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11 août 2023 5 11 /08 /août /2023 15:35

(Le compte-rendu du tome 1 a été publié le 23 juin sur ce blog)

   Nous sommes en 1957. Lakdar Bentobbal a reçu l’ordre de rejoindre Tunis où il arrive en mai. Pour la première fois, il quitte le maquis et la direction de la wilaya Il.  Il va  selon ses propres termes,  côtoyer les « hautes sphères ». Il a vite conscience que celles-ci sont traversées par de profondes divisions qui, selon les protagonistes, ne peuvent, en situation de guerre, se résoudre que par l’élimination physique du ou des opposants. Bentobbal rencontre Abane au Caire qui  lui déclare : « La révolution est maintenant entre nos mains, c’est nous qui la dirigeons. Il ne reste plus qu’un seul danger pour nous, c’est Boussouf et tu pourrais m’aider en l’éliminant. » (Page 13) Il se plaint en effet de Boussouf qui est au Maroc et qui fait régner la terreur parmi les djounoud qui s’y trouvent. Quelques jours plus tard, Bentobbal  a une conversation avec Belkacem Krim qui accuse Abane de devenir « de plus en plus arrogant », de se comporter « en chef suprême de la révolution » et d’avoir notamment pris seul la décision de faire de l’indépendance de l’Algérie un préalable à toute discussion avec la France (Page 15). Bentobbal nous dit avoir été en désaccord avec cette position qui était pourtant celle de la Plateforme de la Soummam (1956). Il craignait que ce soit un obstacle à l’ouverture de négociations. (P.15)    

  A l’initiative de Krim (en 1957, ndlr), avec l’accord de Bentobbal, le CCE (Comité de coordination et d’exécution) décide de remanier sa composition, en donnant la primauté aux militaires. Boussouf, Krim, Ouamrane et Bentobbal dominent désormais le CCE et Abane est marginalisé.

LA MORT D’ABANE RAMDANE

   Deux chapitres sont consacrés à la condamnation et aux circonstances de la mort d’Abane  Ramdane le 27 décembre  1957.  Boussouf, Krim, Ouamrane et Bentobbal  estiment qu’Abane qui continue « son travail de sape » (Page 44), mérite la mort. Seul Bentobbal se prononce pour un jugement préalable par un tribunal. La décision est prise d’emprisonner Abane. Une prétendue mission auprès du gouvernement  marocain, avec la participation d’Abane qui l’approuve, est inventée par « le groupe ». Abane se rend au Maroc en compagnie de Krim et de Mahmoud Cherif et, à son arrivée, il est arrêté par les services de Boussouf. Bentobbal apprendra par Mahmoud Cherif qu’Abane est mort. « Boussouf nous a  forcé la main » lui indique  Mahmoud Cherif. Le champ est dès lors dégagé pour Krim. « C’est à ce moment que nous avons compris – écrit Bentobbal) - que, pour Krim, l’élimination de Abane, n’était pas tant la sauvegarde de la révolution que la disparition d’un personnage gênant dont la présence contrariait ses projets. » (Page53) 

    En septembre 1958, le CCE prend la décision de créer le Gouvernement Provisoire de la République Algérienne (GPRA). Après de longs débats, il est décidé à la majorité que les membres du CCE seront membres du GPRA et que celui-ci sera présidé par Ferhat Abbas préféré à Belkacem Krim.  Abbas, en effet, n’étant « pas suspect de collusion avec le bloc communiste » (P. 68). Lakhdar Bentobbal devient ministre de l’Intérieur. Le GPRA sera proclamé au Caire le 19 septembre 1958, en présence de la quasi-totalité des ambassadeurs des pays arabes, malgré « le flottement » qu’avaient manifesté le Maroc et la Tunisie, qui cependant le reconnaissent. D’autres pays, notamment la Yougoslavie, seront également présents.

