Cet ouvrage remarquablement documenté de l’ancien responsable du Secteur Relations  internationales, Paix et Désarmement  du PCF (2006-2013), détaille les causes et les enjeux de la sale guerre de Poutine et ouvre des pistes pour un Nouvel ordre international de Paix et de Coopération entre les peuples.

Ce paragraphe, page 148, résume à mon sens, l’analyse faite par l’auteur de la situation: « On doit à Vladimir Poutine et à lui seul la décision d’enclencher un conflit armé aux conséquences meurtrières et catastrophiques pour l’Ukraine et pour le peuple ukrainien. Et certainement pour la Russie elle-même. Mais la responsabilité de Poutine n’efface en rien celle de tous les acteurs occidentaux ayant contribué, au fil des années, à rassembler les paramètres d’une impasse stratégique et d’une guerre de haute intensité en Europe. La première de ce type en ce début de 21^e siècle. On n’a pas fini de mesurer et de subir les effets désastreux et de longue durée de ces trente années durant lesquelles les puissances dominantes du monde euro-atlantique se sont cru tout permis… »

La création de l’ONU en 1945 qui tirait quelques-unes des leçons des deux guerres mondiales, sa Charte, l’Acte final d’Helsinki (1975) et La Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, constituent des acquis précieux pour un Monde de Paix, mais « il ne suffit pas d’édicter des règles fussent-elles fondamentales » (P.118). Parmi les causes de la guerre il y a certes la paranoïa de Poutine qui veut reconstituer l’empire russe et parallèlement la volonté hégémonique des Etats-Unis. Ce que confirme l’ancien ministre Hubert Védrines : « Le Poutine de 2022 est largement le résultat tel un monstre à la Frankenstein, des errements, de la désinvolture et des erreurs occidentales depuis trente ans » (P.42)

L’engagement (P.52 et 53) de ne pas élargir l’OTAN, qui avait été pris par l’Occident lors de la Chute du mur de Berlin a été systématiquement violé. Comme l’a déclaré la sous-secrétaire d’Etat de Biden, Wendy Shermann : «  Nous n’accepterons pas que l’OTAN ne puisse plus s’élargir. Nous n’accepterons pas de retourner à 1997 » (P.29). D’où l’échec des négociations, notamment celles  des 17 décembre 2021, 10, 12 et 13 janvier 2022 et aucun travail diplomatique n’a été entrepris  sur les Accords de Minsk 2.

Pourtant, selon l’ancien ambassadeur Willial Burns, actuel directeur de la CIA,  « L’idée d’un statut spécial de l’Ukraine, hors de l’OTAN, y compris dans une forme de neutralité collectivement garantie, et dans un nouvel ordre de sécurité européen, ne peut pas être considérée comme une extravagance poutinienne » (P.54).

L’ouvrage publie en annexes une série de textes, en particulier  les échanges de correspondances et les projets d’accords qui, depuis 1945, auraient permis de garantir la sécurité des deux parties et qui n’ont jamais aboutis, creusant ainsi un fossé de méfiances.

La dégradation s’est accélérée depuis le début des années 2000 (P.80). La dénonciation américaine  du traité ABM de défense anti-missiles qui avait été conclu entre les Etats-Unis et l’Union Soviétique le 26 mai 1972 et confirmé le 3 juillet 1974, a été l’acte initiateur du démantèlement  de la sécurité internationale.

« La guerre de Poutine a manifestement [eu] un effet déclencheur et d’accélérateur  brutal dans un processus d’exacerbation des tensions, de compétition des puissances et de militarisation. En réalité tout cela est en œuvre depuis des années. Mais il y a une claire volonté de forcer l’allure et les décisions, y compris sur le nucléaire militaire » (P.74).

En dépit du délitement partiel de la domination états-unienne et du recul de l’influence de la France en Afrique (P.144), Poutine s’est bercé d’illusions et il a surestimé ses forces. La Russie va beaucoup y perdre.

L’objectif de l’administration Biden est d’ « affaiblir structurellement » la Russie et d’avoir les mains libres dans l’épreuve de forces engagée avec la Chine. La guerre de Poutine lui a offert cette opportunité» (P.113)

 Contrairement à ce qu’affirme  Emmanuel Macron, il ne s’agit donc pas d’une guerre circonscrite à  l’Ukraine et à la Russie, mais d’un affrontement entre Etats-Unis/ Union Européenne/OTAN, d’une part,  et Russie/Chine d’autre part pour la domination du Monde.  Ce qu’a confirmé en avril 2022, Liz Truss alors Ministre des Affaires Etrangères de Grande-Bretagne. L’Union Européenne, avec la doctrine La boussole (P.81) <adoptée le 21 mars 2022 a décidé de « renforcer le partenariat stratégique avec OTAN » qui, le 7 avril 2022, à Madrid, a élargi sa zone d’intervention  à la Chine.

« Les politiques mises en œuvre au niveau national et même européen, sur les critères du néolibéralisme, contribuent à faire perdurer ce monde capitaliste de la prédation, du risque,  et des vulnérabilités » (P.117)

Qu’en est-il du risque nucléaire ? L’auteur y consacre plusieurs pages (Pages 59 et suivantes) en notant que même si son évocation – en premier par la Russie - apparait avant tout verbale et qu’aucun signe de préparation n’ait été détecté par les services états-uniens, « La rhétorique de la menace nucléaire n’est jamais anodine » (P.67) Il rappelle à ce sujet l’importance  considérable des stocks  d’armes nucléaires y compris en France dont les quatre sous-marins lanceurs d’engins disposent de 4X16 missiles intercontinentaux équipés chacun de 6 à 10 têtes, ayant chacune une puissance sept fois supérieure à celle de la bombe d’Hiroshima. Une erreur ou un accident sont toujours possibles. Ainsi nous avons frôlé la catastrophe cette semaine avec le missile tombé en Pologne. Ces armes font peser une menace terrible. C’est l’avenir de l’humanité qui est en jeu.

En priorité, il faut  arrêter cette sale  guerre et construire la paix.  Sur quelles bases ? C’est sous l’égide de l’ONU, nous dit l’auteur, qu’un accord doit être conclu sans « enregistrer l’acquisition de nouveaux territoires par la force » (P.165). Et il précise : « Réussir un accord qui ne soit pas seulement une fin de conflit, mais surtout une construction pour l’avenir, implique l’engagement politique multilatéral déterminé qui a tant fait défaut durant tant d’années [] faire reculer les logiques de puissance, et faire dominer la responsabilité collective » (P.165) En d’autres termes, il faut promouvoir un Nouvel Ordre International qui remette  en cause  « l’affirmation de la puissance et la prééminence de l’exercice de la force ».

Au fond, ce qui est à l’ordre du jour en ce début du XXle siècle, est de  « sortir des règles et du système en épuisement du capitalisme » (P.169)

Ce bref compte-rendu n’épuise pas la richesse de cet ouvrage. Lisez-le.

Bernard DESCHAMPS

19 novembre 2022

• POUTINE, L’OTAN ET LA GUERRE, sur les causes et les enjeux d’une sale guerre en Ukraine, Jacques Fath, Editions du Croquant, octobre 2022.