On lira ci-après l’opinion du quotidien algérien gouvernemental El Moudjahid et l’analyse des Accords d’Alger que j’avais présentée le 2 octobre 2021 lors du Contre-sommet de Grabels. Je continue de penser que cet Accord permettrait de rétablir la paix au Sahel.
Bernard Deschamps
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El Moudjahid
27 janvier 2024
« Les autorités maliennes ont annoncé leur retrait des accords de paix et de réconciliation issus des Accords d’Alger. En prenant cette décision, nos partenaires maliens ont jugé, en leur âme et conscience, que ces accords sont arrivés à échéance, ayant rempli leur mission dans l’avancement du processus de paix. Les dirigeants maliens sont les mieux placés pour appréhender ce qui convient le mieux aux intérêts du peuple malien, dans un pays qui se remet lentement de ses blessures, à la suite d’une guerre imposée par des vagues de terroristes lourdement armés s’acharnant sur les populations civiles essentiellement.
Aussi, il faut contextualiser le cadre général qui entoure la dernière décision des autorités maliennes : une série de coups d’État dans les pays de la région sahélienne sous couvert de néo-souverainisme, pour légitimer la prise du pouvoir, puis le recours à l’union sacrée pour conserver ce même pouvoir, en galvanisant les populations autour d’une présumée atteinte à la souveraineté par une puissance étrangère.
Preuve en est, qu’en est-il de l’élection présidentielle qui devait se tenir au Mali en 2024 ? Une rapide recherche nous permet de vérifier que dans la loi de finances de cette année, aucun budget n’est prévu pour l’organisation et la tenue de ce scrutin. Ce qui montre que la décision des autorités de Bamako de se retirer des Accords d’Alger ne date pas d’hier, mais d’au moins deux ans, de l’avis de nombreux experts.
L’Algérie, en s’engageant dans ces accords, a cherché la promotion de la paix par la désescalade
La décision des autorités maliennes se fonde sur des motifs non recevables, peu recevables quant aux accusations sur les atteintes à la souveraineté évoquées. L’instabilité qui se profile ne sert pas non plus la paix et la sécurité de la région. À cet effet, la situation sécuritaire au Sahel est bien inquiétante. Dans cette droite ligne, un rapport onusien datant de juillet 2023 révèle que les groupes terroristes ont doublé la superficie de leur présence en 2022. Rajoutons à cela la présence dans le voisinage de sources importantes d’armes sophistiquées provenant de Libye.
Pourquoi une telle volte-face de Bamako, après des prises de position pourtant rassurantes affichées par les autorités maliennes ? Alger est-il accusée d’ingérence dans les affaires intérieures de ce pays ? Cet argument brille par sa légèreté. Chef de file de la médiation internationale, un rôle conféré par le Conseil de sécurité des Nations unies, l’Algérie est aussi le garant des Accords d’Alger. C’est à ce titre que notre pays a reçu les acteurs signataires desdits accords. Ces derniers, bénéficiant de la légitimité internationale, ont été accueillis par le président de la République, Abdelmadjid Tebboune, qui les a appelés à l’apaisement et à éviter toute escalade suite à la prise de Kidal.
Il est utile de rappeler, dans ce contexte, le rôle prépondérant de l’Algérie dans le règlement de plusieurs crises ayant secoué ce pays frère. En effet, depuis juin 1990 et à la demande expresse des gouvernements maliens successifs, notre pays a entrepris des médiations qui ont permis d’aboutir à l’élaboration de quatre accords de paix et de réconciliation. Il faut dire qu’au fil des décennies, le Mali n’a jamais vraiment connu de période de stabilité politique. Depuis plus de trente ans, l’Algérie est régulièrement au-devant de la scène malienne, pour instaurer un climat de paix par la médiation et l’apaisement.
En effet, cela fait plus de deux années que Bamako ne répond plus aux appels de nos représentants diplomatiques, allant jusqu’à annuler l’ensemble des rencontres dans le cadre de la médiation qui devait se tenir au Mali.
Autre acte allant dans ce sens, le fait que les autorités maliennes aient exigé le retrait de la mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA), alors qu’au même moment, elles ont entamé un processus de réarmement, mettant ainsi en péril plusieurs années d’efforts onusiens pour ramener la paix dans ce pays.
Mieux encore, plus d’un milliard deux cent millions de dollars ont été octroyés par les Nations unies sans aucun retour politique. De là, plusieurs personnalités internationales ont appelé à ce que les pressions sur Bamako se poursuivent afin d’éviter d’ajouter une crise supplémentaire à la crise préexistante au Sahel.
