L’UGTA SORT DE SON MUTISME ET DENONCE LA LOI SYNDICALE.
Par Mohamed Kouini
Publié le 23 janv. 2023
L’Union générale des travailleurs algériens (UGTA) s’est montrée très critique sur les deux projets de loi en préparation par le gouvernement, et dont les textes sont soumis actuellement en examen au niveau de la Chambre basse.
Ces deux projets suscitent depuis quelques temps des contestations de la part de plusieurs organisations syndicales, qui ne cachent point leurs inquiétudes sur l’avenir de l’activité syndicale au sein des organismes et entreprises publiques et privées.
Le premier projet est relatif à l’exercice du droit syndical en Algérie, alors que le second est lié à la loi de la prévention des conflits en milieu du travail et à l’exercice du droit de grève.
Selon un communiqué, signé dimanche par le secrétaire général de l’UGTA, Salim Labatcha, le secrétariat national « regrette le fait de ne pas avoir été associé lors de la préparation de ces projets de loi pour pouvoir enrichir davantage leurs contenus et ce, conformément aux directives du président de la République qui a fortement souligné la nécessité de l’association des organisations représentatives dans l’enrichissement de ces deux projets de loi».
«Nous souhaitons remédier aux insuffisances contenues dans la loi 90-14, qui a été amendée après la révision de la constitution en 1989. Cette dernière instaure le pluralisme syndical, ce qui est une première expérience en Algérie qui a besoin de critères permettant de consacrer une meilleure représentativité dans le cadre du pluralisme», poursuit le communiqué.
Pour l’UGTA, « les deux projets de loi ne consacrent pas la promotion des droits syndicaux et des libertés en Algérie », formulant de vives critiques : «Les articles des deux projets de lois ne sont pas conformes aux conventions internationales que l’Algérie a ratifiées. Certains articles des deux projets de loi ne sont pas non plus conformes à la Constitution algérienne, en ce qui concerne les droits civiques et politiques. Les deux projets de loi ne consacrent pas la promotion des droits syndicaux et des libertés en Algérie», énumère l’instance qui dirige l’UGTA.
Pour toutes ces raisons, le secrétariat national de l’UGTA a chargé les unions de wilayas et les unions nationales pour «organiser leurs séminaires syndicaux respectifs, avec leurs cadres (les sections syndicales, syndicats d’entreprises, les coordinations), pour débattre de ces deux projets de lois. Le but est de formuler, cette semaine, leurs avis dans un communiqué définitif à l’issue de chaque séminaire en prévision de l’organisation de la réunion du comité exécutif national, pour prendre une position définitive sur ce sujet», souligne encore l’UGTA.
L’organisation précise que «la date de la réunion du comité exécutif national qui est l’organe suprême de l’UGTA, entre deux congrès, sera déterminée ultérieurement».
Il est à signaler qu’une instance syndicale locale de l’UGTA à Annaba a critiqué les deux projets de lois. La section syndicale UGTA de l’office communal du sport de l’APC de Annaba a affirmé «son opposition au projet de loi relatif à l’exercice du droit syndical et celui lié à la loi de la prévention des conflits en milieu du travail et l’exercice du droit de grève.»
Pour rappel, la Confédération des syndicats algériens (CSA), qui regroupe 14 syndicats autonomes, a également réagi avant-hier dans un communiqué pour dénoncer les deux projets de lois du gouvernement. Le CSA a exprimé son opposition aux deux textes et a demandé au gouvernement de les retirer, en attendant de les débattre afin de les enrichir.
Pour la CSA, ces deux projets de lois « contredisent » les lois algériennes relatives l’exercice syndical et les conventions internationales ratifiées par l’Algérie dans ce domaine.
La Confédération des syndicats algériens estime que les deux textes portent atteinte aux acquis syndicats, affaiblissent l’exercice du droit syndical, privilégient le recours à la justice au lieu du dialogue social et donnent de nombreuses prérogatives à l’administration au lieu des syndicats.
