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13 juillet 2022 3 13 /07 /juillet /2022 16:28

 

(Dernière mise à jour, le 14 juillet à 15h.)

Lorsqu’il était étudiant à Montpellier, Mohamed Khemisti, le futur Ministre des Affaires Etrangères du premier gouvernement de l’Algérie indépendante, vint à plusieurs reprises dans le Gard rencontrer les mineurs algériens des Cévennes en lutte pour l’Indépendance de leur pays. Le bassin minier était en effet le centre de commandement d’une zone de la Fédération de France du FLN comprenant le Gard, l‘Hérault, l’Ardèche et une partie du Vauccluse. Madame Keltoume Djoudi (dont le mari est M. Abderrahman Djoudi qui fut emprisonné aux Baumettes à Marseille pour son engagement au FLN)(1)  se souvient de l’avoir rencontré au domicile de ses parents à L’Habitarelle dans la commune des Salles-du-Gardon.

Mohamed Khemisti était né en 1930 à Maghnia (la ville de naissance du Président Ahmed Ben Bella et de Mohamed Krim), dans une famille de petits fellahs. Après avoir eu la chance (rare) d’aller à l’école primaire, il fut manœuvre et ouvrier avant de reprendre ses études, de passer le  baccalauréat et d’être admis à la Faculté de médecine de Montpellier. Secrétaire général de la section de Montpellier de l’UGEMA (Union Générale des Etudiants Musulmans  Algériens), membre du comité exécutif à Paris, il présida le congrès de l'UGEMA du 24 au 30 mars 1956.  Il prit une part active à l’organisation de la grande grève des étudiants algériens du 19 mai 1956 pour l’indépendance de l’Algérie. Il participa à la création de l'équipe de football du FLN. En 1957, lors du Festival mondial de la jeunesse à Moscou, il présida la délégation algérienne  qui pour la première fois, était présente dans une grande manifestation internationale. Malgré son jeune âge, il se montra fin politique et fit preuve de diplomatie et de fermeté en imposant la présence du drapeau algérien des combattants pour l’indépendance. Au stade Lénine, Nikita Khrouchtchev, secrétaire général du PCUS, et Nikolaï Boulganine, Président du Conseil des Ministres, se levèrent pour saluer le drapeau vert et blanc au croissant de lune, à l'étoile, frappé de rouge.

La délégation qu'il présidait se rendit en Chine et au Viet Nam, où elle fut reçue par Chou En Laï, Premier Ministre de la République Populaire de Chine, puis par Ho Chi Minh, le grand dirigeant vietnamien. De retour en France, il fut arrêté le 12 novembre 1957 à Montpellier sur la base des listes de suspects établies par les préfectures conformément à la loi du 26 juillet 1957 votée le 19 juillet (Gouvernement Bourgès-Maunury. Les députés communistes avaient voté CONTRE. Guy Mollet avait voté POUR et François Mitterrand s’était ABSTENU). Il fut transféré à la prison d'El Harrach.

Libéré en 1960, mais menacé, il se rendit  en Suisse. Sur place, il fut chargé de différentes tâches et se déplaça en Europe et dans le monde.

Djoudi Arezki, le père de Madame Djoudi Keltoume, tenait un magasin d’alimentation, rue des Poilus à La Grand’Combe. Il diffusait les tracts du FLN  et il était un des  collecteurs de l’ichtirak, l’impôt patriotique. Madame Djoudi se souvient de Mohamed Khemisti  venu plusieurs fois au domicile de ses parents pour y tenir clandestinement des réunions. C’était en 1956 ou début 1957, avant son arrestation. Madame Djoudi  avait alors 8 ou 9  ans. L'aînée de onze enfants, elle avait une grande maturité pour son âge. C’est elle qui tenait les comptes de l’ichtirak. Responsabilité importante car les sommes collectées étaient élevées. A cette époque, pour financer le combat pour l’Indépendance, un manoeuvre devait verser 1 000 francs par mois au FLN (un célibataire, 2 000 francs) sur un salaire mensuel de 35 000 francs (2). La première fois, Khemisti l’interrogea longuement, essayant de lui faire raconter comment cela se passait. Keltoume Djoudi, à qui son père avait recommandé de ne pas parler aux personnes qu’elle ne connaissait pas, refusa de répondre. Mohamed Khemisti félicita son père pour sa discrétion. Il avait en effet voulu la sonder pour s’assurer que les mesures de sécurité vitales dans le combat clandestin, étaient bien respectées.

