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Par Yves Verdeil
Je vous livre comme prévu, ce jour, la deuxième partie de mes impressions de voyage en Bolivie, laquelle concerne la santé.
Il persiste dans ce domaine de bien grandes inégalités dans l'accès aux soins qui sont la conséquence selon moi de trois facteurs:
- une protection sociale morcelée et pas au niveau des besoins.
-une présence médicale inégalement répartie sur l'ensemble du territoire au détriment des aires rurales. Dans celles-ci il arrive qu'il n'y ait quelquefois aucune structure de soins.
- enfin des facultés de médecine relevant de l'enseignement public qui n'assurent pas de formation de qualité dans des disciplines essentielles comme, par exemple, l'imagerie médicale, la chirurgie vasculaire ou encore la neurochirurgie et des hôpitaux publics mal dirigés, laissés trop souvent aux mains de médecins peu scrupuleux essentiellement désireux de s'enrichir.
Résultat, une grande partie de la population renonce à se soigner ou interrompt des traitements trop coûteux, et voient leur pathologie évoluer vers de graves complications.
Examinons de plus près chacun de ces aspects.
La protection sociale, malgré de réelles avancées dans les deux premiers mandats de Evo Morales, avec notamment la création du Seguro Universal de Salud ou SUS ( assurance santé universelle) n'a pas connu ensuite les évolutions indispensables pour faire face aux besoins d'aujourd'hui.
Généralement, l'absence d'une caisse unique, la présence de caisses affichant de grandes disparités dans la protection sociale, une gestion bureaucratique et paperassière envahissante avec multiplication des formulaires de prise en charge, génèrent de l'inégalité dans l'accès aux soins et de l'inefficacité dans leur exécution.
Le S.U.S a été créé pour couvrir toutes les personnes non assurées de la naissance à la mort, mais ses bénéficiaires apparaissent comme des patients qui ont moins de droits que les autres.
Pour des raisons échappant à la raison médicale, certaines spécialités de médicaments ne sont pas remboursées dans des maladies aussi importantes que le diabète ou l'hypertension artérielle. De même pour certains examens de laboratoire comme les bilans thyroïdiens notamment, indispensables dans un pays à forte prévalence de goîtres.
Les personnels des services publics ou travaillant dans les hôpitaux ont une protection sociale particulière, c'est la Caja Nacional (caisse nationale) qui fixe sa propre couverture ,différente du S.U.S, et qui gère aussi des hôpitaux réservés aux adhérents.
D’autres caisses, que je ne cite pas, existent aussi pour d'autres secteurs d'activité et certains départements disposent eux-mêmes de leur propre couverture sociale.
A ce jour, aucun projet de caisse nationale avec cotisation unique payée par les employeurs et part sociale du salaire, le seul en mesure de réduire l'inégalité face à la maladie, ne semble être en préparation dans l'esprit ou les dossiers du ministère de la protection sociale !
L'inégalité dans la densité médicale évoquée plus haut touchant durement certaines parties du territoire, notamment, dans certaines communautés rurales, l'absence de centres de santé, qui représentent le premier niveau du service public de santé, fait que certaines maladies chroniques, comme le diabète de type 2 dont la prévalence augmente en Bolivie, sont dépistées tardivement et traitées au stade de complications ophtalmologiques, vasculaires ou rénales, c'est à dire irréversibles.
Par ailleurs les insulines les plus performantes sont soit absentes dans le commerce,soit accessibles dans les grandes villes mais non remboursées par la protection sociale et de ce fait non accessibles à la plupart des familles.
C'est ainsi que des patients sont soit amputés, soit dialysés, soit frappés de cécité pour des complications qui ne devraient pas survenir dans cette maladie.
Le diabète de type 2 me semble l'exemple le plus propédeutique, mais j'aurais aussi pu évoquer les malformations néonatales, les hydrocéphalies de l'enfant ou les cancers.
Avant d'aborder la question de la formation universitaire et des hôpitaux publics, il me semble important d'apporter quelques précisions.
En Bolivie, le ministère de la santé fixe le budget et organise la politique de santé, laquelle se décline au niveau national, régional (les départements) et local (les mairies).
Les hôpitaux et les structures de soins constituant le service public de santé sont classés en 3 catégories:
-premier niveau : les postes de santé gérés par les mairies
-deuxième niveau: les hôpitaux comprenant un minimum de services dont les urgences, mais dépourvus de scanner ou d'IRM également gérés par les mairies.
-troisième niveau : les hôpitaux complets, avec services de chirurgie et d'imagerie, gérés par le gouvernement régional.
La situation des facultés de médecine et des hôpitaux publics sont le dernier aspect, mais non le moindre, des causes de l'inégalité dans l'accès aux soins.
Beaucoup de facultés de médecine publiques ne disposent pas des filières ouvrant à des spécialités telles que celles évoquées au début de ce propos. En conséquence les étudiants désirant acquérir ces formations vont soit dans des facultés privées ( comme la faculté japonaise à Santa-Cruz,) très chères, soit dans des pays étrangers (Mexique, Brésil, Argentine) et aussi Cuba dont on ne soulignera jamais assez le haut niveau de formation de ses médecins dans toutes les spécialités et l'aide qu'elle apporte à tous les pays du continent, malgré le contexte de blocus criminel qu'elle subit.
(Signalons à propos de Cuba, que depuis le coup d'état de 2019,il n'y a plus de médecins cubains en Bolivie. Certains centres de santé où exerçaient des médecins cubains ont été saccagés et les médecins molestés et même certains emprisonnés !!
Le gouvernement cubain a donc rappelé à juste titre ses médecins et décidé qu'ils ne reviendraient pas en Bolivie pour éviter de donner des armes à l'extrême droite.)
Donc, la plupart de ces médecins et chirurgiens, pensent ensuite que leur haut niveau de formation les autorise à exiger des honoraires exorbitants et ce dans l'enceinte même de l'hôpital public. Les personnes de revenus très modestes renoncent donc aux soins et voient leur maladie se prolonger jusqu'à des complications définitives.
Autre technique pour accroitre leurs revenus: multiplier les indications chirurgicales dans des affections qui ne les nécessitent pas.
D'autres médecins, notamment ceux avec lesquels nous travaillons, ont une pratique plus conforme à l'éthique médicale mais souvent observent, impuissants, leurs confrères se comporter en marchands du temple.
Et que fait, dans nombre de situations, le gouvernement régional qui a la responsabilité de la gestion des hôpitaux? Il ne proteste même pas et, avec le silence de certains médecins directeurs des hôpitaux, laisse se développer de telles pratiques, soit par paresse, soit par opportunisme. Dans un pays où, régulièrement, les salaires des médecins hospitaliers sont versés avec un trimestre de retard, est-ce une façon de diviser pour juguler toute protestation?
Chacune et chacun pourra ici légitimement considérer que, dans notre pays, la gestion managériale de l'hôpital public et la financiarisation de l'activité médicale ne nous autorise pas à nous poser en donneurs de leçons. Certainement, mais comment accepter qu'un gouvernement qui veut conduire son pays vers le socialisme, ne soit pas en capacité de mettre en place un système de santé accessible à tous, égalitaire et démocratique?
Pourquoi ce qui a été réalisé à Cuba, et avec quel succès, ne serait pas possible en Bolivie?
Cette question renvoie à l'ossature idéologique du MAS, à la volonté politique de ses dirigeants et à une nécessaire réflexion de fond sur le sens d'une Révolution laquelle, sans développement continu, risque de céder peu à peu la place à une organisation de la société décidée par le capitalisme.
A très bientôt pour le dernier épisode de ce récit de voyage avec l'évocation du "Che".