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24 novembre 2023 5 24 /11 /novembre /2023 10:37

Par Yves Verdeil

(Dernière mise à jour, le 25 novembre 2023 à 8h.)

Le docteur Yves Verdeil habite à Nîmes. Né en 1947, il est diplômé de l'Université de  Montpellier (maîtrise de biochimie en 1971; docteur en médecine en 1979; certificat d'études spéciales de médecine du sport en 1986). Elu conseiller générl (PCF) du canton de Roujan (Hérault) de 1976 à 1988.   Il est le fondateur de l’association « Ernesto et Enfants de Bolivie »

 

 

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Je reviens donc de mon voyage annuel en Bolivie, après 3 semaines qui m'ont conduit de Trinidad, capitale du département amazonien du Beni à Cochabamba et ses montagnes, pour terminer au hameau de La Higuera via Vallegrande, étape qui m'est indispensable pour continuer de faire vivre en moi le souvenir du "Che" et celui de ses guérilleros, ces hommes complets dont il aimait à dire qu'ils étaient l'échelon le plus élevé de l'espèce humaine.

Ce voyage a suscité bien des réflexions que je pourrais résumer par cette interrogation : "quel avenir pour la Bolivie?" Ou "d'un espoir sans réserves à un scepticisme provisoire (?)."

Pour éviter toute lassitude et surcharge à mes amies, amis et camarades lectrices et lecteurs, j'ai décidé de vous livrer mes impressions en 3 épisodes: aujourd'hui mon appréciation sur la situation politique bolivienne, demain ou un jour suivant l'état actuel de la santé publique et du système de santé, et enfin mon séjour à La Higuera.

 

La Bolivie, grande comme 2 fois la France et peuplée, dans l'attente du prochain recensement (le censo), prévu en 2024, de près de 12 millions d'habitants, est un pays où se côtoient de grands contrastes géographiques et de grandes disparités sociologiques, ethniques ou culturelles.

La constitution de 2009 élaborée sous le gouvernement de Evo Morales, indien Aymara, président de gauche de 2005 à 2019 et fondateur du MAS ( le movimiento al socialismo), approuvée par référendum, portait création d'un état plurinational, redéfinissait le multiculturalisme et renforçait la représentation nationale des peuples indigènes.

Elle aurait pu ouvrir la voie à une cohabitation fructueuse entre les autochtones, majoritaires démographiquement dans les départements andins (La Paz, Oruro, Potosi), périandins (Cochabamba ,Chuquisaca) et les créoles blancs des départements du sud-est constituant la demi-lune (Santa-Cruz, Beni, Pando) parmi lesquels Santa-Cruz prétend au statut de locomotive économique du pays, sans oublier ,au sud le département de Tarija.

Mais il eut fallu une opposition respectueuse des règles démocratiques, débarrassée de ses préjugés racistes, hostile à toute vélléité séparatiste, et acceptant le principe de l'exercice de la fonction présidentielle par un indien, de surcroit cocalero (cultivateur de feuilles de coca).

La stratégie de la tension a été rapidement mise en oeuvre dans les départements de Santa-Cruz et à un degré moindre, du Beni, mais c'est après les élections présidentielles de 2019 par lesquelles Evo Morales sollicitait un 4ème mandat que, prétextant une fraude totalement démentie par les experts internationaux mais dont la rumeur fut cyniquement propagée par l'O.E.A, que l'opposition est délibérément sortie du cadre institutionnel et a créé une situation de guerre civile débouchant sur un coup d'état.

Evo Morales fut invité à démissionner par son chef d'état major, un certain général Kaliman, et se réfugia d'abord au Mexique puis en Argentine, et une obscure sénatrice , la nommée Jeanine Añez, sans aucune expérience politique, native de Trinidad (capitale du Beni),s'autoproclama présidente, bible en main et croix ostensiblement portée en médaille, en déclarant assurer l'intérim jusqu'au prochaines élections présidentielles prévues pour octobre 2020.

