par Bernard Deschamps.
Jusqu’alors, les médias français dénigraient ou faisaient le silence sur l’Accord d’Alger de 2015, Pour la Réconciliation et la Paix au Mali », pourtant soutenu par l’ONU. Depuis quelques jours, une petite musique se fait entendre qui semble témoigner d’une nouvelle approche.
C’est en particulier le cas de l’Humanité.
Le 24 janvier 2023, Benjamin König signe un papier dans lequel il déclare : «… l’Accord pour la Paix et la Réconciliation, dit « accord d’Alger », signé en 2015 par le Mali et la Coordination des mouvements de l’Azawad, sous l’égide de l’Algérie, semble la seule voie politico-diplomatique possible – outre l’initiative d’Accra, à laquelle ne participe pas le Mali. Mais son application semble bloquée.»
Le 2 février, sous le titre « Négociations discrètes au Mali », il fait état de rencontres les 25 et 26 janvier à Kidal, entre un représentant du gouvernement militaire de transition du Mali et les chefs des groupes armés de la Coordination des Mouvements de l’Azawad » dont Ilyad Ag Ghaly. Et il écrit : « Les importantes négociations diplomatiques ont porté sur un effort commun contre la branche sahélienne du groupe « Etat islamique », qui mène des offensives meurtrières dans la région. Et sur leurs divergences à propos de l’application de l’accord de paix signé en 2015.»
Le 10 février, il rend compte de la « Fusion des trois forces de l’Azawad au Mali ». Il s’agit des forces qui composaient la Coordination des Mouvements de l’Azawad : le Mouvement National pour la Libération de l’Azawad, le Haut Conseil pour l’Unité de l’Azawad, le Mouvement Arabe de l’Azawad, signataires des Accords d’Alger.
Pour sa part, France 24, le 15 février, déclarait à propos d’éventuelles négociations avec certains groupes armés : « Le contexte n’a en tout cas jamais été aussi favorable à une accélération de ce processus, que de nombreux experts jugent inévitable […] Tout porte à croire que […] des contacts ont été établis en vue d’aller plus loin dans cette option des négociations […] Et France 24, faisait état de recommandations en faveur de « pourparlers avec les chefs jihadistes Amadou Koufa et Iyad Ag Ghali. Le premier dirige le groupe Katiba Macina, tandis que le second est à la tête du GSIM, le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans, affilié à Al-Qaïda. »
Retour en arrière et quelques rappels.
L’Accord de 2015, issu du processus d’Alger, approuvé et soutenu par l’ONU, aurait pu conduire à la paix, car il faisait droit aux revendications économiques, sociales, culturelles et politiques du Nord-Mali, terreau sur lequel se sont développés les groupes radicalisés. Cet Accord conclu entre l’Etat malien et plusieurs groupes rebelles armés touaregs, arabes et peuls du Nord-Mali, n’a pas été mis en œuvre par l’Etat malien pourtant signataire, ni appuyé par la France qui privilégiait les interventions armées, Serval d’abord, Barkhane ensuite.
La Commission de la Défense Nationale et des Forces Armées de l’Assemblée Nationale française, présidée par la députée macroniste du Gard, Françoise Dumas, affirmait dans son RAPPORT D’INFORMATION du 14 avril 2021: « L’APR (L’Accord d’Alger, ndlr) en l’état est voué à l’échec.», et préconisait le renforcement des opérations militaires. De leur côté, des médias comme Le Point se livraient à un dénigrement systématique de l’Accord.
Malheureusement, le PCF, par la voix de Pierre Laurent, le 9 février 2021, au Sénat affirmait lui aussi : «…les accords d’Alger ne peuvent être invoqués comme la solution politique et doivent être profondément révisés.»
Qu’était-il reproché à l’Accord d’Alger ? D’offrir un boulevard à une partition du Mali. C’était la position d’Assimi Goïta, le nouveau président de « la transition » du Mali, auteur du coup d’Etat militaire du 24 mai 2021. Une étude de l’anthropologue André Bourgeot, dans la revue marxiste Recherches Internationales (N°117, janvier-mars 2021, page 54) allait dans le même sens.
Je ne partageais pas ces opinions négatives. Voici ce que je déclarais à ce sujet le 1er août 2021 sur mon blog (www.bernard-deschamps.net):
« Certes, l’accord (Titre I/Chapitre 2/article 5) reconnait à la région du Nord-Mali « l’appellation Azawad ». C’est le nom que lui donnent les touaregs, mais ceux-ci ne revendiquent plus son indépendance depuis 2013. L’article 6, chapitre 3, Titre III énonce : « La région est dotée d’une Assemblée régionale élue au suffrage universel direct, bénéficie d’un très large transfert de compétences, de ressources et jouit des pouvoirs juridiques, administratifs et financiers appropriés.» N’est-ce pas le cas en France et dans de nombreux pays, sans que cela remette en cause l’unité nationale ?
De nombreuses références au « Respect de l’unité nationale, de l’intégrité territoriale et de la souveraineté de l’Etat du Mali, ainsi que de sa forme républicaine et de son caractère laïc, émaillent le texte de l’accord, notamment: le Préambule ; le Titre I/Chapitre 1/Article 1/alinéa a ; le Titre I/ Chapitre 2/Article 5, etc. Le Titre III et l’Annexe 2 affirment sans ambiguïté, l’« Unicité des forces armées et de sécurité du Mali, relevant organiquement et hiérarchiquement de l’Etat central ». Les anciens combattants rebelles seront incorporés dans l’armée nationale. (Annexe 2)
L’Accord d’Alger, à mon sens, est clair quant à la volonté des signataires de respecter l’unité du Mali sous l’autorité d’un pouvoir étatique central qui prend en compte la diversité du pays.
Y-a-t-il un risque de « territorialisation de l’ethnicité », comme le craint André Bourgeot dans la revue Recherches internationales?
La population du nord du Mali est d’origines ethniques diverses : Touaregs, Maures, Kountas, Peuls, etc. qui ont conservé leurs coutumes. Précisément, l’Accord d’Alger prend en compte cette diversité : « réappropriation de l’Histoire à travers une unité nationale respectueuse de la diversité humaine caractéristique de la Nation malienne […] diversité ethnique et culturelle, ainsi que de ses spécificités géographiques et socio-économiques »(Préambule) ; « valoriser la contribution de ses différentes composantes à l’identité du pays » (Titre I, Chapitre 2/Article 5).
Il n’ouvre donc pas le risque de la domination d’une ethnie sur les autres. Les Conseils de Cercles et les Conseils communaux « élus au suffrage universel direct » (Titre II/Chapitre 3/ Article 6) auront auprès d’eux un représentant de l’Etat « aux fins de préserver l’intérêt général » (Titre II/ Chapitre 5/ Article10). Ce qui limite le risque de créations de féodalités ethniques.
Ces déclarations de principe sont accompagnées – c’est peut-être le plus important- de l’énumération détaillée des très nombreuses mesures pratiques à mettre en œuvre, avec un souci louable de précision : des écoles, des garderies, des bibliothèques dans tel ou tel village ; des installations hydrauliques à tel endroit ; la « promotion des cultures des régions », etc.
Quant à l’Assemblée régionale, il dépendra du mode de scrutin et de l’honnêteté des consultations électorales, que toutes les catégories de la population soient équitablement représentées.»
Ce ton nouveau d’une partie de la presse française, qui rejoint l’opinion de plusieurs organisations internationales, annonce-t-il un changement d’orientation de la politique officielle de la France ? L’avenir nous le dira.
Bernard DESCHAMPS
10 février 2023