par Bernard Deschamps
L’Algérie était officiellement candidate à l’adhésion aux BRICS ( Afrique du Sud, Brésil, Chine, Inde, Russie) qui « représentent sur le plan démographique 3,2 milliards de personnes, soit 42% de la population mondiale. Sur le plan économique, les cinq pays dépassent pour la première fois le G7 en termes de contribution au PIB mondial en Parité des pouvoirs d’achat (PPA) avec 31,5% contre 30,7% pour le G7 en 2020. » (El Moudhahid, 22 août 2023)
Le 15e sommet annuel de l’organisation, réuni à Johannesburg du 22 au 25 août, a accueilli six nouveaux membres : L'Arabie saoudite, l’Argentine, l'Egypte, les Emirats arabes unis, l'Ethiopie et l’Iran, mais il a rejeté les demandes d’adhésion de l’Algérie, de l’Indonésie, du Nigéria et du Vietnam. L’Algérie était soutenue par la Chine et la Russie, mais le Brésil et l’Inde ont voté contre son adhésion.
L’Algérie pourtant – comme le rappelle Arabnews du 29 août - partage les orientations des BRICS : « la nécessité de s'efforcer d'établir un nouveau système économique qui garantisse la parité et l'égalité entre les différents pays ». Comment interpréter ce refus qui a surpris ?
Selon Sergueï Lavrov, le ministre russe des affaires étrangères, dont les propos ont été publiés le 25 août par l’agence algérienne TSA : « le poids, l’autorité et la position du pays candidat sur la scène internationale ont été pris en compte en premier. »
Or, un pays comme l’Ethiopie ne pèse pas lourd sur la scène économique africaine, avec un PIB d’un peu plus de 110 milliards de dollars en 2022, et un revenu annuel par habitant de 1.000 dollars, et « L'Égypte a connu des difficultés financières et l'Argentine a récemment considérablement dévalué son peso et relevé ses taux d'intérêt à la suite de la surprenante victoire du libéral Javier Milei aux primaires. Alors que Riyad continue de recevoir des critiques de l'Occident sur son bilan en matière de droits de l'homme » (Atalayar )
« Le rejet des candidatures de pays comme le Nigeria, l’Algérie, l’Indonésie ou le Vietnam qui ont des économies plus puissantes que celles de l’Ethiopie semble incompréhensible. »(ArabNews, 30 août 2023)
Selon Mondafrique, proche du Maroc, du 25 août: « L’adhésion des Séoudiens et des Émiratis aux BRICS et le poids que pèsent les deux monarchies ont sans doute couté à l’Algérie son admission au sein de ce club très fermé […] Les BRICS ont accueiili les bras ouverts ces deux riches monarchies en espérant bénéficier des fonds souverains de ces deux pays dans la création possible d’une monnaie commune et dans le projet d’une banque de développement qui ferait face à la banque mondiale dominée par les Américains […] Forts de leur nouveau positionnement diplomatique, Émiratis et Saoudiens ont pesé en effet de tout leur poids pour barrer l’entrée des Algériens. Ces derniers mois, les relations des deux Etats du Golfe et l’Algérie n’ont pas été au beau fixe sur divers dossiers internationaux (Libye, Yémen, Syrie, Tunisie). Les liens privilégiés du Président Tebboune avec la Turquie et dans une moindre mesure avec le Qatar n’ont pas pesé non plus en faveur de l’Algérie. Le rapprochement des deux monarchies avec le Maroc et le refus d’Alger de toute médiation de l’Arabie saoudite sur le dossier du Sahara ont accentué les incompréhensions entre l’Algérie et des « frères » du Golfe.»
On conçoit l’intérêt que présentent pour les BRICS, l’Arabie saoudite et les Emirats, mais ces Etats ne sont pas cités parmi ceux ayant voté contre l’adhésion de l’Algérie, comme le Brésil et l’Inde.
Mondafrique avance l’hypothèse suivante « Quant à l’Inde et le Brésil qui conditionnent les adhésions des nouveaux membres à des critères macroéconomique, ils avaient tous les deux une perception très négative des marges de manoeuvre économiques des Algériens ».
Un autre média également proche du Maroc, H24, écrit : « le rejet de la demande algérienne d’intégration aux BRICS résulte d’une conjonction complexe de facteurs. La faiblesse structurelle de l’économie algérienne, l’anarchie socio-économique et la désynchronisation de la dynamique commerciale ont contribué à l’opposition à cette initiative».
