La « grande » histoire racontée au niveau local revêt sa dimension humaine avec ses drames et ses joies. C’est un travail remarquable, fruit de longues années de recherches et d’observation que nous livre Mireille Berthier.
Commençons par la fin : « Ce village au passé plein de contrastes, de violence souvent, sut aussi faire preuve de sagesse et de réflexion. Ce village sans doute à nouveau à l’aube de prochains bouleversements, ce village qu’on ne quitte plus une fois qu’on a commencé à le comprendre un peu, c’est son histoire que j’ai souhaité partager. », nous dit Mireille Berthier. Et, d’un habitat paléolithique sur les bords de la rivière Le Gardon, jusqu’au seuil de ce 21e siècle, l’auteure qui fut professeure d’histoire, nous fait découvrir son évolution au gré des changements dans le monde et de ses dynamiques internes.
A l’époque gallo-romaine : « Sur les basses pentes on cultivait les céréales, plus haut, vignes et oliviers ; la forêt qui dominait le plateau était propice à l’élevage mais aussi à la fabrication d’une grande partie du matériel nécessaire aux travaux des champs » (P.14)
En dépit des changements climatiques décrits par Emmanuel Le Roy Ladurie auquel Mireille Berthier se réfère souvent, ce village conserve une certaine typicité. Les périodes de réchauffement et de refroidissement ont peu altéré son caractère méditerranéen : « Paysage de pierres, d’arbustes (buis, chênes verts, chênes kermès auxquels s’associent quelques pins ayant survécu aux gelées et aux incendies), paysage de buisson, de plantes épineuses, ce paysage a depuis longtemps remplacé la forêt défrichée par les hommes. » (P.11)
C’est en effet l’activité humaine qui l’a le plus marqué et, grâce aux documents, notamment aux compoix précieusement conservés, et aux résultats des fouilles, on suit avec intérêt, comment Montaren - la montagne de sable - et Saint-Médiers qui lui sera rattaché le 30 décembre 1815, vécurent la période qui précéda la conquête romaine puis l’époque gallo-romaine ; les temps barbares ; le système féodal ; les temps modernes avec notamment les guerres de religion dont les effets sont sensibles encore aujourd’hui ; l’agonie de l’Ancien Régime et la Révolution française ; le Consulat et l’Empire, le 19e siècle ; le 20e siècle et les deux guerres mondiales…Et l’on est frappé combien le futur est en germe dans l’ancien et combien l’ancien en partie perdure. Evolution et ruptures. Ce sera particulièrement évident avant et après 1789.
Les guerres de religion ont exercé une influence prolongée sur la vie du village. Par-delà leur dimension religieuse, elles apparaissent bien au niveau de cette commune, comme une réaction de la bourgeoisie ascendante contre l’absolutisme royal et le système féodal qui bridait leur développement. Et cette bourgeoisie remplacera peu à peu la noblesse dans la possession des terres et la direction des affaires. Le clivage entre protestants et catholiques perdure, même si le vivre ensemble est désormais la règle. Il n’est plus question de séparer par un mur les sépultures protestantes des sépultures catholiques !
Au fil de la lecture de cet ouvrage d’une grande rigueur historique, mais que l’on lit comme un roman en suivant une multitude de personnages dans leur vécu quotidien, on redécouvre des gestes oubliés, notamment les diverses étapes de « l’éducation » des vers à soie dont la culture était florissante (et source d’enrichissement) au 18e siècle et qui a aujourd’hui disparu : l’achat des « graines » qui venaient de Turquie ; le « castelet » pour l’éclosion des graines à 35-37° ; le placement des vers sur des claies de bois où ils se nourrissaient de feuilles de murier ; « l’encabanage » au cours duquel se formait le cocon ; l’étouffement des chrysalides pour maintenir l’intégrité des fils des cocons, et enfin la livraison à la filature.
Le développement du chemin de fer autour de 1880 va entraîner le plus grand bouleversement que la commune de Montaren et Saint-Médiers ait connu. Il permettra non seulement le transport des voyageurs, mais également l’essor de l’industrie et singulièrement de la fabrique locale de briques réfractaires utilisées pour la construction des cheminées d’usines et livrées dans le bassin minier des Cévennes et jusqu’à Saint-Etienne. La tradition des verriers éteinte depuis plusieurs siècles par contre ne renaîtra pas. Une gare est alors construite à Montaren.
Tous les aspects de la vie locale défilent sous nos yeux : les traditions locales, les fêtes, les drames aussi avec les famines, les épidémies, la peste et le choléra au 18e siècle, les révoltes paysannes, les morts et les disparus des deux guerres mondiales, l’école d’abord réservée aux garçons puis aux filles et rendue obligatoire sous la llle République… Et l’histoire du château, de la Tour Sarrazine et de leurs propriétaires successifs.
Madame la professeure, sur la base de cette appréciation infiniment positive, me permettez-vous de vous faire une critique : le jugement négatif porté sur Robespierre m’a semblé quelque peu abrupt.
Il reste que cet ouvrage savant fera date et que j’ai pris beaucoup de plaisir à sa lecture. Plaisir visuel également pour les illustrations de qualité et pour la belle couverture cartonnée qui m’a rappelé mes livres d’écolier…
Bernard DESCHAMPS
19 juillet 2022
*Montaren et Saint-Médiers. Un village occitan dans l’histoire, Mireille Berthier, Nombre7 PUBLISHING, juillet 2022, 20€.