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24 juin 2022 5 24 /06 /juin /2022 12:28

par Bernard Deschamps

(Dernière mise à jour, le 24 juin 2022 à 15h.)

Depuis l’abstention des 35, le 2 mars dernier, sur la résolution de l’Assemblée Générale de l’ONU  condamnant l’agression de l’Ukraine par la Russie, on s’interroge : est-ce l’amorce d’un nouveau mouvement tiers-mondiste ? L’abstention des 35 est-elle le prélude à un nouveau Bandoeng ?

L'expression « tiers-mondisme »  a été introduite en 1952 par le démographe français Alfred Sauvy faisant le parallèle entre les pays les plus pauvres et le tiers état de l'ancien régime.

Le tiers-mondisme désigne un courant de sympathie vis-à-vis des pays du tiers-monde, ainsi que le soutien, sous diverses formes, à leur développement économique et politique.

En septembre 1920, le Premier Congrès des Peuples d'Orient à Bakou, sous la direction du président de l'Internationale Communiste, Grigori Zinoviev, s’était prononcé en faveur d’une orientation anti-impérialiste, anticolonialiste, avec la volonté de mettre en place une politique d’amitié entre les peuples.

L'URSS apporta une aide économique et militaire à de nombreux pays du tiers-monde et de nombreux étudiants allèrent étudier à Moscou (Afrique noire, pays arabes, Cuba, Asie)

Les pays d'Europe de l'Est alignés sur l'URSS, comme l’Allemagne de l’Est (RDA) soutenaient eux aussi les pays du tiers-monde. D'autres pays communistes non alignés sur Moscou, telles que la Yougoslavie de Tito (membre du mouvement des non-alignés) et la Chine de Mao Zedong, adoptèrent également cette politique.

Il est utile d’avoir en tête ces précédents historiques, car comme on le verra, ils ont laissé un souvenir prégnant dans de nombreux pays, notamment en Afrique.

 

 

La Conférence de Bandoeng de 1955

Une Conférence des Nations afro-asiatiques convoquée par les gouvernements de Birmanie, de Ceylan, de l'Inde, d'Indonésie et du Pakistan se réunit à Bandoeng du 18 au 24 avril 1955. Les cinq avaient pris position contre les essais nucléaires, la politique des blocs et le colonialisme et se prononçaient pour l'admission de la République populaire de Chine aux Nations Unies.

Trente pays participèrent à la conférence : quinze pays d'Asie (Afghanistan, Birmanie, Royaume du Cambodge, Ceylan, République populaire de Chine, Inde, Indonésie, Japon, Royaume du Laos, Népal, Pakistan, Philippines, Thaïlande, République démocratique du Viêt Nam, État du Viêt Nam), neuf du Moyen-Orient (Arabie saoudite, Égypte, Iran, Royaume d'Irak, Jordanie, Liban, Syrie, Turquie et Yémen) et six pays africains (Côte-de-l'Or (l'actuel Ghana), Éthiopie, Liberia, Soudan, Somalie et Libye). La plus grande partie du continent africain était encore sous domination coloniale. Le Japon fut le seul pays industrialisé à assister à la conférence. Une délégation du FLN algérien était présente en qualité d’observateur ainsi que le Néo-Destour tunisien.

Cette Conférence se tint dans un contexte idéologique marqué par un fort élan de sympathie pour les peuples en lutte pour leur indépendance. De nombreuses manifestations de solidarité se déroulaient dans le Monde  et pour leur part l’Union Soviétique et les pays socialistes leur apportaient une aide appréciable.