Pendant cette période une violente répression a ciblé d'abord des ministres du MAS,  gouverneurs régionaux (les départements sont aussi appelés régions),des maires ( qui ne se souvient de ces images insoutenables où l'on peut voir la maire de Vinto, près de Cochabamba, Patricia Arce, sortie par la force de son bureau, barbouillée de peinture rouge, les cheveus coupés ras, obligée de marcher pieds nus pendant des kilomètres?) puis des militants ou des sympathisants du MAS, indistinctement.

On peut dire aujourd'hui que cette répression a privé le MAS de nombre de ses cadres, et contribué à l'affaiblir.

L'élection présidentielle d'octobre 2020 qui a suivi cette sinistre période a vu la victoire sans bavure du candidat du MAS, Luis Arce Catacora, avec près de 55% des suffrages, et de son binôme, David Choquehuanca, respectivement à ce jour président et vice-président de la Bolivie.

Mais cette victoire qui a réjoui les démocrates du Monde entier, bien que suivie en 2021 par l'incarcération de Jeanine Añez, puis de celle, en 2022 du gouverneur fasciste de Santa-Cruz Luis Fernando Camacho, pour le "bloqueo" de Santa-Cruz qui a duré 36 jours et a été le théâtre de scènes de violences où le lumpenprolétariat a été le bras armé de l'extrême droite et des évangélistes (scènes que j'ai vécues de visu), n'a pas, de mon point de vue, élargi la base populaire du MAS, pas plus qu'elle n'a affaibli l'opposition d'extrême droite.

Dans l'ensemble du pays, le peuple, loin de là, n'adhère pas aux thèses de cette dernière, mais l'extrême droite semble se nourrir des divisions du MAS, de la faiblesse d'un projet politique authentiquement transformateur, du manque d'ossature politique de certains de ses cadres quand ce n'est pas de la corruption, à priori minoritaire, mais avérée de certains cadres locaux.

Par mes rencontres j'ai pu mesurer la défiance qui pointe dans des groupes sociaux jusque-là favorables au MAS.

Comment en est-on arrivés là après les 3 mandats de Evo Morales, de 2005 à 2019 et les 3 ans de Luis Arce?

Comment expliquer le décrochage de nombreux secteurs du mouvement social dont le MAS déclarait être le représentant?

Le MAS, expression des mouvements sociaux d'après Evo Morales, n'est pas structuré comme un parti politique classique : il se compose de plusieurs courants (indigéniste, marxiste, social-démocrate, populiste de gauche,) qui jusqu'à présent ont été en synergie, et n'a pas d'idéologie précise.

L'opposition interne avérée entre ces différents courants me semble être aujourd'hui le symptôme révélateur des difficultés politiques du MAS. On peut en tenter l'inventaire .

J'ai parlé de la répression qui a frappé le MAS dès 2019 et l'a privé d'un certain nombre de cadres intermédiaires.

Il faut aussi souligner l'épidémie de covid-19 qui a frappé le pays de 2020 à 2022 et qui en a fait le pays à plus fort taux de mortalité: près de 1,2 de gens infectés pour 22 300 décès environ.

Cette épidémie qui a surtout révélé les impérities du

"gouvernement" Añez, a aussi mis crûment en évidence l'impréparation du personnel, le manque criant d'équipements dans les hôpitaux publics, en un mot l'obsolescence d'un système de santé. J'en parlerai plus tard.

Pendant les mandats de Evo ,son programme "Evo cumple" est apparu à de nombreux Boliviens plus comme une posture que comme un ensemble de réalisations concrètes : de grands stades couverts et peu utilisés à l'entrée des villes petites ou moyennes, des hôpitaux comme celui de Santa Rosa ,que j'ai visité, au coeur de l'Amazonie, et qui est un bel édifice sans équipements pour accueillir les patients,( un éléphant blanc disent mes amis médecins) , un hôpital de 3ème niveau (le plus élevé) à Trinidad, dont je reparlerai et qui attend depuis des années que s'achève la dernière tranche de ses travaux !!!

Mais aussi et surtout des évènements de plus grande portée symbolique ont contribué à ce que s'installe un certain décrochage avec les forces sociales sans lesquelles le MAS ne serait jamais arrivé à diriger la Bolivie : la puissante centrale syndicale COB et sa non moins puissante fédération des mineurs, la CSUTCB ( confédération syndicale unifiée des travailleurs paysans de Bolivie),la confédération syndicale des femmes paysannes autochtones, et aussi la FEJUVE( fédération des assemblées d'habitants) particulièrement active à El Alto, et qui a méné les batailles victorieuses pour l'eau de 2001 à 2005 et pour le gaz en 2003.

