l'Humanité
Trois ans presque jour pour jour après l’assassinat de Samuel Paty, l’ensemble de la communauté éducative est à nouveau sous le choc après le meurtre, ce vendredi 13 octobre à Arras (Pas-de-Calais), de Dominique Bernard, un professeur de français du lycée Gambetta. Aux environs de 11 heures, un jeune homme armé de couteaux s’est introduit dans la cité scolaire Gambetta-Carnot, qui compte un collège et un lycée.
Selon plusieurs témoignages, l’enseignant a été frappé devant l’établissement. Une fois à l’intérieur, a détaillé à l’AFP une source policière, l’assaillant a frappé un agent territorial, puis un second professeur qui tentait de s’interposer. Tous les deux ont été hospitalisés, le premier en état d’urgence absolue. Aucun élève ni aucun autre membre du personnel n’ont été atteints, l’alerte intrusion ayant été donnée et les enseignants ayant pu placer les classes en confinement.
L’auteur des coups de couteau répondrait au nom de Mohamed Mogouchkov. Âgé de 20 ans, de nationalité russe (ou, selon certaines sources, tchétchène ou ingouche), c’est un ancien élève du lycée. Selon certains témoignages, il aurait crié « Allah akbar » en agissant, et aurait également été à la recherche d’un professeur d’histoire. Il a été interpellé aussitôt après les faits – de même, ensuite, que son frère et d’autres membres de la famille. Ils ont été placés en garde à vue, une enquête notamment pour « assassinat en relation avec une entreprise terroriste » ayant été confiée au parquet national antiterroriste.
L’assaillant avait été contrôlé jeudi
Arrivé en France en 2008, le jeune homme était fiché S et faisait l’objet, depuis cet été, d’une surveillance active comprenant, selon des sources du renseignement consultées par l’AFP, des filatures et écoutes téléphoniques qui « n’avaient pas mis en évidence, ces derniers jours, d’éléments permettant d’annoncer un passage à l’acte ». Un de ses frères avait d’ailleurs été jugé en avril par la cour d’assises spéciale de Paris pour un projet d’attentat déjoué en 2019, et se trouve actuellement sous les verrous. Les mêmes sources ont indiqué à l’AFP que le jeune homme avait été contrôlé jeudi « sans qu’aucune infraction ne puisse lui être reprochée », et que son profil était celui d’un « individu radicalisé dont le potentiel est connu mais qui décide de passer subitement à l’acte ».
Le chef de l’État, Emmanuel Macron, est arrivé sur place dans l’après-midi, accompagné des ministres de l’Intérieur, Gérald Darmanin, et de l’Éducation, Gabriel Attal. Il a salué le courage de l’enseignant assassiné, qui a par son intervention « sans doute sauvé lui-même beaucoup de vies ». Il a révélé qu’une autre tentative d’attentat, « dans une autre région », avait été déjouée. Les ministres ont annoncé conjointement avoir demandé que la surveillance soit renforcée autour des établissements scolaires dans tout le pays, et à l’heure de la sortie des classes, il a été constaté dans plusieurs grandes villes que c’était bien le cas.
« Que tout le pays se mobilise pour protéger son école »
Gabriel Attal a convié les syndicats enseignants à une rencontre ce vendredi soir. Les responsables de ceux-ci témoignaient d’une profession « sous le choc », en raison de la proximité avec l’anniversaire de l’assassinat de Samuel Paty, mais aussi du contexte du conflit israélo-palestinien, dont on peut redouter des conséquences sur le territoire national. Tandis que l’Association des professeurs d’histoire-géographie (APHG) manifestait sa « douleur » et sa « sidération », des rassemblements étaient annoncés dès vendredi soir à Arras, Amiens et dans d’autres villes. Pour Sophie Vénétitay, secrétaire générale du Snes-FSU, « il y a encore des professeurs qui se font tuer sur leur lieu de travail, parce qu’ils font leur métier. C’est juste inacceptable, et il va vraiment falloir que tout le pays se mobilise pour protéger son école ». Ce sera sans aucun doute l’enjeu des tout prochains jours.
Ethan Poulain, 19 ans, passe tous les jours devant ce lycée pour se rendre en cours dans un autre établissement, mais ce samedi, il marque une pause pour se recueillir. « Je voulais déposer une bougie », confie-t-il la voix tremblante. « On croit que ça n’arrive qu’ailleurs, mais quand ça arrive chez nous, c’est choquant ».
Un homme vient déposer des fleurs sur un banc en face de l’entrée du lycée, avant de repartir très vite. Le lycée est habituellement ouvert le samedi mais après l’attaque, les cours ont été annulés. Quelques personnes rentrent au compte-gouttes dans l’établissement, gardé par des policiers derrière une rubalise jaune. Sur la porte d’entrée, une petite affiche indique : « Cellule de soutien médico-psychologique au personnel et pour les élèves ».
Camille, 17 ans, élève de première au lycée, a assisté à la scène de l’attaque intervenue au moment de l’intercours à 11 heures vendredi. « C’est mieux de laisser le lycée ouvert, que tout le monde puisse venir, parler, pour faire son deuil », estime-t-il. Une façon de montrer qu’il faut « résister au terrorisme ».
Originaire d’Arras, Dominique Bernard, professeur agrégé de lettres modernes de 57 ans, était père de trois grandes filles et marié à une enseignante. Il était « apprécié de ses élèves et de ses collègues », selon les témoignages recueillis par l’AFP
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Professeur d’histoire géographie à Avion, Xavier Schmidt a travaillé avec Dominique Bernard, professeur assassiné dans l'établissement Gambetta d'Arras ce vendredi . Il est sous le choc.
« Gambetta, c’est une cité scolaire, avec un collège et un lycée. C’est un gros établissement qui accueille plus de 2 000 élèves. Dominique Bernard enseignait au collège, depuis longtemps. Dominique, c’était quasiment une institution. C’est aussi le genre de professeur qui marque les élèves.
J’ai travaillé à Gambetta, voici quelques années. Nous avions des atomes crochus. C’était un homme à la fois extrêmement cultivé, délicat, curieux, intéressant.
Il était surtout hyper intègre. C’est vraiment l’image que j’ai de lui, comme de sa femme. C’était un homme fidèle à ses convictions, avec un profond attachement à l’institution scolaire et à ses valeurs. C’est quelqu’un qui pouvait s’indigner facilement, au nom de ses principes. Son acte de courage ne me surprend pas, précisément en raison de cette profonde intégrité.
Ce drame a quelque chose de complètement irréel. J’ai croisé son épouse jeudi soir. Nous avons discuté un moment. Je ne les avais pas vus depuis plusieurs mois, et nous avons échangé quelques banalités. Je ne réalise toujours pas ce qui s’est passé.
Au moment de la mort de Samuel Paty, comme tous mes collègues d’histoire-géographie, je me suis identifié à lui. Parce que nous avons tous travaillé sur ce genre de séquences, et obtenu des réactions similaires. Mais là, avec Dominique, c’est complètement fou. C’est étrange de voir ériger en figure héroïque du quotidien quelqu’un que l’on connaît. Je suis abasourdi. »
Propos recueillis par Caroline Constant