Dans sa déclaration finale la Conférence adopta 10 Principes (1)

« 1) Respect des droits humains fondamentaux en conformité avec les buts et les

principes de la Charte des Nations Unies;

2) Respect de la souveraineté et de l'intégrité territoriale de toutes les nations;

3) Reconnaissance de l'égalité de toutes les races et de l'égalité de toutes les nations, petites et grandes;

4) Non-intervention et non-ingérence dans les affaires intérieures des autres pays;

5) Respect du droit de chaque nation de se défendre individuellement ou collectivement conformément à la Charte des Nations Unies;

6) a) Refus de recourir à des arrangements de défense collective destinés à servir les intérêts particuliers des grandes puissances quelles qu'elles soient;

b) Refus par une puissance quelle qu'elle soit d'exercer une pression sur d'autres;

7) Abstention d'actes ou de menaces d'agression ou de l'emploi de la force contre l'intégrité territoriale ou l'indépendance politique d'un pays;

8) Règlement de tous les conflits internationaux par des moyens pacifiques, tels que négociation ou conciliation, arbitrage ou règlement devant des tribunaux, ainsi que d'autres moyens pacifiques que pourront choisir les pays intéressés, conformément à la Charte des Nations Unies;

9) Encouragement des intérêts mutuels et coopération;

10) Respect de la justice et des obligations internationales.

La conférence afro-asiatique proclame sa conviction qu'une coopération amicale,

conforme à ces principes, contribuerait effectivement au maintien et à la consolidation de la paix et de la sécurité, cependant qu'une coopération dans les domaines économique, social et culturel, contribuerait à donner la prospérité et le bien-être à tous. »

La Conférence de Bandoeng exerça une influence décisive et durable sur l’évolution du Monde et contribua à une évolution positive de l’Organisation des Nations Unies à l’égard des peuples en lutte pour se libérer du joug colonial.

.

Le Monde a profondément changé. Il est encore plus dangereux.

L’Union Soviétique a implosé en 1989 ; il n’y a plus de « camp socialiste » et le Pacte de Varsovie, l’alliance militaire  sur laquelle reposait celui-ci,  a été dissout en  1991.

Les anciens pays socialistes européens se sont convertis au capitalisme et ceux qui continuent de se définir comme socialistes tels que la Chine, le Vietnam et Cuba ont intégré en partie l’économie de marché centralisée sous la direction de l’Etat.

La décolonisation, à l’exception notamment du Sahara Occidental et  de la Palestine, est achevée et nous sommes entrés dans une phase de néocolonialisme.

La financiarisation et la mondialisation de l’économie se sont développées de façon exponentielle et les économies  de chaque pays sont de plus en plus interdépendantes et soumises au capital financier.

Le Monde n’est pas moins dangereux aujourd’hui qu’hier. A l’affrontement entre  camp socialiste et monde capitaliste, s’est substituée une multitude d’affrontements sanglants territorialisés et un affrontement global entre les Etats-Unis, leurs alliés et leurs alliances militaires, l’OTAN et l’OTASE, avec la Russie, d’une part et avec la Chine d’autre part. Un affrontement qui ressort des contradictions d’intérêts inter-impérialistes, pour le partage du monde, de ses gisements  de matières premières, de ses débouchés commerciaux, des sources de main-d’œuvre bon marché,  et non plus de l’affrontement entre socialisme et capitalisme.

Les stocks d’armes nucléaires n’ont pas été détruits et divers experts estiment leur puissance destructrice 400 fois supérieure à celle de la fin de la Seconde guerre mondiale quand ont été bombardées les villes d’Hiroshima et de Nagasaky. Leur emploi peut détruire toute vie sur notre planète. C’est l’existence même de l’humanité qui est menacée.

Huit États détiennent officiellement des armes nucléaires : les cinq puissances nucléaires de la guerre froide, les États-Unis, la Russie, la Chine, la France et le Royaume-Uni, et trois autres États qui ont acquis depuis cette capacité, l'Inde, le Pakistan et la Corée du Nord. Un neuvième état, Israël, dispose d'une force nucléaire non déclarée.

