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30 juin 2022 4 30 /06 /juin /2022 15:01

Je travaillais à l’exposé sur l’Algérie 1962-2022, présenté le 25 juin à la Fête de Lézan du PCF dans le Gard, lorsque j’ai reçu Souvenirs dans le vertige.

Intrigué par le surtitre, Anna Gréki et Mohammed Khadda et par la présentation signée Naget Khadda, une amie spécialiste de Mohamed Dib, je m’y plongeai aussitôt.

Je fus subjugué.  A l’aridité des dates et des faits historiques, se substituaient la foi, l’enthousiasme, la passion, l’élan  qui s’emparèrent des Algérien-nes – et en l’occurrence des intellectuel-les – lorsque l’Indépendance politique fut enfin acquise. Grâce aux mots jetés sur le papier par la poétesse et le peintre, la Révolution devenait matière vivante, pétrie de couleurs et de chaleur humaine. Une aventure planétaire dans laquelle étaient engagés des êtres de chair et de sang, « montant à l’assaut du ciel » pour réaliser leur rêve d’une société enfin fraternelle.

C’est une jolie petite plaquette remarquablement imprimée sur les presses de Mitidja Impression de Baraki et éditée en 2018 par El Kalima Editions. Petite par la taille, 93 pages seulement, mais dont le souffle se prolonge au-delà des mots, des pages tournées, du livre refermé. Elle est diffusée en France par l’association ASPAME que préside M. Guy Dugas, professeur émérite de l’Université Paul Valéry de Montpellier.

« Nous sommes à l’aube de l’Algérie indépendante», nous dit Naget Khadda dans sa présentation. Ce sont en effet des textes écrits pour la plupart dans les années 1964-1966, sauf l’un d’eux écrit par Mohammed Khadda en 1982 à la mémoire d’Anna Gréki décédée tragiquement en 1966.

C’est un dialogue d’artistes qui réfléchissaient à la place de la création artistique dans la société nouvelle qui se définissait comme socialiste et précisément qui s’interrogeaient sur le rôle de l’art. L’art éveilleur de consciences, mais à terme, sur le temps long, de façon souterraine, détournée. Il ne saurait donc être question de limiter la liberté de création. Ils récusent le « réalisme socialiste » qui, nous disent-ils, a fait tant de mal à l’Union soviétique.

Leur art plonge ses racines dans les traditions culturelles du Maghreb et de l’Islam : « Nous avons à mettre au jour tant de trésors de notre culture : des énigmatiques fresques de Tassili aux humbles peintures murales des Ouardias, inventorier le symbolisme des poteries et tapis dont la couleur et le signe sont séculaires, la calligraphie, la miniature, l’enluminure, tout un répertoire passionnant […] Il nous faut souligner l’apport original de l’Islam aux arts graphiques .Essentiellement non figuratifs […] Mais l‘erreur serait d’ignorer le fabuleux héritage de l’humanité. » écrit Mohammed Khadda dans Pour un dialogue (1964). Ils prônent l’enrichissement mutuel des cultures, ce que le grand poète martiniquais Edouard Glissant définira comme une « identité généreuse », et Anna Gréki dénonça vigoureusement la déclaration d’un universitaire algérien à Radio Alger qui prétendait que « les écrivains de langue française n’appartiennent pas à notre culture nationale ».

Anna Gréki caractérise ainsi la peinture de Mohammed Khadda: « Cet homme, ce pays, ce peuple, Khadda montre ses veines, ses nerfs, ses échecs, ses réussites. Sa peinture sans transparence, sans air, sans espace vide, c’est ce qui se trouve à l’intérieur du corps et de l’âme, ces entrailles compactes mouvantes et chaudes » (Un Acte de foi, janvier 1965). Ces lignes m’ont remis en mémoire la terrible évocation de Bachir Hadj Ali (photo ci-jointe) horriblement torturé en septembre 1965 dans les geôles de la Sécurité militaire.

Anna Gréki est morte en donnant la vie. Voici les mots que prononça alors Mohammed Khadda  à la mémoire de la poétesse qui, à ses yeux, était dans la lignée de Maïakovski et de Paul Eluard : « Nous avons perdu un poète, une amie, ma camarade colleuse d’affiches».

Singularité algérienne, ces textes de deux intellectuels communistes, qui datent de 1964, 65, 66, ont été pour la plupart publiés  dans Révolution africaine, l’hebdomadaire culturel du FLN, alors que le Parti Communiste Algérien était interdit depuis 1962.

Bernard DESCHAMPS

1er juillet 2022

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