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PROJET DE LOI SUR LE DROIT SYNDICAL : LE CSA DENONCE UN TEXTE LIBERTICIDE. 17/01/2023
Confédération des syndicats algériens
Le projet de loi relatif à l’exercice du droit syndical et la prévention des conflits collectifs présenté, le 9 et le 10 janvier 2023, devant la commission de la santé et des affaires sociales de l’Assemblée populaire nationale (APN), par le ministre du Travail, de l’Emploi et de la Sécurité sociale suscite les réserves et l’inquiétude des syndicalistes de la Confédération des syndicats autonomes (CSA)
Ce projet de loi qui annule et remplace la loi 90-14 du 2 juin 1990 relative aux modalités d’exercice du droit syndical vise essentiellement « la mise en œuvre des dispositions de la Constitution de 2020 qui consacrent les libertés et les droits fondamentaux du travail, en garantissant le droit syndical à tous les travailleurs et employés », rapporte l’APS qui cite le ministre du travail, de l’emploi et de la sécurité sociale.
L’argumentaire du ministre du Travail, de l’emploi et de la sécurité sociale contenu sans son rapport de présentation devant les députés réunis en commission est loin d’agréer les quatorze organisations syndicales autonomes réunies sous la bannière de la CSA, qui ont adressé une lettre de protestation au président de la république, exigeant le retrait pur et simple de ce projet de texte dans ses deux volets qualifié de liberticide car constituant une remise en cause des libertés syndicales et une négation du droit de grève et des acquis sociaux des travailleurs.
En effet, dans un communiqué rendu public, la CSA qui regroupe en son sein des syndicats de la Santé, de l’Education nationale et d’autres secteurs de la Fonction publique rejette le projet de loi encadrant l’exercice du droit syndical et à la prévention et règlement des contentieux collectifs au travail ainsi que le droit de grève. Un texte dont l’élaboration n’a pas tenu compte de l’avis des partenaires sociaux, selon la CSA qui dénonce la démarche du ministère de tutelle qui est en violation du principe de concertation et du dialogue sociale.
Les syndicats de la CSA ont décidé, à l’unanimité, le rejet de ces projets de lois et demandent la présentation par le ministère de tutelle d’une nouvelle copie a l’élaboration de laquelle ils doivent être associés.
Dans sa déclaration, le CSA émet des réserves sur les deux volets du projet de texte qui, estime-t-on, est en porte-à-faux avec les lois de la République qui (en principe) garantissent la liberté de l’exercice du droit syndical dans toutes ses dimensions. Les nouvelles dispositions contenues dans le projet de texte ministériel constituent une violation flagrante des traités internationaux ratifiés par l’Algérie. En outre, le texte présenté à l’appréciation de la commission spécialisee de l’APN remet en cause les acquis des droits syndicaux tels que stipulés par les lois 90/14 et 90/02.
Outre quelles octroient de larges prérogatives à l’administration au détriment des représentants des salariés, certaines dispositions de ce texte de loi en préparation privilégient le recours excessif à l’action coercitive et à la justice au lieu de privilégier le dialogue et la concertation, estime la CSA pour. L’organisation dénonce le rétrécissement de l’action syndicale en limitant certains droits y afférents, à l’instar du droit de grève pourtant garanti par la loi.
Dans son rapport de présentation, le 9 janvier, du projet de loi relatif à l’exercice du droit syndical devant les membres de la Commission de la santé et des affaires sociales de l’Assemblée populaire nationale (APN), le ministre du travail, de l’emploi et de la sécurité sociale a plaidé pour la nécessité de réformer la loi 90-14 du 2 juin 1990 relative aux modalités d’exercice du droit syndical, qui, a-t-il insisté, doit être réajustée et mise au diapason de la conjoncture actuelle du pays. Soulignant que cette phase nécessite la révision de nombreuses pratiques dans différents secteurs, notamment l’exercice du droit syndical, les obligations et les devoirs et la défense des intérêts des fonctionnaires et travailleurs, loin des tractations partisanes et politiques.