 

Similitudes et différences

L’abstention des 35 à l’ONU s’appuie sur des motivations diverses selon les pays. La Chine, l’Inde, l’Iran, le Pakistan, le Vietnam, Cuba, le Zimbabwe, l’Afrique du Sud et l’Algérie, dont les régimes politiques sont très différents voire opposés, ne se sont pas abstenus pour les mêmes raisons. L’Algérie par exemple, est très dépendante de l’armement russe, ce qui n’est pas forcément le cas des autres pays cités. Par contre, certains ont en commun, notamment en Afrique, le souvenir de l’aide de l’Union Soviétique. Mais en dépit de ce qui les rapproche de la Russie, ils n’ont pas voté Contre la résolution de l’ONU qui condamne son agression contre l’Ukraine. L’Algérie a néanmoins voté contre son exclusion de la Commission des Droits de l’Homme. Il n’existe donc pas parmi les 35 un corpus idéologique progressiste commun aussi important que celui qui unissait les participants à la Conférence de Bandoeng.

Mais ils ont un point d’accord. Les 35 estiment qu’ils n’ont pas à prendre parti dans un conflit dont ils ne sont pas les protagonistes, mais dont ils subissent les conséquences économiques qui peuvent être dramatiques pour certains d’entre eux.

Les Etats africains sont depuis quelques années déjà dans un processus de diversification de leurs partenariats à l’international et ce, pour au moins deux raisons principales. D’une part, il y a la volonté de s’émanciper quelque peu de la Chine, mais aussi des partenaires traditionnels que sont les Etats occidentaux. D’autre part, certains Etats africains souhaitent bénéficier de l’expertise russe en matière de sécurité, compte tenu notamment de l’immense besoin en la matière dans cette partie du monde où sévissent plusieurs groupes terroristes ou autres organisations criminelles. Mais leur abstention sur la Résolution de l’ONU, ne peut pas être considérée comme une approbation déguisée de l’agression russe que beaucoup ont condamnée. En effet, des divergences existent entre l’Afrique et la Russie,  telles que le soutien russe aux séparatismes ; la remise en question quasi permanente, par Moscou, des frontières internationales qui heurte le sacro-saint principe de l’intangibilité des frontières, consacré comme tel dès les indépendances, par la Déclaration du Caire de 1964.

Les deux démarches, Bandoeng et les 35 sont presque identiques en nombre de pays : 35 pays abstentionnistes à l’ONU au lieu de 28+2 à Bandoeng ; ces 30 pays  en 1955 représentant  57 % de la population mondiale soit 1,4 milliards d'habitants. Les 35, représentant également  environ la moitié de la population mondiale.

Le fait nouveau d’une portée considérable en 2022 est l’abstention massive des pays d’Afrique : 17  (plus les 8 abstentions) sur 55. L’Afrique, ce continent aux ressources minières et minérales d’une telle richesse qu’elle constitue « un scandale géologique » et dont la population jeune, tournée vers l’avenir représente 14% de la population mondiale, contre 7% en 1960. D’où l’attention que l’on doit porter à l’Union Africaine.

L’Union Africaine

L’Union Africaine compte 55 pays, la quasi-totalité,  à l’exception de trois petites entités non reconnues comme Etats. 17 d’entre eux se sont abstenus à l’ONU: Afrique du Sud, Algérie, Angola, , Burundi, République Centrafricaine, , Congo, , Guinée Équatoriale, , Madagascar, Mali, Mozambique, Namibie, , Ouganda, , Sénégal, Sud Soudan, , Soudan, , Tanzanie,  Zimbabwe. Et 8 n’ont pas pris part au vote : Burkina Faso, Cameroun, Eswatini, Ethiopie, Guinée, Guinée Bissao, Maroc, Togo. Un seul pays, l’Erythrée a voté Contre.

28 pays africains soit à peu près la moitié, ont voté Pour la résolution : Le Bénin, le Botswana, le Cap-Vert, les Comores, la République démocratique du Congo, la Gambie, le Ghana, le Kenya, le Lesotho, le Liberia, le Malawi, Maurice, le Niger, le Nigéria, Sao Tomé-et-Principe, les Seychelles, la Sierra Leone, la Tunisie , la Zambie, la Côte d’Ivoire, le Gabon, la Libye, le Tchad, l’Égypte, la Mauritanie, le Rwanda et la Somalie.

