EL MOUDJAHID
29/05/2023
Décès de Pierre Audin, fils du militant de la cause algérienne Maurice Audin
Pierre Audin, fils du militant de la cause algérienne Maurice Audin, est décédé, hier à Paris, à l'âge de 66 ans, des suites d'une maladie, a-t-on appris auprès de ses proches. Professeur de mathématiques, le défunt avait à peine un mois lorsque son père a été arrêté en 1957 à Alger, puis exécuté par les forces coloniales françaises, pour son soutien à la Révolution algérienne. Pierre Audin, qui était responsable au sein de l'association Josette-et-Maurice-Audin, avait assisté en juin 2022 à l'inauguration du buste de son père à la place Audin à Alger, et ce à la veille de la commémoration du 65e anniversaire de sa tragique disparition. Le fils du militant de la cause algérienne avait exprimé sa fierté de se retrouver sur cette place qui porte le nom de son père, fervent défenseur de la cause algérienne. Il avait été reçu en mai de la même année par le ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique, dans le cadre de l'encouragement du partenariat entre les établissements de recherche scientifique et l'association Josette-et-Maurice- Audin.
Le défunt avait, de son vivant, plaidé en faveur de la pérennisation du Prix de mathématiques Maurice-Audin, attribué, en même temps, à deux chercheurs (un algérien et un français) activant dans le domaine.
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L’Humanité
28/05/2023
Pierre Audin, mathématicien, fils de Maurice Audin, est décédé
Il avait poursuivi les combats de ses parents, Josette et Maurice Audin, torturé et assassiné par l’armée française pendant la guerre d’Algérie en 1957. Pierre Audin a été emporté par la maladie le 28 mai à l’âge de 66 ans.
Rosa Moussaoui
Maud Vergnol
C’était il y a un an jour pour jour. L’Humanité avait accompagné Pierre Audin en Algérie, où il conduisait une délégation de l’Association Josette-et-Maurice-Audin. Un retour au pays natal placé sous le signe de la mémoire et de la coopération scientifique, au bout du fil d’Ariane de l’histoire familiale. Ces dernières années, depuis la reconnaissance en 2018 du crime d’État commis par l’armée française sur son père, Maurice Audin, pendant la guerre d’Algérie, il avait donné de son temps, et de la voix, pour défendre la liberté de la presse. « Mon père se décarcassait pour le journal du Parti communiste algérien, Liberté. Après cent trente-deux ans de colonialisme avec un peuple bâillonné et contraint de courber l’échine, après sept ans d’une guerre sauvage, violente, l’Algérie aurait dû être la première sur les droits humains et les libertés, expliquait-il. Elle a aujourd’hui les moyens d’avancer vers une société solidaire, grâce à sa première richesse : la jeunesse ». Pierre Audin venait enfin d’obtenir son passeport algérien promis depuis longtemps. Il se vivait tout à la fois algérien et français. En 2019, il avait suivi au jour le jour le Hirak, ce mouvement populaire irrigué par le désir de liberté et de justice sociale de la jeunesse algérienne. Il nous alertait régulièrement sur la répression des militants et journalistes pris pour cibles par le pouvoir algérien : « Ça ferait un bon papier dans l’Huma » nous suggérait-il sur un ton espiègle, avec son humour corrosif.
L’Humanité était devenu « son » journal, comme il fut celui de son père. Une photographie avait immortalisé Maurice Audin en éternel jeune homme, levant les yeux au ciel et tenant dans les mains l’ Humanité. Ce cliché, qui trônait sur l’étagère du salon de Josette Audin, dans son appartement de Bagnolet, a accompagné plus de 65 ans le combat mené sans relâche pour exiger justice et vérité.
En 2017, lors d’une nouvelle enquête sur l’assassinat de Maurice Audin par l’armée française, nous avions longuement rencontré Pierre pour lui soumettre un nouveau témoignage que nous avions recueilli. Celui d’un ancien appelé pensant avoir participé à faire disparaître, en 1957, le corps du mathématicien communiste. Ce fut le début d’un long travail, mené main dans la main avec la famille, pour enfin faire reconnaître le crime d’État. Pierre s’y était engagé à nos côtés avec opiniâtreté. Des heures et des nuits passées à ausculter chaque nouvelle photographie retrouvée, à recouper nos informations.
Pierre Audin n’a qu’un mois ce 11 juin 1957, l’un des plus meurtriers de la bataille d’Alger, quand des parachutistes tambourinent à la porte du domicile des Audin, militants du Parti communiste algérien. « Quand est-ce qu’il va revenir ? » demande Josette Audin, alors que son mari est enlevé par l’armée. « S’il est raisonnable, il sera de retour dans une heure », lui répond un capitaine. « Occupe-toi des enfants », a le temps de lui lancer Maurice Audin. Ce seront les derniers mots qu’ils échangeront. « Ma mère n’en parlait jamais. C’était son jardin secret, et on l’a respecté, nous avait confié Pierre Audin en 2017. Il y avait son portrait partout, je me doutais que c’était un héros, mais je ne savais pas pourquoi. Un jour, je suis tombé sur un livre dans la bibliothèque, intitulé l’Affaire Audin (1)… ».
En 2018, à défaut de connaître enfin avec certitude le nom des bourreaux de son père et les circonstances exactes de son assassinat, Pierre s’engage à nos côtés, avec l’aide du mathématicien Cédric Villani et du député communiste Sébastien Jumel, pour faire reconnaître le crime d’État. Une lettre ouverte, adressée au président de la République, signée par de nombreuses personnalités, est publiée dans nos colonnes. « Des deux côtés de la Méditerranée, les mémoires algérienne et française resteront hantées par les horreurs qui ont marqué cette guerre, tant que la vérité n’aura pas été dite et reconnue », affirme le texte. L’été suivant, Pierre Audin nous appelle: « Emmanuel Macron va reconnaître le crime d’État ». Quelques semaines plus tard, devant le palais de l’Élysée, il affiche son sourire des grands jours et savoure le moment. Nous venons de prendre connaissance du texte historique signé du président de la République. La France regarde enfin en face l’une des pages les plus cruelles de la colonisation. C’est l'épilogue d’un long combat, celui de toute une vie, de toute une famille, également soudée par une autre passion : les mathématiques.
Pierre Audin, lui aussi mathématicien, avait à cœur l’accès du plus grand nombre à la culture scientifique ; il a passé l’essentiel de sa carrière au Palais de la Découverte. « Je perds un frère en vulgarisation mathématique, un ami fidèle en toutes circonstances, un collègue militant avec qui j’ai vécu certains des moments les plus émouvants de toute ma vie, l’a salué Cédric Villani. Jusqu’à son dernier souffle, Pierre a levé le poing pour la liberté, l’association Josette et Maurice Audin continuera ses combats ». L’Humanité aussi. Notre journal adresse ses condoléances les plus chaleureuses à son épouse, Line, à ses filles, à sa sœur Michèle, à tous ses proches, à tous ses camarades.
(1) « L’affaire Audin ». Pierre Vidal-Naquet. Les éditions de minuit. 1958