J’ai lu « Le communisme a de l’avenir » qui a comme sous-titre «si on le libère du présent ». Instructif, pédagogue, décapant, dérangeant parfois. A discuter. Donc passionnant.
Que cet ouvrage s’ouvre sur une longue citation des Mémoires d’outre-tombe de François- René de Châteaubriand – ce qui vous en conviendrez peut surprendre - n’est pas étranger pour un de ses admirateurs comme moi, à la curiosité avec laquelle j’ai abordé cette lecture.
La crise de la covid a rendu plus actuelle que jamais la question de l’après-capitalisme, de la nécessité de passer au communisme et de l’actualité de Marx. A condition de lire ce que celui-ci a réellement écrit. Car, la visée de Marx et d’Engels était le Communisme et non le Socialisme. Au fil des pages, on apprend comment leur pensée a été déformée, en raison de traductions approximatives ou tardives en France de certains des ouvrages de Marx. En raison de l’interprétation qu’en a faite la social-démocratie allemande influente dans le mouvement ouvrier européen. En raison de l’assimilation abusive de leur pensée et du« socialisme réel » instauré à partir de 1917 en URSS, puis dans les Démocraties populaires. Plusieurs chapitres de l’ouvrage analysent ces déformations et le Chap. VII démontre que « Ce qui a échoué au XXe siècle, c’est le socialisme et non le communisme ».
Mais alors qu’est-ce que la « visée du communisme » ? Bernard Vasseur insiste sur l’idée que, selon Marx, ce n’est pas une utopie imaginée par quelque génie et qui remplacerait le capitalisme du soir au lendemain. Le grand soir…Elle nait des contradictions même du capitalisme et elle ne doit pas être renvoyée à un futur problématique, mais se construire dès maintenant en imposant des victoires qui remettent en cause la nature même du capitalisme. La Sécurité sociale, par exemple, est un ferment de communisme sous le régime capitaliste. Aussi Marx jusqu’à la fin de sa vie, au terme « révolution », préfèrera l’expression « évolution révolutionnaire ». Cela a bien évidemment des incidences sur les objectifs que nous devons nous fixer et sur les tactiques des luttes. Notre combat ne saurait – même si celui-ci est important - se limiter à la lutte pour changer l’Etat.
La « visée communiste » ne saurait non plus se limiter à sa dimension économique à laquelle une certaine lecture – datant de Staline pour l’essentiel – a réduit Marx. L’appropriation de la plus-value par les propriétaires des moyens de production, que Marx a mise à jour et qui explique le mécanisme de l’exploitation capitaliste, s’accompagne de l’aliénation des travailleurs et de larges couches de la population. De nombreuses pages sont consacrées à cette aliénation en en précisant le sens : « devenir étranger à soi ». Sous le capitalisme, le fruit de son travail devient étranger au travailleur et tous les aspects de la vie de l’individu et de la société en sont affectés. La suppression de l’exploitation capitaliste et l’émancipation des êtres humains doivent donc aller de pair. « Le développement des forces humaines [est une] fin en soi » (Page 330). Cela ne peut être octroyé "d’en haut", « L’émancipation des travailleurs doit être l’œuvre des travailleurs eux-mêmes ». En Union Soviétique et dans les « pays socialistes », les moyens de production et d’échanges ont bien été, par décrets, arrachés des mains de leurs propriétaires privés, mais ils sont devenus propriétés de l’Etat et non des travailleurs. En France, les nationalisations se sont traduites par une étatisation.
Bernard Vasseur consacre de nombreuses pages au dépérissement de l’Etat et à l’émancipation des êtres humains dont le combat pour la préservation de la nature est une dimension constitutive de la « visée communiste » (p.73 à 74 et 241)
Les communistes français ont-ils une responsabilité dans le renvoi de la visée communiste à un futur sans cesse reculé, incertain, fumeux, inaccessible ? L’auteur écrit (page 18) : « on programma « des « étapes » préalables au communisme puisqu’il fallait en passer par là et que cela semblait constituer le privilège des partis politiques (et surtout de leurs « états-majors »). Il y eut donc l’étape du socialisme puis, en France, avant elle, l’étape d’une « démocratie avancée ouvrant la voie au socialisme ». Et c’est ainsi, que de reculs en reculs, on en est aujourd’hui arrivé à négliger le communisme ».
Cela mérite réflexion et discussion. Est-ce l’incrédulité à l’égard de la possibilité d’instaurer le communisme qui nous a conduits à programmer des étapes ? Ces étapes ont elles gêné, retardé le combat pour le communisme ?
La participation aux élections implique d’avoir un programme. Celui-ci constitue bien une étape. Cette étape est incontournable, sauf à abandonner l’objectif de la conquête de l’Etat et à ne pas participer aux élections.
