par Bernard Deschamps
Trois évènements viennent simultanément de se produire, alors que les attentats, les enlèvements, les assassinats, se multiplient au Sahel, entraînant, selon Mme Giovanie Biha, représentante spéciale adjointe de l’ONU pour l’Afrique de l’Ouest et le Sahel, la fermeture de « dix mille écoles et de sept mille centres de santé », en dépit de la présence maintenue de Barkhane dans plusieurs pays.
Le 8 février, les trois composantes de la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA) – signataire de l’Accord de paix d’Alger en 2015 – le Mouvement National pour la Salut de « l’Azawad (MNLA), le Haut Conseil pour l’Unité de l’Azawad (HCUA) et le Mouvement Arabe de l’Azawade (MAA), ont décidé de « fusionner […] en une seule entité politique et militaire».
Les 8 et 9 février, le Burkina Faso, la République de Guinée et la République du Mali ont décidé « le renforcement de leur coopération ».
Enfin le 18 février, en ouverture du 38e Sommet de l’Union Africaine, l’organisation représentative des 55 pays d’Afrique, le Secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, a déclaré : « Nous continuerons à renforcer et à améliorer les opérations de maintien de la paix […] Mais, dans le même temps, et j’insiste sur ce point, nous appuyons sans réserve la création d’une nouvelle génération de missions robustes d’imposition de la paix et d’opérations de lutte contre le terrorisme, dirigées par l’Union africaine et dotées d’un mandat du Conseil de sécurité en vertu du Chapitre VII – ainsi que d’un financement garanti et prévisible, y compris par des contributions obligatoires ».
Comment interpréter ces trois évènements ?
La décision du Burkina Faso, du Mali et du Niger est une réaction commune à l’encontre des sanctions prises par la CEDEAO - accusée d’être inféodée à la France - à la suite des coups d’Etat militaires dans ces trois pays.
La fusion des mouvements de l’Azawad en une seule « entité politique et militaire » ne signifie pas, comme certains l’ont affirmé, leur retrait de l’Accord d’Alger pour la Paix dont ils sont signataires. Le Journal du Mali qui, le 9 février, reprend une dépêche APA Media Watch - American Psychological Association, note que les ex-rebelles qui avaient en décembre dernier pris la décision de suspendre leur participation aux différents mécanismes de mise en œuvre de l’Accord, « ont conditionné la levée de cette suspension à la tenue d’ « une réunion d’urgence » sur « un terrain neutre » avec la Médiation internationale dont le chef de file est l’Algérie pour faire une évaluation de l’Accord signé en 2015 dont l’application se fait en dent de scie. » Le journal français Le Figaro confirmait en indiquant, dans son édition du 9 février, que la Coordination des Mouvements de l’Azawad appelle : «ses garants internationaux à «éviter une rupture définitive» entre ses parties. Elle exige une réunion en un lieu neutre avec la médiation internationale pour discuter de sa viabilité. »
Dans le même temps, selon Le Monde avec l’AFP du 1er février, « L’un des principaux chefs djihadistes au Sahel, Iyad Ag-Ghaly,[…] qui avait « salué la fusion attendue début février de tous les mouvements » composant la CMA, a rencontré récemment un certain nombre de personnalités du nord du Mali, dont des responsables de groupes armés combattant comme lui les groupes affiliés à l’organisation Etat islamique […] Ces rencontres confidentielles dans la région de Kidal ont eu lieu alors que depuis des mois les spéculations ont cours sur l’éventualité d’une alliance entre le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM, JNIM en arabe), l’alliance djihadiste dirigée par Iyad Ag-Ghaly et affiliée à Al-Qaida, et les groupes armés du nord signataires d’un accord de paix avec le gouvernement malien, face à la poussée de l’Etat islamique au Grand Sahara (EIGS) dans une vaste région nord-est. »
On peut donc interpréter leur fusion comme un moyen de pression sur l’Etat malien dont le chef, le Colonel Assimi Goita est hostile à l’Accord d’Alger, et comme un renforcement de leur capacité militaire à combattre les groupes terroristes dont la progression n’a pas été enrayée ni par les armées nationales ni par l’armée française.
Les trois mouvements ont d’ailleurs entrepris le 20 février une vaste opération de sécurisation de la zone.
Le 31 août 2022, TV5 monde rappelait que les trois mouvements de l’Azawad avaient « abandonné leurs revendications autonomistes ». On ne peut cependant exclure qu’en cas de refus persistant du Mali d’appliquer l’Accord d’Alger, ils ne reviennent sur cet engagement.
La future Constitution du Mali, dont le projet vient d’être officiellement rendu public pour être soumis à référendum le 19 mars prochain, est à cet égard inquiétante. Elle semble fermer la porte à l’autonomie du Nord-Mali préconisée dans le cadre de l’unité nationale, par l’Accord d’Alger. Il est en effet écrit à l’article 184 du projet de Constitution : « L’État veille au développement harmonieux des collectivités territoriales sur la base de la solidarité nationale. A cet effet, il peut (souligné par moi, BD) attribuer, par la loi, pour une durée limitée, des compétences et des ressources exceptionnelles à un ou plusieurs niveaux de collectivités territoriales, dans le respect de l’unité nationale et de l’intégrité du territoire. » Ce qui est à la fois aléatoire et très restrictif. Le média allemand Deutsche Welle du 13 octobre 2022 faisait la même analyse. Si cette nouvelle Constitution est adopté, ce qui semble possible, l’Etat malien pourra s’y référer pour refuser d’appliquer l’Accord d’Alger.
Enfin, avec «la création de missions robustes d’imposition de la paix et d’opérations de lutte contre le terrorisme dirigées par l’Union Africaine » proposée par le Secrétaire général de l'ONU, s'agit-il de créer une force armée placée sous l'autorité de l’Union Africaine, qui se substituerait aux autres forces présentes sur le terrain comme la MINUSMA ou en projet comme celle de la CEDEAO ?
Bernard DESCHAMPS
28 février 2023
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