Quels sont ces évènements?

- D'abord le conflit du TIPNIS (territoire indigène et Parc national isibora segure) ,territoire se situant entre le Beni et Cochabamba, de 12 000 km carrés habité par des peuples autochtones.

Le gouvernement de Evo Morales avait prévu de faire une route de 306 km coupant ce territoire en 2 et sacrifiant le mode de vie des indigènes ,lesquels décidèrent d'une marche Trinidad- La Paz en août 2011 au cours de laquelle la police intervint par la force et réprima durement les manifestants en même temps que Evo les traitait d'ennemis de la Bolivie !!

-ensuite le scandale de la corruption liée au fonds autochtone créé en 2005 pour faire bénéficier les organisations paysannes et autochtones des fonds liés à l'exploitation des hydrocarbures, qui éclata en 2015 par la révélation de l'enrichissement illicite d'une partie des cadres du MAS mais qui ne fut suivi d'aucune sanction contre les dirigeants responsables.

-je terminerai, sans prétendre être exhaustif, avec la manifestation des personnes handicapées de 2016 à La Paz, venues pour réclamer une augmentation de leurs pensions, dérisoires, et reçues par des gaz lacrymogènes et des canons à eau.

Comment le MAS pourra-t-il surmonter ces blessures occasionnées à ceux-là même qu'il était censé représenter, qu'en est-il de ce mouvement de la société qu'il devait favoriser pour aller vers le socialisme et comment redynamiser le mouvement social dont le MAS devrait être le prolongement?

Sous la présidence de Luis Arce, économiste de formation, il semblerait qu'il y ait une pause dans le processus de transformation sociale et qu'on aille vers une "modernisation" à caractère libéral de l'économie, avec persistance de l'extractivisme mais aussi cohabitation envisageable avec le pouvoir agro-économique dominant : l'agriculture industrielle, les latifundistes et les grands éleveurs, et le capital financier dont les banques qui fleurissent à Santa - Cruz. N'est-ce qu'une désagréable impression?

Luis Arce va se représenter en 2025,il en a exprimé la volonté, de même que Evo Morales, qui, actuellement s'est retité dans le Chaparre, cette partie du département de Cochabamba où il a fait ses débuts de dirigeant syndicaliste. Il continue à avoir une réelle influence dans le MAS,(mais n'est pas crédité d'un bon score aux prochaines présidentielles), et a pesé pour choisir les candidats aux élections municipales et régionales, choix pas toujours pertinents si j'en juge par le gouverneur du Beni qui représente autant le MAS qu'un athée le saint-siège !!!!

Evo ne se prive pas de critiquer publiquement certains ministres du gouvernement Arce et a évoqué l'existence d'une "frange de droite" au sein du gouvernement. La division pour faire quoi?

Pour terminer cette partie ,je dirai qu'entre proclamation d'une orientation à gauche mais rupture (non définitive j'espère) avec une grande partie de sa base, glissement progressif vers une politique économique qualifiée de "moderne" mais qui, malgré de rares redistributions, n'a plus rien de socialiste, le MAS s'éloigne de ses racines. Il pourra encore compter sur le vote des acteurs du mouvement social qui savent qu'il ne faut rien attendre de la droite et de son extrême, mais jusqu'à quand?

Mon souhait qui est aussi une réponse à la question posée plus haut : que le peuple, avec ses confédérations ouvrière et paysanne, la FEJUVE, les classes progressistes urbaines et le, mouvement écologiste, reprenne la parole et le mouvement, et que le MAS en tienne compte, rien n'est encore perdu.

Sans cela ,l'extrême droite et le fanatisme religieux à l'oeuvre dans la région du pays à plus forte croissance économique, risquent d'aller beaucoup plus loin que les "bloqueos" qu'ils organisent périodiquement.

 

A bientôt pour la seconde partie.

 

Evo Morales et Che GuevaraEvo Morales et Che Guevara

Evo Morales et Che Guevara

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