Salman Rushdie entre la vie et la mort
S’agit-il de l’exécution d’une fatwa ou d’un acte isolé perpétré par un frustré en mal de visibilité ? Dans les deux cas de figure, l’agression contre l’écrivain est une abomination. Nul n’a le droit d’attenter à la vie d’autrui.
J’ai rencontré Salman Rushdie à New York en 2007. Il m’avait invité à l’American Pen. Il y a trois ou quatre ans, nous étions tous les deux sur le même plateau de La Grande Librairie. Il savait que je suis croyant pratiquant et je savais qu’il était athée. Nous nous respections parce que nous sommes toujours persuadés que la liberté de tout un chacun, tant qu’elle ne s’oppose pas à la liberté des autres, est légitime. On est libre de croire ou bien de ne pas croire. Le malheur de l’humanité commence dès lors que certains contestent et condamnent le mode de vie des autres. Lorsqu’il s’agit de conviction, la contestation de cette dernière est une atteinte à l’intégrité. On peut discuter, débattre ou ne pas débattre, mais rien ne justifie un passage à l’acte aussi odieux qu’impardonnable. Un écrivain a sa propre façon de voir les choses. S’il lui arrive de bousculer nos certitudes ou de déplacer certains de nos repères, il ne fait que nous aider à réfléchir le monde qui nous entoure et à interroger intelligemment nos convictions et les enseignements auxquels nous avons accédé.
L’existence est un mystère. Et notre vocation d’êtres humains est de tenter d’en percer les codes. Il ne sert à rien de s’opposer à la Pensée car elle guide notre destinée avec ou sans notre consentement. L’Homme est Pensée. Il est un arsenal d’idées, d’imaginaires, de créativité. Ce sont précisément ces données qui le caractérisent, le singularisent et lui permettent d’évoluer avec les âges, les cycles et les civilisations. Tant que la violence est instrumentalisée dans le but exclusif de faire taire la Pensée, cette même violence finira par nous déshumaniser. D’ailleurs ne le sommes-nous pas déjà, au vu des guerres qui succèdent aux guerres, du racisme tentaculaire, des xénophobies claironnantes, des haines communautaires, des ségrégations outrancières et du radicalisme tous azimuts qui passe du militantisme éclairé au rejet absolu de toute cohabitation. L’intolérance est une barabarie en gestation. Elle abolit la lucidité. Si le monde n’a de cesse de dégénérer, c’est parce qu’il refuse de se faire une raison — et il n’en existe qu’une seule de vrai, de juste et d’essentiel : VIVRE ET LAISSER VIVRE CAR NUL NE DÉTIENT LA VÉRITÉ.
Yasmina KHADRA