1958, DE GAULLE AU POUVOIR 

   Avec l’arrivée de De Gaulle au pouvoir en 1958, « La guerre est devenue une vraie guerre » nous dit Bentobbal. (P.76). La tactique de l’armée française change. Elle occupe le terrain,  « campe sur les crêtes ». C’est le rouleau compresseur du Plan Challe. La Ligne Morice minée et électrifiée, réalisée à partir de 1957 sur la frontière   tunisienne, va être doublée par la Ligne Morice à partir de 1959. 100 000 mines au km2, sont réparties sur des centaines de km 2, ce qui créera à l’ALN (Armée de libération nationale) d’importantes difficultés d’approvisionnement en armes et en ravitaillement. En 1958, Bentobbal « donne l’ordre de passer à l’action en France pour soulager l’intérieur » (Page 43). Le CCE entérine cette décision.  L’auteur consacre de nombreuses pages à la réorganisation de l’ALN  afin de s’adapter aux nouvelles conditions de la guerre. L’ALN, écrit-il,  compte en 1959-1960, 300 000 djounoud et l’armée française, 500 000 hommes et 160 000 supplétifs algériens. (P.151)  En 1959,  le CNRA créé l’EMG (Etat-major général) afin d’unifier les forces armées ; la direction en est confiée à Houari Boumediene, sur proposition de Bentobbal, en dépit des divergences qu’il avait avec lui (P.193).  

  Parallèlement aux opérations militaires, le FLN doit faire face à plusieurs opérations politiques : la « paix de braves » décrétée par De Gaulle et les amorces de discussions dissidentes par une « troisième force » dont le chef de fil sera exécuté par le FLN; les intrigues égyptiennes  et l’affaire Lamouri ; la « bleuite » et les exécutions sommaires en wilaya III… 

   Le GPRA engage en 1960 une série de visites diplomatiques afin d’obtenir des armes et l’envoi de combattants volontaires étrangers en Algérie. Accueillie à Moscou par Kossyguine, la délégation algérienne qui comprend Ferhat Abbas, Lakhdar Bentobbal, Mohamed Seddik Benyahia, Ali Boumendjel et Lamine Khène, reçoit un accueil frileux. L’URSS qui accepte la fourniture d’armes légères, refuse la fourniture d’armes lourdes (les orgues de Staline), l’envoi de volontaires et l’internationalisation à l’ONU de la guerre d’indépendance. L’accueil en Chine est beaucoup plus chaleureux.  1 million de Chinois sont à l’aéroport pour recevoir la délégation algérienne qui aura divers entretiens, notamment avec le président Mao Tsé Toung. Les armes lourdes et l’internationalisation à l’ONU sont également refusées, mais la fourniture d’armes légères sera supérieure aux engagements pris. (P.138) Le périple se terminera par une visite à la Hongrie. L’auteur a cette remarque acerbe sur le parti communiste de l’Union soviétique : « Je ne considère pas le PCUS comme un parti marxiste » (P.147).

   LE DEBUT DES NEGOCIATIONS

  Un des intérêts majeurs de cet ouvrage est de nous faire vivre de l’intérieur par un de ses acteurs, Lakhdar Bentobbal,  les négociations qui aboutiront aux Accords d’Evian, Faisant abstractions des nombreuses approches informelles non officielles tentées depuis 1955, l’auteur fait débuter les « premiers contacts avec la France » à la rencontre de Melun du 25 au 29 juin 1960. Roger Morris, secrétaire général pour les Affaires algériennes dirige la délégation française. Le GPRA est représenté par Tayeb Boulahrouf, Ali Boumendjel et  Mohammed Seddik Benyahia.

   La Tunisie  qui redoute une Algérie puissante à sa frontière, insiste pour que les Algériens abandonnent la revendication de l’intégrité de l’Algérie, Sahara compris. Le GPRA ne cède pas et déplace son siège de Tunis au Maroc.

