Pour la 11e année, le miracle se renouvelle, grâce à la remarquable équipe de bénévoles (1) de l’association Viv’alto, sous la présidence de Marie-Hélène Bénéfice et la direction artistique de Pierre-Henri Xuereb. La secrétaire étant Françoise Granier et la trésorière Evelyne David.
Après Saumane, la 11e Fête de l’Alto, s’est donc ouverte lundi 21 août à l’Eglise Saint-Pierre de Lasalle.
Je suis toujours impressionné par le silence qui succède au brouhaha, à l’instant magique de l’entame d’une œuvre. En l’occurrence, il s’agissait, interprété par Pierre-Henri Xuereb à la viole d’amour, Niu Ruixin à l’alto et Raphael Wallfisch au violoncelle, de l’Andante BWV 528 de J.S Bach, dont le calme et la sérénité pénétrèrent l’assistance. Puis je découvris, avec Pierre-Henri Xuereb à l’alto et Raphaël Wallfisch au violoncelle, la compositrice anglo-germano-étatsunienne, Rebecca Clarke, dans Lullaby grotesque, que je traduirais par « berceuse clownesque », tant elle me parut enjouée, joyeuse, et dans laquelle affleurent des échos de danses populaires. Nous fument émus par le chant mélancolique des trois lieder du Winterreise de F. Schubert et Alessandro Solbiati, sous l’archer de Pierre-Henri Xuereb et de Christophe Giovaninetti.
Autre découverte, le compositeur polonais Mieczyslaw Weinberg qui se réfugia en URSS pour échapper aux persécutions nazies, mais où il fut un temps emprisonné pour « activités sionistes ». Dmitri Chostakovitch, dont il était très proche, admirait ses compositions. Sous l’archer de Raphaël Wallfisch, l’ampleur des développements de la Sonate pour violoncelle, est à la mesure de l’immensité des steppes d’Ouzbekistan. Du ventre, montent, montent jusqu’à leur paroxysme, les accents de la passion.
Nicolas Delclaud et Christophe Giovaninetti au violon, Niu Ruixin à l’alto, Pierre-Henri Xuereb à la viole d’amour et Raphaël Wallfisch au violoncelle, très inspirés, nous donnèrent en clôture de la soirée, l’Allegro,l’ Adagio et le Scherzo du Quintette à do majeur opus 29 de Beethoven.
Mardi, la Fête de l’Alto s’est poursuivie dans les profondeurs de la grotte de Trabuc. Puisse ma plume restituer l’atmosphère féérique de cette soirée :
« Muse, souffle divin, prêtez-moi vos miracles !
O mon esprit, et toi, qui redis ces spectacles,
C'est là qu'en son éclat paraîtra ta grandeur ! »(2)
La longue descente, accompagnée par le murmure de l’eau qui s’égoutte des voûtes, au milieu des draperies de calcaire qui encadrent de mystérieuses stalagmites témoins d’une intense vie souterraine, nous imprègne peu à peu d’irréalité, et lorsque nous atteignons le lac, les accents du violon de Christophe Giovaninetti montent vers nous comme des fleurs à l’assaut des parois de la grotte et donnent vie à la méduse du plafond, tandis que la chauve-souris déploie ses ailes. Tour à tour, Niu Ruixin et Pierre-Henri Xuereb à l’alto, puis Raphaël Wallfisch au violoncelle vont peupler ces profondeurs d’êtres surnaturels entraînés dans des sarabandes endiablées, avant que les notes épurées de l’alto de Niu Ruixin, dans Qing une composition de Xu Yi, nous délivre un message de sérénité, de générosité, inspiré de la philosophie taoïste.
L’île de Malte, en Méditerranée, entre Sicile et Lybie, au carrefour des civilisations méditerranéennes et d’Europe qui ont laissé leur empreinte dans sa culture, ne fut pas qu’un refuge de corsaires, c’est aussi une pépinière de musiciens. Pierre-Henri Xuereb nous présente avec émotion le berceau de sa famille et, accompagné de Niu Ruixin, de Yibin Li, il interprète en première mondiale une œuvre de Ludovico Beretta qui date de 1625, Canzo a quatro pour viole d’amour. Nous découvrirons également Nicolo Isouard-Xuereb (dit de Malte, 1775-1818) et ses illustrations musicales de La Joconde et de Cendrillon, ainsi que sa nièce Anete (1814-1876) dans Confidence pour 2 altos. Altos et violoncelles seront ensuite très sollicités avec les deux mouvements de la Sonate pour violon et violoncelle de Maurice Ravel et l’Adagio de Beethoven sur un manuscrit de Sébastien Comberti. La soirée se terminera sur les airs de fêtes du Duo pour violoncelles de Jacques Offenbach (1819-1880) par Philippe Muller et Raphaël Wallfisch.