L’Union Africaine a condamné la guerre en Ukraine sans ambiguïté : « Le président en exercice de l'Union Africaine et le président de la Commission de l'Union Africaine ont exhorté les deux parties à  « l'instauration immédiate d'un cessez le feu et à l'ouverture sans délai de négociations politiques sous l'égide des Nations Unies, afin de préserver le monde des conséquences d'un conflit planétaire, pour la paix et la stabilité dans les relations internationales au service de tous les peuples du monde.

Dans leur communiqué, ils ont appelé « la fédération de Russie et tout autre acteur régional ou international au respect impératif du droit international, de l'intégrité territoriale et de la souveraineté nationale de l'Ukraine. » (2)

Ces deux responsables, MM. Macky Sall et Moussa Faki Mahamat ont rencontré Wladimir Poutine pour lui exposer les conséquences désastreuses de cette guerre pour les peuples d’Afrique.

Voici en quels termes, l’hebdomadaire Jeune Afrique du 4 juin 2022 relate rencontre : « Et voilà le chef de l’État sénégalais, en compagnie du président de la Commission de l’Union Africaine, Moussa Faki Mahamat, sur les chemins cahoteux de la crise la plus médiatisée, actuellement, à l’échelle planétaire : le conflit ukrainien. Aux grognons occidentaux qui voient désormais d’un mauvais œil qu’on prenne le thé, à Sotchi, avec le pestiféré Poutine, Macky Sall indique que sa visite au maître du Kremlin « s’inscrit dans le cadre des efforts que mène la présidence en exercice de l’Union pour contribuer à l’accalmie dans la guerre ». Diplomate jusqu’au bout des ongles, il ajoute qu’il accorde de mêmes tranches d’agenda au président ukrainien, l’UA ayant « accepté la demande du président Volodymyr Zelensky d’adresser un message à l’organisation par visioconférence ».

Libérer les stocks de céréales

Aux bougons ouest-africains qui pourraient se sentir négligés, le président sénégalais explique que le séjour russe était destiné à négocier « la libération des stocks de céréales et de fertilisants dont le blocage affecte particulièrement les pays africains ». Mardi, il évoquait déjà, en direction des dirigeants des pays européens réunis à Bruxelles, « le scénario catastrophique de pénuries et de hausses généralisées des prix » résultant du blocus en mer Noire. »

Mesurons l’importance d’une telle rencontre au regard de la représentativité et du poids démographique et politique de l’Union Africaine qui couvre un territoire de 29,25 millions de km², compte 1,30 milliard d'habitants et  dont les objectifs affichés sont d'œuvrer pour la Paix et la promotion de la démocratie, des droits humains et du développement de l'Afrique, conformément au programme du NEPAD (Nouveau partenariat pour le développement de l'Afrique). (3)

 

Ma conclusion

Qu’une structure aussi représentative s’affirme, par-delà certaines ambiguïtés (à propos de Etat colonialiste d’Israël notamment) et agisse en dehors des blocs antagonistes est réconfortant dans le Monde troublé qui est aujourd’hui le nôtre.

Bernard DESCHAMPS

  1. Juin 2022

1-https://www.persee.fr › doc › afdi_0066-3085_1955_n Communiqué final de la conférence afro-asiatique de ... - Persée

2- Crise ukrainienne : l’Union Africaine appelle à un cessez-le-feu (communiqué)

Lassaad Ben Ahmed   |24.02.2022 AA / Peter Kum

3- REVOLUTION, Bernard Deschamps, juillet 2020, page 207.

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commentaires

J
Mi chevre Mi choux.....<br /> Le capitalisme pourri le monde il ni a pas a ergoter sur les myen a le faire disparaitre de la surface du globe ou nous retournerons au servage
Répondre
B
OUI.

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