKOURY, Errò, Ammar FARHAT, Safia FARHAT, Moustapha FARROUK, Dias FERHAT, André FOUGERON, Émile GAUDISSARD, Abdel HadiEL-GAZZAR, Jilali GHARBAOUI, Gibran KAHLIL GIBRAN, Abdelaziz GORGI, Abdelkader GUERMAZ, Abraham HADAD, Marie HADAD, Khadim HAIDER, Ahmed HAJERI, Mahmoud HAMMAD, Jamil HAMOUDI, Francis HARBURGER, Faik HASSAN, Mona HATOUM, Adam HENEIN, Georges HENEIN, Mohamed ISSIAKHEM, Abdul Kader EL-JANABI, Henri Gustave JOSSOT, Fouad KAMEL, Fêla KÉFI-LEROUX, Mohammed KHADDA, Rachid KHIMOUNE, Rachid KORAÏCHI, Georges KOSKAS, Mohamed KOUACI, Claude LAZAR, Ahmed LOUARDIRI, Nja MAHDAOUI, Mahjoub AL-JABER, Jean de MAISONSEUL, Antoine MALLIARAKIS dit MAYO, Azouaou MAMMERI, Maria MANTON, Denis MARTINEZ, Marwan KASSAB BACHI (dit MARWAN), Hassan MASSOUDY, Hatem EL-MEKKI, Mohamed MELEHI, Rabah MELLAL, Choukri MESLI, Mireille MIAIHLE, Mahmoud MOKHTAR, Fateh AL-MOUDARRES, Philippe MOURANI, Medhi MOUTASHAR, Laila MURAYWID, Nazir NABAA, Edgar NACCACHE, Effat NAGHI, Mohammed Bey NAGHI, Marguerite NAKHLA, Rafa NASIRI, Ahmad NAWACH, Amy NIMR, Leila NSEIR, Mohammed RACIM, Omar RACIM, Samir RAFI, Aref EL-RAYESS, Jocelyne SAAB, Georges Hanna SABBAGH, Gmach SADOK, Valentinede SAINT-POINT, Shakir Hassan AL-SAID, Mahmoud SAÏD, Nadia SAIKALI, Mona SAUDI, Jewad SELIM, Jean SÉNAC, Juliana SERAPHIM, Ibrahim SHADHA, Gazbia SIRRY, Chaïbia TALLAL, Kamel EL-TELMISANY, Gouider TRIKI, Yahia TURKI, Madiha UMAR, Seif WANLY, Nil YALTER, Ramsès YOUNAN, Salah YOUSRY, Fahrelnissa ZEID, Bibi ZOGBÉ