«Les dispositions du projet de loi ont été adaptées aux traités internationaux des droits de l’homme et aux conventions de l’Organisation internationale du travail (OIT) ratifiés par l’Algérie, notamment la Convention n°87 sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical ainsi que la Convention n°89 sur le droit d’organisation et de négociation collective», a poursuivi M. Cherfa.
Le texte en question, souligne le ministre, «renforce les symboles d’unité, les valeurs et les constantes nationales ainsi que les principes de la Constitution, en particulier le respect de la liberté individuelle et collective au travail et le rejet de la discrimination syndicale».Ce texte est composé de 164 articles répartis sur huit chapitres. Au titre de leur autonomie, il est indiqué que le syndicat doit garder dans son action une indépendance à l’égard des partis politiques.
Ce texte de loi interdit également aux organisations syndicales d’exercer des activités politiques sous toutes leurs formes, sous peine d’être dissoutes.
Ainsi en son article 12, il est souligné que «les organisations syndicales sont autonomes dans leur fonctionnement et distinctes par leur objet et dénomination de tout parti politique». Et «elles ne peuvent entretenir avec elles aucune relation qu’elle soit organique ou structurelle, ni recevoir de subventions financières et d’autres avantages de leur part, sous peine de suspendre leurs activités».
L’article 13 précise que «les membres fondateurs et dirigeants des organisations syndicales sont tenus de rester neutres» et de «s’abstenir à faire des déclarations de soutien aux partis et toute autre personnalité politique».
Par ailleurs, sont également soulignées dans la loi les modalités de la dissolution d’organisation syndicale notamment à travers l’article 65 qui précise que «la dissolution d’une organisation syndicale peut être prononcée par voie judiciaire, sur requête de l’autorité publique ou de toute autre partie, dans le cas de violation des dispositions de la présente loi relative à son objet, des règles et procédures relatives à son fonctionnement, prévues dans ses statuts».
Cette dissolution est prononcée également dans le cas «de violation des dispositions de la présente loi relative à ses relations avec les partis politiques», «le non-exercice d’activité effective liée à son objet pendant 3 ans» et dans le cas où les organisations syndicales connaissant «des difficultés financières graves et continues, entravant leur fonctionnement». Elles sont également dissoutes dans le cas de «perpétration d’infractions financières graves et d’atteinte à son patrimoine».
La dissolution de l’organisation syndicale est aussi prononcée pour «incitation à la violence, menace ou tout autre comportement illégal avec violation ou tentative de violation des droits des travailleurs», ainsi que pour «refus d’obtempérer et d’appliquer les décisions de justice».
Il est également souligné dans l’article 66 que dans le cas où une organisation syndicale commet une infraction susceptible de porter atteinte à l’ordre public, l’autorité administrative concernée peut porter plainte devant l’instance judiciaire compétente pour demander la suspension de toutes activités de cette organisation.
Le 10 janvier 2023, Youcef Cherfa est revenu devant les membres de la commission spécialisée de l’APW pour présenter l’autre volet du projet de loi qui, lui, est relatif à la prévention et au règlement des contentieux collectifs au travail et à l’exercice du droit de grève en soulignant que ce texte de loi se décline en 5 chapitres et comprend 91 articles. Il «renvoie les modalités d’application de certaines dispositions à des textes d’application en cours d’élaboration».
Le ministre du Travail a précisé à cette occasion que le projet de loi «accorde un intérêt particulier à l’encadrement de l’exercice du droit de grève et aux incidences pouvant découler de l’interruption du service public» en annonçant que dans ce projet de loi, recourir aux grèves illégitimes» peut mener une organisation syndicale à sa dissolution.
Samia Naït Iqbal