Alger, au-delà de toutes les divergences, continue à promouvoir le dialogue comme principal moyen de règlement des différends
Preuve en est, la récente rencontre entre notre ministre des Affaires étrangères et de la Communauté nationale à l’étranger, Ahmed Attaf, et son homologue russe, Serguei Lavrov. L’échange, axé sur les relations de coopération unissant les deux pays, a essentiellement porté sur les voies et moyens de renforcer la coordination au sein du Conseil de sécurité.
La rencontre qualifiée de «fructueuse» entre les deux parties a également été l’occasion d’évoquer longuement la situation au Mali, selon des sources concordantes à New-York qui n’ont point fait état d’une quelconque divergence entre les chefs de la diplomatie des deux pays. Il faut dire que l’accumulation des ingérences étrangères complique le règlement de la crise. Il y a de plus en plus de parties qui cherchent à attiser les tensions dans cette région du Sahel, allant sans vergogne jusqu’à vouloir déclencher une guerre civile au Mali.
L’implication d’Alger dans le dossier malien a uniquement pour objectif de préserver la paix et la stabilité dans la bande sahélienne. Cet impératif est essentiel pour notre pays et constitue une question de sécurité nationale. C’est d’autant plus vrai que les populations frontalières des deux pays ont des liens familiaux.
Enfin, compte tenu des mutations profondes sur la scène géopolitique mondiale, une occasion ratée pour régler la crise. Les autorités de Bamako sont appelées à se ressaisir et à revoir leur copie dans l’intérêt de l’ensemble de la région.
Sami Kaidi
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L’Accord d’Alger 2015 (L’analyse que j’avais présentée le 2 octobre 2021 lors du Contre-sommet de Grabels)
« L’Accord pour la Paix et la Réconciliation au Mali, issu du processus d’Alger , conclu entre l’Etat malien et la « Coordination des mouvements de l’Azawad » (CMA, le Mouvement national pour la libération de l'Azawad (MNLA), le Haut conseil pour l'unité de l'Azawad (HCUA), une aile du Mouvement arabe de l'Azawad (MAA).) qui regroupait plusieurs des organisations touaregs rebelles, est, de tous les Accords conclus à cette date, le plus précis, le plus accompli.
Cet accord a été réalisé à l’initiative de l’ONU, avec comme chef de file l’Algérie.__________________________
« TITRE I : PRINCIPES, ENGAGEMENTS ET FONDEMENTS POUR UN REGLEMENT
DURABLE DU CONFLIT
Chapitre 1 : Principes et Engagements
Article 1 : Les Parties, dans l’esprit de la Feuille de route, réitèrent leur attachement aux principes ci-après :
a) respect de l’unité nationale, de l’intégrité territoriale et de la souveraineté de l’Etat du Mali, ainsi que de sa forme républicaine et son caractère laïc;
b) reconnaissance et promotion de la diversité culturelle et linguistique et valorisation de la contribution de toutes les composantes du peuple malien, particulièrement celle des femmes et des jeunes, à l’œuvre de construction nationale;
c) prise en charge par les populations de la gestion effective de leurs propres affaires, à travers un système de gouvernance prenant en compte leurs aspirations et leurs besoins spécifiques
d) promotion d’un développement équilibré de l’ensemble des régions du Mali tenant compte de leurs potentialités respectives;
e) rejet de la violence comme moyen d’expression politique et recours au dialogue et à la concertation pour le règlement des différends;
f) respect des droits de l’Homme, de la dignité humaine et des libertés fondamentales et religieuses;
g) lutte contre la corruption et l’impunité;
h) lutte contre le terrorisme, le trafic de drogues et les autres formes de criminalité transnationale organisée. »_____________________________
Malheureusement, cet accord signé le 20 juin 2015, n’a, pas plus que les autres, jamais été appliqué par l’Etat malien en dépit de ses engagements et en raison de l’attitude de la France qui privilégie ses interventions militaires. Le président Macron, peu de temps après son élection, le 19 mai 2017, lors d’une visite aux troupes de l’opération Barkhane à Gao, au lieu de soutenir cet accord, avait déclaré : «J'aurai une exigence renforcée à l'égard des Etats du Sahel et de l'Algérie […] on ne peut pas manifester quelque faiblesse que ce soit à l'égard de groupements terroristes, quelles que soient les raisons politiques domestiques », alors que l’Accord d’Alger se prononce sans ambiguïté contre « le terrorisme et la criminalité transnationale organisée.» (Préambule et Titre III, Chap. 11) et Il précise les conditions du désarmement, de la démobilisation, de la réinsertion des combattants et de leur intégration dans l’armée nationale. (Titre II, Chap.8, 9, 10 et Annexe 2/ II et III).
