CLÔTURE DE LA 10e FÊTE DE L’ALTO
Samedi 27 août
Pour cette ultime soirée, je suis arrivé en avance, afin de consacrer du temps à la remarquable exposition de tentures de soie de l’artiste plasticienne Susan Smith de l’Université du Maine (USA), accrochées sur les murs du Temple. Ce sont des créations d’une grande originalité. Constituées de voiles de soie assemblés, de différentes tailles. Superposés ou en drapés. Fleurs, taches de couleurs, plantes et arbres stylisés, peints dans des tons orangés et bistres, sont en harmonie avec la douceur de la soie.
Trois stagiaires – deux jeunes filles et un jeune homme – qui ont suivi la classe de maître du printemps à Lasalle, sous la direction de Pierre-Henri Xuereb, ont l’honneur de se produire en solo en ouverture de cette soirée, dans Sarabande de Jean-Sébastien Bach. Ils font déjà preuve d’une belle personnalité.
Le Quatuor « Américain », Opus 96, du Praguois Antony Dvorak qui leur succède, a été composé en 1893 alors qu’il était à New-York. Bien que surnommé l’ « Américain » j’ai ressenti dans le l’interprétation de ce quatuor par Yibin Li au violon, Ruixin Niu à l’alto et Philippe Muller au violoncelle, des accents nostalgiques de sa Bohême natale.
Pierre-Henri Xuereb et Ruixin Niu jouent ensuite le Duo pour 2 altos de Rebecca Clarke née en Angleterre en 1886 et décédée à New-York en 1979. On imagine une galerie de personnages aux trognes avinées, grimaçantes, se risquant à une danse clownesque ; « grotesque » nous dit PHX.
Frédéric Durieux (né à Paris en 1959) nous offre une seconde composition en première mondiale[BD1], « Entscheiden » interprétée par Pierre-Henri Xuereb.
Christophe Giovaninetti, Yibin Li, Pierre-Henri Xuereb, Ruixin Niu et Philippe Muller nous ravissent avec les poèmes musicaux romantiques de 3 Leider du compositeur allemand Carl Maria Von Weber (1786-1826).
Les mêmes, plus Philippe Cuper au violoncelle, pour Couleurs océaniques d’un avocat et compositeur parisien du XVIIe siècle, Estienne Duchemin. Le violon de Christophe Giovaninetti très inspiré évoque une île perdue dans l’immensité océane. Le bleu du ciel. L’éclat du soleil et le scintillement de l’eau.
Pierre-Henri Xuereb nous avait réservé une belle surprise. Dix violonistes et altistes, artistes professionnels, stagiaires, bénévoles de Viv’alto, envahissent l’estrade et, sous sa direction, vont nous donner América de Léonard Bernstein que le public conquis fredonnera à l’unisson.
Pour clore cette 10e Fête de l’Alto, Christophe Giovaninetti et Yibin Li au violon, Philippe Muller au violoncelle, Pierre-Henri Xuereb et Ruixin Niu à l’alto, nous interprètent le Quintette à cordes en Sol mineur, K 516, une des œuvres majeures de Mozart, terminée en mai 1787, quelques jours avant le décès de son père qui l’affectera profondément bien qu’ils aient eu des relations tendues. Quatre ans plus tôt, inspiré par la philosophie des Lumières, Mozart avait adhéré à la Franc-Maçonnerie, une prise de parti dont l’influence est perceptible dans cette oeuvre.
Au cours de cette semaine, la 10e Fête de l’alto dans sa diversité revendiquée, aura intimement mêlé l’Orient et l’Occident, la modernité et les traditions, la joie et la tristesse… Le Quintette que nous entendons ce soir peut être ressenti comme l’expression de la souffrance et des interrogations qui précèdent la mort. Les esprits chagrins s’étonneront qu’une telle œuvre ait été choisie pour conclure ce qui fut une fête. Mais les Routes de la soie n’étaient pas sans danger, et les voyageurs y rencontraient aussi parfois la mort. Et ce quintette, certes sombre est si beau, si mozartien…
A l’entame de ce 1er mouvement (Allegro), les cordes expriment une douleur ténue. Qui se fait de plus en plus insistante, bientôt accompagnée d’angoisse. Mais pourquoi, pourquoi ? Lancinante. L’idée de la fin peu à peu affleure, à laquelle on ne veut pas croire. Remontent alors des images du passé. Un moment de rémission, mais la douleur devient intolérable et l’on se prend à souhaiter d’une rapide délivrance.
Au 2e mouvement (Menuetto: Allegretto), la douleur s’est installée. Sourde. Insupportable. Les cordes se font tragiques.
3e mouvement (Adagio ma non troppo). Le plus sombre. Interrogations sur le passé. Des regrets. Les regrets d’une vie. Une petite lueur d’espoir cependant d’un au-delà sans souffrance. Qui s’éteint très vite pour laisser place à une indicible angoisse. Et c’est la fin.
4e mouvement (Adagio-allegro). Le cortège funèbre avance au rythme lent du pas des chevaux du corbillard. Des conversations étouffées évoquent la mémoire du défunt. Quelques éclats indécents. Le silence revient, mais dans les têtes la colère monte contre l’absurdité et la cruauté de la mort. Les cordes à l’unisson, nous disent malgré tout l’espoir que la mort sera vaincue.
De longs applaudissements saluèrent cette œuvre et la remarquable prestation des artistes.
La 10e Fête de l’Alto prend fin sur ce dernier concert qui, par sa qualité, restera dans les mémoires. Dix ans déjà ! Dix années au cours desquelles cette manifestation, dans le prolongement des classes de maître qui se tiennent au printemps à Lasalle, s’est diversifiée, enrichie, affirmée, attirant un public de mélomanes de plus en plus nombreux. Animée de la foi de ses débuts, de la volonté de faire découvrir des rivages musicaux méconnus afin de favoriser l’ouverture à « l’autre », culturellement différent, humainement identique. Mais cette belle aventure n’aurait pu voir le jour et se développer sans le dévouement des nombreux/ses bénévoles autour de Marie-Hélène Bénéfice, la Présidente de Viv’alto et de Pierre-Henri Xuereb, son directeur artistique. Grâce au soutien et à l’aide de la Mairie de Lasalle, des collectivités locales et de nombreux organismes, cette manifestation culturelle de haut niveau reste à la portée des bourses les plus modestes, lui permettant ainsi d’accomplir pleinement sa mission d’éducation populaire. Cela mérite reconnaissance.
A bientôt, donc. A la joie de nous revoir pour la 11e Fête de l’Alto.
Bernard DESCHAMPS