   Au-delà de la relation factuelle, dont on peut évidemment discuter certaines affirmations, on lira avec intérêt (P.233 à 239) l’angoisse qui étreint la délégation algérienne à la veille des négociations ; sans commune mesure avec « le grand frisson [qui] s’est emparé de nous, lorsque pour la première fois, nous avons pris la décision de déclencher la lutte armée […] Nous désirions tellement voir ce jour et nous l’attendions avec tellement d’espoir que nous étions comme tétanisés lorsqu’il est arrivé. Nous étions saisis par une terrible inquiétude parce que nous prenions tout à coup conscience qu’une très grande responsabilité historique reposait sur nos épaules. [..] Nous avions le sentiment d’être les dépositaires d’une mission sacrée. » (P.236). Pourquoi, au milieu de ces longues pages qui témoignent de sa part d’un sens élevé des responsabilités, Lakhdar Bentobbal se livre-t-il à une attaque calomnieuse contre notre camarade Waldeck Rochet et le PCF accusé de ne pas soutenir « la cause algérienne » (P.233), alors que nous avons été longtemps seuls en France à lutter à contre-courant pour l’indépendance de l’Algérie et la reconnaissance du FLN comme « seul représentant authentique du peuple algérien ». 

     Au nom du gouvernement français, Bruno de Leusse remet en juillet 1960, à Mohammed Seddik Benyahia, « le premier document officiel […] par écrit » de ses positions, ce qui est interprété comme la volonté de la France de « s’engager pour un accord » (P.233) et la décision est prise  de tenir la première rencontre officielle à Evian, à la frontière suisse, pays  où sera hébergée la délégation algérienne. Cette rencontre se déroulera du 20 mai au 13 juin 1961. Elle  sera suivie de celle de Lugrin du 20 au 28 juillet 1961. Bentobbal ne donne aucune précision sur ces deux rencontres qui échouent. Selon lui, « les premières négociations officielles » ont lieu du 11 au 18 février 1962, aux Rousses.

   Après consultation et accord des détenus au Château d’Aulnoy en France, Ahmed Ben Bella, Mohamed Boudiaf, Rabah Bitat, Mohamed Khider et Hocine Aït Ahmed, le CNRA décide à l’unanimité que la délégation algérienne sera conduite par Belkacem Krim. Elle comprendra notamment  Bentobbal et Benyahia. (P.218). « Je me suis imposé - écrit Bentobbal – parce que je jugeais que ma présence était nécessaire. »(P.240). Et il ajoute « …à plusieurs reprises ma présence et mes interventions ont été décisives. » (P.241)

   Une seconde entrevue a lieu avec les 5 détenus en France : « Nous avons terminé la séance par un vote de confiance que tous les ministres détenus, à l’exception de Ben Bella, ont accordé au gouvernement provisoire. Ils lui donnaient mission de poursuivre les négociations jusqu’à leur terme et de ne céder sur aucun point qui porterait atteinte à la souveraineté de l’Etat algérien indépendant. » (P.228)

LES ROUSSES…EVIAN.

   Aux Rousses, la séance est ouverte par les allocutions de Louis Joxe, puis de Belkacem Krim. La délégation algérienne s’est entourée d’experts algériens et d’un Italien, Enrico Mattéï, le créateur de l’ENI (Ente Nazionale Idrocarburi). Côté français, Bernard Tricot en est la  « véritable cheville ouvrière ».

   Le principe de l’autodétermination  étant acquis, la délégation algérienne rappelle les principes sur lesquels elle ne transigera pas (P.242): « l’intégrité territoriale de l’Algérie », Sahara compris et l’unicité du peuple algérien, exprimée par la formule « un seul peuple ». Selon elle (P.242) « tout le reste est négociable ». Les deux délégations sont animées de la volonté d’aboutir à un accord. Le Général De Gaulle presse Joxe de conclure (écouter ci-après la vidéo des échanges téléphoniques entre De Gaulle et Joxe), plusieurs incidents et interruptions, émailleront cependant les négociations, mais les Algériens obtiendront (P.244) que la durée du  bail de Mers-El-Kébir, de 99 ans demandés par la France soit ramenée à 15 ans ; l’évacuation des bases sahariennes aura lieu au bout de 5 ans et non 15 comme exigés par la délégation française. A noter à ce sujet que la France est autorisée à y pratiquer des « expériences scientifiques », le terme « nucléaires » a été supprimé en raison de l’appartenance du GPRA au « mouvement des non-alignés »  qui exige l’interdiction de l’arme nucléaire. On sait ce qu’il en sera…La présence militaire française sera ramenée à 80 000  hommes, comme en 1954,  au-lieu de 700 000, et elle ne pourra excéder 3 ans. Enfin les Français qui souhaiteraient rester en Algérie devront déposer une demande de nationalité algérienne qui sera appréciée par la justice algérienne.

