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5 juillet 2023 3 05 /07 /juillet /2023 07:06

 

On ne meurt pas le Jour de l’indépendance

Par Kebir Mustapha Ammi

 

Le jour de l’indépendance

On met une chemise amidonnée

Repassée  et blanche

Qui sent la vie

Et le parfum des bois

 

Et on court

On court dans la rue

À tue-tête

Comme un épervier fougueux

Comme un berger

Derrière les étoiles hésitantes et téméraires

Sur la rive d’un fleuve impétueux

À qui nul ne peut tenir la bride

Un fleuve iconoclaste

 

Qui ne sait où donner de la tête

Tant la fête est belle

Et vous enivre

Tout cela n’est pas inscrit

Ni prévu

Dans le cahier des charges

De cette chose

Qui frappe comme elle veut

Quand elle veut

Pour jeter dans l’obscur du vide

Ceux qu’on aime

 

Vous avez juste envie de blasphémer

Pour dire

Qu’on ne meurt pas

Qu’on ne peut pas mourir

Le jour de l’indépendance

Car le ciel comme les hommes attendaient ce jour

 

 

Le ciel comme les hommes

Prostrés

Dessinaient  sur les murs de la déraison et de la colère

Les murs de l’humiliation

Et de ce qui fait de nous ce que nous sommes

Ils dessinaient des archipels décousus

Sans gloire

Pour dire leur incommensurable bonheur

 

On veut oublier

Que nous étions des sous-hommes

On veut oublier les coups

Et la nuit de l’épervier

Qui attaque sans crier gare

Et le soldat armé de mépris

Qui tue sans compter

 

Dans une liesse insane

On veut croire que les hommes sont de nouveau debout

Et que l’humanité  notre dernier rempart

Quand tout s’écroule autour de nous

Tiendra tête désormais

L’humanité ne peut plus mettre genou à terre

 

Le ciel est un arc-en-ciel de désirs et de parfums

Pour dire les plus beaux rêves du monde

Il a les visages d’une humanité retrouvée

Et heureuse

 

Il a l’audace d’un juin qui court d’un bout à l’autre de l’horizon

Sans retenue

Car rien dans le désormais des hommes que nous sommes n’est impossible

On ne meurt pas

Le jour de l’indépendance

Ce n’est pas un jour comme un autre

C’est un jour de fête

 

On monte sur les barricades

On rivalise avec le chant obscur des sorciers

Avec la lumière profuse de Dieu

Avec les étoiles

Avec la lune

Avec le ciel

 

On monte sur les barricades

La mort n’est qu’un fantassin de second ordre

On la regarde en face sans ciller

On ne meurt pas

On ne peut pas mourir

On fait face aux fusils qui vous tiennent en joue

On redouble d’insolence

D’impertinence et de vie

 

Tout est permis

Et mourir est une faute

C’est le plus blâmable crime

 

On crie

On chante

On danse

On cueille les étoiles

Dans les champs bariolés du ciel

Et les champs appuyés sur les flancs d’une lumière limpide

 

Les oiseaux du paradis se posent sur vos épaules

Et feignent d’être effrayés

Pour retrouver la raison et vous faire allégeance

Rien ne saurait vous détrôner de la barricade qui signe votre triomphe

Et où tant de vaincus ont pleuré leurs défaites

 

On crie à tue-tête

On met le soleil sous son bras

Comme une miche de pain

Pour célébrer de belles retrouvailles

Et on court

On court au milieu des rires

Au milieu des larmes

 

On court

Dans une rue bariolée qui foisonne de visages inquiets

Au milieu des souvenirs

Les absents sont là

Au premier rang

Ils vous font une haie d’honneur

Impétueuse

 

C’est leur manière de se joindre à vous

Les vivants et les morts sont debout avec vous

Pour rien au monde les absents n’auraient manqué ce jour

 

Ghazi est heureux

C’est un grand frère

Il revient de loin

Il est parti il y a longtemps

Sur la route qui descend et ne remonte plus

Il a tiré la porte derrière lui sans faire de bruit

Il crie à tue-tête pour nous donner du cœur au ventre

Il ne veut pas que cette fête s’achève

Et sans lui

 

On dévale les pentes de la ville qui courent sans entraves à flanc de colline

Et se jettent avec joie dans tous les sens

Comme des fleuves impétueux

Et la vie court sous nos pieds

Impertinente et inventive

 

Elle court

Ingénieuse

Primesautière

Rien ne la retient

Car rien d’autre ne compte

Et dans nos maigres poitrines

Tout redouble de force et de joie

 

Des libellules dans nos yeux

Les pistils d’une aube lumineuse

Des balbutiements radieux

Oh que la vie est belle

Oh que le monde est incomparable

 

Des mains donnent des coups

Sur des murs invisibles

Sur l’envers du ciel

On fait dix fois le tour de la vie

 

Notre souffle

Et tout en nous promet l’impossible

Tout promet d’aller jusqu’à l’horizon et au-delà

Par-delà les rêves qui nous unissent

Jusqu’au bout du bout

Jusqu’au bout du monde

Où la fraternité

Robuste comme un pétale de rose

Réinvente ce qui nous unit

 

On ne meurt pas le jour de l’indépendance

On ne meurt pas

On ne peut pas mourir ce jour-là

On regarde la mort sans ciller

Pour l’exhorter à reprendre son tribut

La mort est une mauvaise blague

 

On ne peut pas mourir ce jour-là

J’ai neuf ans

Et les poings serrés

Mon père ne peut pas mourir ce jour-là

 

J’ai neuf ans

Sous un arbre

Un néflier dans la cour de notre maison

Où ma mère va et vient

 

J’ai neuf ans

Et le ciel ne sait plus sur quel pied danser

Il pleut des cordes

Et il fait soudain une lumière inespérée

 

J’ai neuf ans

Et ma mère pleure

Elle pleure toutes les larmes de son cœur

Elle s’est d’abord cachée pour pleurer

Elle ne pleurera jamais plus comme ça

Elle épuise toutes ses larmes

Et ne sait rien du jour qui vient

 

J’ai neuf ans

Et je suis appuyé contre un néflier

Je viens de franchir un seuil

Le monde ni ma mère ne seront jamais plus comme avant

 

J’ai neuf ans

Et un murmure traverse mes pensées

Dans le désordre du monde

Et de mes blessures

Il court comme un ruisseau dans ma poitrine

Il répète en silence dans les terres qu’il traverse

Des terres insensées autant que fragiles

Entre le cœur et le ventre

Dans les méandres que composent les blessures d’un enfant

Dans une maigre poitrine

Un enfant pétri d’orgueil

Qui serre les poings et refuse de pleurer

C’est un jour où la mort ne devrait pas faire ce qu’elle fait

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