Cet accord officialise l’appellation Azawad (zones saharienne et sahélienne du Nord- Mali habitées par les touaregs) et entend dans le cadre de « l’unité nationale, respecter la diversité humaine caractéristique de la Nation malienne […] éthique, culturelle, géographique, socio-économique […] socio-historique. » (Préambule et Titre I, Chap.1, Art.1). Il insiste sur les décisions qui devront être appliquées pour « une plus grande représentation des populations du Nord au sein des institutions nationales.» (Préambule et Titre I, Chap. 2, Art. 15).
Il énumère les politiques à mettre en œuvre dans les domaines économique, social, éducatif, culturel afin de faire reculer le sous-développement du Nord dont on sait qu’il est le terreau du terrorisme. Afin de ne laisser aucun intervalle à une interprétation restrictive, il décide de la création d’une Zone de développement des régions du Nord. Cette Zone devra être pilotée par un Comité consultatif interrégional et il énumère un certain nombre de réalisations à entreprendre, avec leur implantation : points d’eau, routes, aéroports, hôpitaux, écoles, (y compris l’aide aux cantines scolaires), etc. (Annexes II et III). L’Etat malien s’engageait par cet accord à dégager les moyens financiers indispensables qui devaient être abondés par des apports internationaux.__________________________
Article 3 : Les Institutions de l’Etat malien prendront les dispositions requises pour l’adoption des mesures règlementaires, législatives, voire constitutionnelles nécessaires à la mise en œuvre des dispositions du présent Accord.___________________________________
Chapitre 2 : Fondements pour un règlement durable du conflit suivants : De l’appellation Azawad
L’appellation AZAWAD recouvre une réalité socio-culturelle, mémorielle et symbolique partagée par différentes populations du Nord du Mali, constituant des composantes de la communauté nationale. Une compréhension commune de cette appellation qui reflète également une réalité humaine, devra constituer la base du consensus nécessaire, dans le respect du caractère unitaire de l’Etat malien et de son intégrité territoriale.[…]
La dimension socio-politique des crises cycliques qui ont jalonné le Septentrion malien nécessite un traitement politique.[…]______________________
Une Charte pour la Paix, l’Unité et la Réconciliation nationale sera élaborée, sur une base consensuelle, en vue de prendre en charge les dimensions mémorielle, identitaire et historique de la crise malienne et de sceller son unité nationale et son intégrité territoriale._____________________________
Des mesures destinées à assurer une meilleure gouvernance
- la mise en place d’une architecture institutionnelle fondée sur des Collectivités
territoriales dotées;
- la gestion par les populations des régions concernées de leurs propres affaires sur la base du principe de la libre administration ;
- une plus grande représentation des populations du Nord au sein des institutions nationales
-la mise en place d’une Zone de Développement des Régions du Nord, dotée d’un Conseil consultatif interrégional et d’une Stratégie Spécifique de développement adaptée aux réalités socio-culturelles et géographiques ainsi qu’aux conditions climatiques. La Stratégie sera financée notamment par un Fonds pour le développement durable dont les ressources proviendront de sources publiques nationales et de contributions internationales ;________________________
TITRE II : QUESTIONS POLITIQUES ET INSTITUTIONNELLES
Chapitre 3 : Cadre institutionnel et réorganisation territoriale
Article 6 : Les Parties conviennent de mettre en place une architecture institutionnelle permettant aux populations du Nord, dans un esprit de pleine citoyenneté participative, de gérer leurs propres affaires, sur la base du principe de libre administration et assurant une plus grande représentation de ces populations au sein des institutions nationales. A cet effet, il est prévu les dispositions ci-après :
Au niveau local
- La région est dotée d’une Assemblée Régionale élue au suffrage universel direct, bénéficie d’un très large transfert de compétences, de ressources et jouit des pouvoirs juridiques, administratifs et financiers appropriés […]
- Les cercles (équivalents de nos départements, NDLR) et les communes sont dotés d’organes délibérants (Conseil de cercle et Conseil communal) élus au suffrage universel direct et dirigés par des bureaux ayant une fonction exécutive avec à leur tête un Président du Conseil de cercle et un Maire élus __________________________
Chapitre 5 : Représentation de l’Etat et contrôle de légalité
Article 11 : L’Etat, à travers son Représentant, exerce un contrôle de légalité a posteriori des actes administratifs des collectivités territoriales. Les modalités d’exercice de ce contrôle sont définies par la loi.______________
Chapitre 6 : Financement et moyens
Article 13 : Additionnellement à la fixation des taux des taxes, redevances et impôts locaux, telle que stipulé à l’article 8 du présent Accord, chaque région jouit de la latitude de créer des impôts adaptés à sa structure économique et à ses objectifs de développement dans le cadre de la loi.