Marx et Engels n’évoquent pas d’étapes dans leurs écrits, mais dans le Programme de Gotha*, Marx évoque bien deux phases de la société communiste, l’une « inférieure » puis l’autre « supérieure» et Lénine fut contraint à la NEP en raison de l’arriération de la Russie des années 20.
Pour être entendu et soutenu, le programme doit tenir compte de l’état de l’opinion publique. La question qui alors se pose est : les politiques que nous proposons s’inscrivent-elles dans la perspective du communisme, en conformité avec notre objectif d’émancipation humaine ?
Il a pu exister dans certaines élections que des programmes soient, pour le dire vite, « opportunistes ». Etait-ce le cas, pour ne citer que quatre programmes proposés à des moments importants la vie du Parti Communiste Français : le Manifeste de Champigny (1968) ; Changer de cap (1971) ; le Programme commun de la Gauche, (1972) ; Le socialisme pour la France (22e congrès du PCF, 1976) et plus près de nous en 2022, La France des Jours Heureux ?
Je viens de les relire. Il est exact, qu’à une exception près, la « visée du communisme », n’y est jamais formulée.
Le Manifeste de Champigny adopté après le grand mouvement populaire de mai-juin 1968, a pour titre : « Pour une démocratie avancée. Pour une France socialiste ». Sur les dix chapitres, un chapitre entier (pages 43-44) est consacré à Qu’est-ce que le socialisme ? Avec la définition suivante : « Le socialisme c’est tout à la fois la propriété collective des grands moyens de production et d’échange, l’exercice du pouvoir politique par la classe ouvrière et ses alliés, la satisfaction progressive des besoins matériels et intellectuels sans cesse croissants des membres de la société, la création des conditions propres à l’épanouissement de chaque personnalité ». A la page 37, il est précisé : « La classe ouvrière, la majorité du peuple doivent être conquises à l’idée et à la pratique d’une transformation socialiste de la société. On ne peut le faire qu’en leur montrant qu’il est possible d’abord de se débarrasser du pouvoir antidémocratique actuel et en les convainquant de la nécessité d’une modification profonde des structures économiques et sociales ».
Changer de cap en 1971 se définit comme un « Programme pour un gouvernement démocratique d’union populaire ». Le mot « communisme » n’y figure pas, mais en conclusion, à la page 242, il affirme : « Le socialisme est à l’ordre du jour dans le monde entier […] La mise en œuvre du présent programme démocratique, d’un contenu économique et social avancé, marquera une étape de notre pays vers cette forme supérieure de société ».
Le Programme Commun de la Gauche de 1972, n’est pas un programme « socialiste », comme le souligne Georges Marchais dans la préface, mais il propose « des changements profonds [sont] nécessaires dans la vie politique, économique et sociale de la France […] pour ouvrir la voie au socialisme ».
La résolution du 22e congrès du PCF en 1976 pour sa part se prononce pour « Le socialisme aux couleurs de la France ».
Enfin, le programme pour les élections présidentielles de 2022, La France des jours heureux, se définit comme un Projet pour un pacte social, écologique, républicain. Il ne fait référence ni à la perspective socialiste ni à la « visée communiste », mais comme dans les précédents programmes, les mesures qu’il propose s’attaquent à la domination politique et économique du capital et, ce qui pendant longtemps ne fut pas le cas, il remet en cause l’élection du président de la République au suffrage universel. Il s’inscrit sans le déclarer dans la perspective du communisme.
Dans de nombreux textes, le « socialisme » est présenté par le Parti Communiste Français comme le « but final » à atteindre, avec une définition du « socialisme » qui l’assimile au « communisme ». Nous ne pouvons donc en rester au niveau du vocabulaire. La question que nous devons nous poser est : la politique proposée par le PCF est-elle anticapitaliste et permet-elle de se donner des points d’appui pour parvenir à une société post-capitaliste ?
En nous prononçant clairement pour la suppression de l’élection du Président de la République au suffrage universel et pour le développement des libertés à tous les échelons, nous nous inscrivons dans la perspective de l’abolition de l’Etat, et nos propositions politiques, économiques, sociales et culturelles sont de nature à dépasser la domination du capital.
Mais ce sont des propositions « d’en haut ». La véritable révolution intérieure au PCF que nous devons effectuer est d’inverser nos priorités. Prioritairement, construire avec nos concitoyens des fronts de luttes pour de nouvelles avancées anticapitalistes et lors des élections, élaborer les programmes en croisant, dans le dialogue, nos propres analyses et les revendications populaires. En un mot, élaborer nos programmes non pas dans un bureau mais avec « les gens ». C’est une démarche exigeante qui ne réduit pas le rôle du parti mais en modifie la démarche : de prétendue avant-garde, le PCF doit devenir coauteur.
Bernard Vasseur formule de nombreuses suggestions en ce sens. A lire et à méditer d’urgence.
Bernard DESCHAMPS
- L’idéologie allemande, Editions sociales/GEME, p.78, 79.