Le360 du 29 août 2023, avance le même prétexte : « Les BRICS n’en veulent pas. Ils estiment, selon des observateurs avertis, qu’elle (l’Algérie, ndlr) ne fait pas le poids économiquement –elle n’exporte rien, à part le gaz et le pétrole– et qu’elle ne représente pas grand-chose sur le plan géopolitique. Toute sa diplomatie consiste à mener la vie dure à ses voisins. »
Ce contre quoi le quotidien (officiel) algérien El Moudjahid, le 13 août s’inscrivait en faux : « Il est bien clair que l’Algérie est considérée comme le plus grand pays arabe et africain en matière de superficie, sa position géographique est d’une grande importance, car elle est la porte la plus importante du continent africain, et ses ports sont d’une grande importance pour sa proximité avec les lignes de mer situées en Méditerranée, ainsi qu’avec les ports européens.
La géologie de l’Algérie fait qu’elle possède de nombreuses richesses telles que le fer, le cuivre, l’uranium, l’or, le plomb, le zinc, le charbon, le pétrole et le gaz naturel, outre d’importantes réserves de pétrole et de gaz naturel qui en font l’un des plus grands producteurs au monde. L’économie algérienne est considérée comme une puissance d’un géant endormi, car elle n’a pas encore été correctement exploitée, bien que le niveau de développement économique soit à la pointe des États africains. »
L’Inde, qui a pourtant des relations économiques avec l’Algérie et dont l'Organisation indienne pour la recherche spatiale a lancé le satellite algérien Alsat 2A en 2010, reproche-t-elle à l’Algérie sa proximité avec la Turquie qui soutient les revendications pakistanaises au Cachemire ?
Mais comment expliquer le vote hostile du président Luiz Inácio Lula da Silva, alors que Dilma Rousseff, du même parti que lui, ancienne présidente du Brésil et désormais présidente de la Nouvelle Banque de Développement (NBD) des BRICS, avait, dans une interview le 22 juillet au media algérien Le jeune indépendant : « souligné les « grands potentiels naturel et humain dont dispose l’Algérie, en plus de sa position géographique stratégique». Et elle avait ajouté : « Il est très important pour nous d’avoir l’Algérie comme membre au sein de notre groupe, qui constitue une puissance économique structuré et voulant s’élargir sur d’autres partenaires». Appréciation qui, de la part d’une économiste, contredit les prétendues « anarchie socio-économique » et absence de « marges de manœuvre économiques » avancées par Mondafrique et H24.
L’invasion de l’Ukraine par la Russie aurait-elle distendu les relations entre le Brésil et l’Algérie? Le 18 avril, le quotidien français Libération, rapportait cette prise de position de Lula da Silva «Tout en condamnant la violation de l’intégrité territoriale de l’Ukraine, mon gouvernement défend une solution politique négociée au conflit.» et il indiquait refuser d’appliquer les sanctions contre la Russie et de fournir de l’armement à l’Ukraine. L’Algérie pour sa part n’a pas condamné l’invasion. Elle s’était abstenue le 12 octobre 2022 sur la résolution de l’Assemblée générale de l’ONU condamnant la Russie et elle avait voté contre son exclusion de la Commission des Droits de l’homme. Le président du Brésil considère-t-il que l’Algérie est trop proche de la Russie de Poutine ? Et souhaitait-il en votant contre son adhésion aux BRICS, renforcer son image de conciliateur éventuel ?
C’est une hypothèse, mais celle-ci entre en contradiction avec la traditionnelle amitié entre le Brésil et l’Algérie. Pendant la dictature militaire au Brésil (1964-1985), plusieurs Brésiliens ont obtenu l’asile politique en Algérie. En 2005, le Président algérien Abdelaziz Bouteflika a effectué une visite au Brésil et a rencontré le Président Luiz Inácio Lula da Silva. En février 2006, ce dernier a effectué une visite officielle en Algérie et a rencontré le Président Bouteflika.
Le vote du Président Lula trouve-t-il sa source dans la situation intérieure du Brésil ? « Sur la scène intérieure, sa marge de manœuvre reste très faible – écrivait Libération le 22 juin 2023 - le Congrès étant majoritairement à droite ou du moins acquis aux charmes – et surtout au lobbying intense – de l’agrobusiness, très anti-environnemental. Il a donc beau vouloir éviter de prendre parti, Lula va avoir besoin des appuis occidentaux, et notamment celui de la France qui partage une frontière avec le Brésil via la Guyane ». Le vote hostile à l’Algérie était-il un clin d’œil adressé à la France ? Je ne veux pas le croire, car ce serait assez décevant de la part d’un président progressiste.
Bernard DESCHAMPS
30 août 2023