Je connais mal la littérature israélienne. Tribus (Gallimard, mars 2024) fut pour moi une découverte. La découverte d’un auteur, d’un style, d’un pays dont l’Etat est né en 1948. Des contradictions qui traversent un peuple composé d’une mosaïque de tribus venues d’horizons différents, de cultures diverses, ayant des lectures de la Bible hébraïque souvent contradictoires, générant des comportements politiques eux-mêmes opposés.
L’auteur, Shmuel T. Meyer est un écrivain franco-israélien né à Paris en 1957. Après avoir successivement séjourné en France, en Suisse, en Grande-Bretagne et en Italie, il s’est installé en Israël comme kibboutznik, journaliste et traducteur. Depuis 2008, il voyage entre Genève, Tel-Aviv et Paris où il réside depuis 2013. Son style est à l’image des cultures qui l’imprègnent, coloré, musical, parfumé : « L’air avait le parfum de l’herbe sèche coupée et de la résine de pin chaud. »
L’ouvrage, tout au long des dix nouvelles qui le composent, est traversé d’un sentiment d’amertume et d’amour pourtant pour ce pays qui les a vus naître (ou renaître).
« Le sionisme nous avait promis plein de choses et notre expérimentation collective de deux mille ans d’exil était tentée d’y apporter foi. » déclare, à la fin du livre, Nava qui, à l’évidence, exprime l’opinion de l’auteur, et qui ajoute, ces promesses « le sionisme ne les a pas tenues ».
Shaul, un jeune avocat et son ami Rafi, un retraité de l’armée - l’un et l’autre de gauche, opposés à « la mainmise des colons suprémacistes et des religieux sur le gouvernement de Netanyahou » - bavardent en sirotant un scotch pur malt, pendant que leurs épouses Ronit et Nava préparent le repas de shabbat, dans la cuisine américaine en faïence bleue de leur immense appartement d’un quartier bourgeois de Jérusalem, isolé des quartiers arabes.
« Nous sommes pathétiques – dit Shaul - dans notre déni », « …de nous croire éduqués, humanistes, libéraux, alors que nous sommes seulement des hypocrites qui détestons plus de la moitié de l’humanité qui n’est ni éduquée à notre façon ni humaniste à la façon de Tolstoï et de Spinoza.».
Parmi les portraits que dépeint STM, il y a celui de Koby, neuf ans et demi, le numéro 7 d’une famille de onze enfants qui habite le quartier arabe de la Mousrara, « sorte de no man’s land lézardé, déshérité et miséreux », et dont l’intelligence incite son institutrice blanche à le faire inscrire au collège dont il sera exclu par la direction en dépit de ses excellents résultats scolaires.
L’humour permet à l’auteur de prendre de la distance avec certaines situations, comme dans cette scène délirante du Christ dont la croix vacille et qui s’écrit : « Je tombe, putain, je tombe » ce qui déclenche chez un jeune ouvrier du kibboutz Yad Hanna, lecteur du livre de Mario Vargas Llosa La Passion du Christ, un fou rire irrépressible qui gagne peu à peu tous les continents et conduit le Département d’Etat US et Henry Kissinger à décider la livraison massive de bouchons d’oreilles à Israël, afin de « mettre fin à cette pandémie profanatrice qui menaçait l’équilibre instable du Proche-Orient et plus largement la civilisation occidentale et la rationalité du monde ».
L’amour est présent tout au long du livre, comme celui qui nait et s’épanouit entre deux enseignants, l’un d’origine occidentale, l’autre arabe et qui, pour se marier et garder avec eux Noor l’enfant d’un premier mariage, revendiqué selon la loi juive, par la famille du père décédé, seront contraints de s’expatrier pour Berlin. Le dialogue cependant parfois existe entre les deux communautés, comme entre Hadassa et son beau-père Josh, un ancien hippie américain devenu croyant et kibboutznik.
Et il y a des arrivistes comme le rabbin prédicateur Rav Yeshoua El Maleh ; des ultraorthodoxe qui veulent imposer leur loi par le bâton ; des commerçants juifs qui n’hésitent pas à secourir des familles arabes menacées par la famine et qui mourront sous les coups des juifs orthodoxes ; des juifs tolérants comme le vieux Rev Pin’has qui porte sur son crâne chauve le « kolpik, sa coiffe de vison sabbatique »…
Une autre vision d’Israël, loin des clichés.
Bernard DESCHAMPS
16 mai 2024