Article 14 : L’Etat s’engage à mettre en place, d’ici l’année 2018, un mécanisme de transfert de 30% des recettes budgétaires de l’Etat aux collectivités territoriales, sur la base d’un système de péréquation, avec une attention particulière pour les régions du Nord, selon des critères à déterminer.____________
TITRE III : QUESTIONS DE DEFENSE ET DE SECURITE
Chapitre 8 : Cantonnement, intégration et désarmement, démobilisation,___
TITRE IV : DEVELOPPEMENT SOCIO-ECONOMIQUE ET CULTUREL
Chapitre 12 : Stratégie Spécifique de Développement
Article 33 : Il est créé une Zone de Développement des Régions du Nord, dotée d’un Conseil consultatif interrégional constitué des représentants des Assemblées Régionales concernées et chargé exclusivement de la coordination des efforts et de la mutualisation des moyens en vue d’accélérer le développement socio-économique local et d’autres questions connexes_____________________
Chapitre 13 : Mobilisation en faveur d’un développement des régions du Nord
Article 38 :
A cet égard, les Parties conviennent de mettre en œuvre toutes les mesures à court, moyen et long termes énoncées dans l’annexe relative au développement socioéconomique et culturel.
Le Gouvernement soumettra, dès les premières sessions au Comité de Suivi de l’Accord, un document précisant ses engagements en la matière, les moyens propres qu’il envisage de mobiliser ainsi que le calendrier de mise en œuvre des engagements tels que convenus et concernant notamment les domaines suivants:
- services sociaux de base;
- développement des ressources humaines;
- sécurité alimentaire;
- développement rural (agriculture, élevage et activités pastorales);
- infrastructures structurantes, en vue d’assurer le désenclavement des régions du Nord;
- mines et énergie solaire;
- emploi, en particulier pour les femmes, les jeunes et les anciens combattants ;- création d’entreprises locales;
- réinsertion et réhabilitation des rapatriés, des personnes déplacées et autres groupes vulnérables;
- artisanat, tourisme, commerce et communications; et
- éducation et culture.____________________________________
TITRE V : RECONCILIATION, JUSTICE ET QUESTIONS HUMANITAIRES
Chapitre 14 : Réconciliation et Justice
Article 46 : Les Parties conviennent de promouvoir une véritable réconciliation nationale fondée sur les éléments ci-après :
- élaboration d’une Charte nationale pour la paix, l’unité et la réconciliation nationale […]
- création d’une Commission d’enquête internationale chargée de faire la lumière sur tous les crimes de guerre, les crimes contre l’Humanité, les crimes de génocide, les crimes sexuels et les autres violations graves du Droit international, des Droits de l’homme et du Droit international humanitaire sur tout le territoire malien ;
- réaffirmation du caractère imprescriptible des crimes de guerre et crimes contre l’humanité et engagement des Parties à coopérer avec la Commission d’enquête internationale ;
- non amnistie pour les auteurs des crimes de guerre et crimes contre l’Humanité et violations graves des Droits de l’homme, y compris des violences sur les femmes, les filles et les enfants, liés au conflit __________________________
Chapitre 17 : Rôle de la Médiation
Article 52 : La Médiation, sous l’égide de l’Algérie en tant que Chef de file, est le garant politique de l’Accord et du respect de ses dispositions par les Parties. ___
Article 66 : Les annexes ainsi que la Déclaration des Parties au Processus d’Alger signée à Alger le 19 février 2015, font partie intégrante de l’Accord et ont la même valeur juridique que les autres dispositions du corps du texte.
Annexe III (extraits)
Au titre de l’amélioration de l’accès aux Services Sociaux de Base, il sera procédé à ce qui suit ;
- La poursuite des actions de réhabilitation des formations sanitaires détériorées et la construction et l’équipement de nouveaux centres de santé communautaire;
- La construction d’un hôpital régional à Kidal et à Ménaka ;
- Renforcement de l’accès des étudiants issus du Nord aux programmes de bourses d’études de coopération ;
- Le renforcement de la fourniture des soins aux populations en milieu nomade, par le déploiement d’équipes mobiles polyvalentes itinérantes pour l’offre des soins préventifs et curatifs ;
- La réhabilitation des centres de formation et des services déconcentrés de l’emploi dans les régions de Kidal, Gao et Tombouctou ;
- La création d’un lycée technique public dans chaque région ;[…]
- Le renforcement de l’adduction d’eau de la ville de Gao ;
- Le renforcement de l’adduction d’eau de la ville Tombouctou ;
- La réalisation de l’Aqueduc ln Esseri - ln Tebzaz—Kidal._______________