Saint-Christol-lez-Alès nous accueillait mercredi pour un programme de musique égyptienne ancienne et contemporaine. L’alto était présent grâce à Pierre-Henri Xuereb et à Mostafa Fahmy. Celui-ci était accompagné du nay de John Samy, des percussions de Elies Ghouraby et de la mandoline de Vincent Beer Demander. Je suis très sensible à la musique traditionnelle arabe qui, de prime abord, peut paraître répétitive et lancinante, mais dont, avec l’habitude, on finit par discerner l’extraordinaire créativité de l’agencement des notes et l’infinie diversité des nuances de ces compositions. Le trio Khemt, alto, nay, percussions, était à mon sens très représentatif de cette tradition musicale. Gamal Abdel Rahim (1924-1988) était par contre à la pointe des recherches de convergences entre tradition et modernité.
Les (nombreu.x.ses) jeunes stagiaires de l’Académie, avec la participation de leurs professeur.es, nous ont enfin ravi par la joie et l’optimisme que dégageait leur bel ensemble dans l’interprétation de Longa Nahawand du célèbre violoniste contemporain Abdo Dagher, « Le violoniste d’Umm Kalthumm », la diva dont nous aurions aimé, à cette occasion, entendre la voix :
« raesa fi fane ti ha tane ou sa tou r mi sa
r chaba lae ta fa rou bi i ra l ae na mi da na… »(3)
Je n’étais pas au concert de Saint-Jean-du-Gard, mais pour rien au monde je n’aurais manqué le concert de clôture au cours duquel se produisent les stagiaires de l’Académie. La nombreuse assistance au Temple de Lasalle, était frémissante pour les accueillir, accompagnés de leurs professeurs, sous la baguette de Pierre-Henri Xuereb. Ils nous donnèrent une interprétation joyeuse, enlevée (« Que ma joie demeure ! ») de deux mouvements de la Cantate BWV 42, Sinfonia de Jean-Sébastien Bach. Le Quatuor à cordes n° 4 en do majeur de Franz Schubert qui leur succéda, joué par deux jeunes filles et deux garçons, trois violons et un violoncelle, fut suivi, par deux jeunes filles et un garçon, deux violons et un violoncelle, dans Prélude et Fugue, K 404 a n°1 de J.S. Bach revisité par Mozart. Certain.es de ces stagiaires ont déjà acquis une belle maîtrise technique qui leur permet de colorer les œuvres de leur personnalité. Trois mouvements de La Flûte enchantée de Mozart revisitée par Paul Collin, nous ravirent par leur entrain. Le violon de Niu Ruixin et l’alto de Pierre-Henri Xuereb nous jouèrent deux lieder du Winterreise de Franz Schubert, une balade en hiver, par un temps gris sous la neige :
« Je cherche en vain dans la neige, l'empreinte de ses pas, là où nous nous promenions dans le pré. »(4)
Pierre-Henri Xuereb nous fit ensuite le cadeau inestimable d’interpréter avec virtuosité et beaucoup de sensibilité, Qing, de Xu Yi présente dans l’assistance. La pureté des sons effilés accompagnés de frémissements et d’emballements. La générosité taoïste. Nul ne sera surpris, qu’au-delà du plaisir de l’écoute, j’aie particulièrement apprécié, au plan philosophique, cette création originale qui fusionne tradition et modernité. Ce moment restera pour moi, le plu fort de cette 11e Fête de l’Alto.
La suite fut à la hauteur des attentes du public, grâce à Maurice Ravel et à Yibin Li, Niu Ruixin et Philippe Muller. Un lent murmure suivi d’envolées joyeuses. Grâce enfin au Quintette à cordes opus 97 d’Antonin Dvorak, dont Yibin Li, Niu Ruixin, Christophe Giovaninetti, Pierre-Henri Xuereb et Philippe Muller, surent nous faire partager l’atmosphère de fête au village.
Merci, ami-es de Viv’alto pour cette semaine enchanteresse.
Bernard DESCHAMPS
1er septembre 2023
1- Marie-Hélène Bénéfice, Patrick Bénéfice, Evelyne David, Marc Deprun, François Gagnier, Françoise Granier, Lyse Gras, Kamal, Danielle Lacombe, Michel Lafay, Jacques Mahnich, Dominique Rossi, Michelle Sabatier, Michel Santener, Jocelyne Zanchi.
2- Dante, L’enfer.
3-« J’ai entendu une voix appelant à l’aube
Interpelant de l’au-delà l’ensemble des gens… »
(Les Roubaïates, Omar El Khayyam)
4- Winterreise, poème de Wilhem Müller