Mohamed Khemisti sera Ministre des Affaires Etrangères du  28 septembre 1962  au 4 mai 1963, date de son décès  à l’hôpital Mustapha des suites de l’attentat dont il avait été victime le 11 avril 1963 sur le perron du siège de l’Assemblée Populaire Nationale , avenue Zighout Youcef à Alger. Selon son épouse, la moudjahida  Fatima Kimèche , veuve du célèbre Colonel Lofti, il s’apprêtait à démissionner en raison d’un désaccord – qu’elle ne précise pas - avec le Président de la République algérienne, Ahmed Ben Bella dont il était pourtant très proche.  L'auteur de l'attentat Mohamed Zénadi, était un ancien moudjahid, instituteur à Mostaganem, qui se suicidera en prison le 20 juin 1965. Le mystère reste entier sur les mobiles de cet acte qui fut le premier contre une personnalité politique après l'indépendance. On distingue mal les divergences politiques qui auraient pu exister entre le Président Ben Bella et son Ministre des Affaires Etrangères, les orientations de politique étrangère ayant été définies par le Congrès de Tripoli (27 mai-3 juin 1962) qui avait posé cinq principes : « lutte contre le colonialisme et l’impérialisme » ; « soutien aux mouvements en lutte pour l’unité du Maghreb » ; « appui aux mouvements de libération » ; « lutte pour la coopération internationale » ; « reconversion de l’ALN en armée nationale ». Ces orientations seront d’ailleurs poursuivies par le successeur de Mohamed Khemisti, Abdelaziz Bouteflika. Ben Bella soutiendra plus tard que le crime était de nature passionnelle.  .

Mohamed Khemisti fut un grand Ministre des Affaires Etrangères, dans la lignée de la génération de diplomates qui s’était forgée pendant la guerre d’indépendance. Son ami de jeunesse, Ali Abdellaoui qui sera son chef de cabinet au ministère, dira de lui : « Quand j'ai connu Mohamed Khemisti, il m'a paru comme un homme doux, calme, respectueux…».

Il défendit le principe de la nécessité de relations privilégiées avec la France et les pays du Maghreb. Il tenait à l’alliance avec l’Egypte en préservant la souveraineté de l’Algérie. Il accompagna Ahmed Ben Bella à New York invité à la session de l'ONU en octobre 1962. Il conduisit la délégation de son pays lors de la première rencontre franco-algérienne pour l’application des Accords d’Evian du 30 novembre au 4 décembre 1962 à Paris. Il participa en 1963 à une rencontre des Ministres des Affaires Etrangères du Maghreb  à Rabat...

Ses obsèques conduites par le Président Ahmed Ben Bella se déroulèrent en présence de dizaines de milliers d’Algériens et de nombreuses délégations étrangères, parmi lesquelles le Président Gamal Abdel Nasser, M. Mongi Slim, Ministre des Affaires Etrangères de Tunisie et  Roger Gorse pour la France. Le ministre des habous, M. Tewfik El Madani, prononça au nom du gouvernement l'éloge funèbre du disparu.

Mohamed Khemisti est inhumé au cimetière Lalla Maghnia, dans sa ville natale.

Près de soixante-dix ans plus tard, Madame Djoudi conserve un souvenir toujours aussi vif de cette éminente personnalité.

Bernard DESCHAMPS

14 juillet 2022

  • Complément à Le fichier Z, essai d’histoire du FLN dans le Gard 1954-1962, Bernard Deschamps, préface de Henri Alleg,  2003.
  1. Ouvrage cité ci-dessus, pages 133 à 135.
  2. Ouvrage cité ci-dessus, pages  81 à 86.
Mme Djoudi avec Abderrahman son mari et Khemissa Mehigueni.
Mme Djoudi avec Abderrahman son mari et Khemissa Mehigueni.

Mme Djoudi avec Abderrahman son mari et Khemissa Mehigueni.

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