    Le CNRA réuni à Tripoli, se prononce le 7 mars 1962 sur les conclusions de ces négociations. L’EMG,  et curieusement Abbas, font de la surenchère et 14 contre-propositions sont adoptées par la majorité sur des points de détails qui, selon Bentobbal,  ne mettent pas en cause la philosophie du projet d’accord, mais  qui vont entraîner une nouvelle négociation à Evian le 16 mars, où elles seront adoptées.

L’INDEPENDANCE ET LA PAIX ENFIN.

   Le 18 mars 1962, « La cérémonie de la signature a été vraiment historique » (P.264). Pour la première fois, les délégués se serrent la main (à une exception près, celle du général Camus). La délégation algérienne, Krim Belkacem, Saâd Dahlab, Benmostefa Benaouda, Lakhdar Bentobal, Taïeb Boulahrouf, Mohamed Seddik Benyahia, Seghir Mostefaï, Redha Malek, M'Hamed Yazid,Ahmed Boumendjel, Ahmed Francis, est photographiée devant l’Hôtel du Parc où a lieu la signature (ndlr).   Le cessez le feu est décidé pour le lendemain 19 mars à12 h. C’est un déferlement de joie en Algérie, en Tunisie et en France. Mais la délégation algérienne qui s’interroge sur ce que sera l’avenir de l’Algérie, « n’a pas le cœur à participer à ces démonstrations de joie »(P.265). Les 5 ministres emprisonnés au Château d’Aulnoy sont libérés et accueillis par la délégation du GPRA à l’aéroport de Genève. C’est à cette occasion qu’Ahmed Ben Bella prononce la célèbre phrase : « Nous sommes tous des Arabes, des Arabes, des Arabes ». Ils sont transférés au Maroc ou ils vont recevoir un « accueil extraordinaire » à Casablanca par le roi Mohamed V et sa suite.

     L’ouvrage se termine sur la mise en place de l’Exécutif provisoire à Rocher noir (Boumerdes), qui est chargé sous la présidence d’Abderrahmane Fares, de l’organisation du référendum d’autodétermination ; « l’émergence » d’Ahmed Ben Bella sur lequel Bentobbal a désormais des doutes après l’avoir soutenu ; le Congrès de Tripoli qui est profondément divisé mais adopte un programme progressiste. Lakhdar Bentobbal fait  en conclusion cette réflexion amère : « Il apparaissait donc avec évidence que la révolution a été déclenchée contre la volonté d’un grand nombre de ceux qui se trouvaient maintenant dans ses rangs. […] Ils ne voulaient pas d’une rupture parce que toute rupture, quelle qu’elle soit, avec l’ancienne puissance coloniale signifiait la semence de la révolution/ […] Personne n’en voulait parce qu’elle n’allait pas dans le sens de leurs intérêts. » En d’autres termes (que Lakhdar Bentobbal n’emploie pas), les luttes personnelles qui ont émaillé ce long combat étaient en fait des affrontements entre classes sociales antagonistes, provisoirement unies pour la guerre de libération nationale..

   A lire absolument, ce compte-rendu n’épuisant pas la richesse du témoignage d’un des acteurs de premier plan de la guerre d’indépendance.

Bernard DESCHAMPS

10 août 2023

*Lakdhar Bentobbal, Daho Djerbal, Editions Chirab, Alger, mars 2022.

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commentaires

M
Merci pour ce résumé. J'ai lu le 1 et j'achète le 2, même tardivement.<br /> Je ne sais pas s'il existe d'autres livres équivalents du 1 pour les autres régions (Aurès, Kabylie, Oran, ...), car le 1 est surtout pour la zone 2.
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