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6 juin 2022 1 06 /06 /juin /2022 13:16

« Au fond, je crois que j’ai toujours su que la tâche d’écrire ce livre me reviendrait. Ou peut-être était-ce ma grand-mère qui avait instillé en moi cette idée, à coups de remarques et de suggestions anodines. La connaissant ce n’est pas impossible. »

Alice Casado était en effet très proche de sa grand-mère Marcelle Bédoc,  la fille naturelle non reconnue de René Char. Cet ouvrage, Sois la bienvenue (Alice Casado, Stock, avril 2021) nous relate les recherches de la grand-mère et de sa petite fille, afin d’avoir la preuve de cette paternité. Elles vivent en effet douloureusement l’incertitude. La grand-mère surtout qui  légitimement veut savoir qui est son père et qui a peur d’être considérée comme une affabulatrice si elle dit qu’il s’agit du poète René Char.

Ce livre se lit comme un roman policier. On y suit pas à pas l’enquête avec ses déceptions et ses avancées, à travers les témoignages et les écrits, jusqu’au test de paternité qui sera réalisé dans un laboratoire de Seattle aux USA, à partir de l’ADN du poète recueilli sur des timbres-poste.

Plusieurs pages sont consacrées à une personnalité dont j’ai découvert la proximité avec René Char, l’ancien magistrat Jean-Claude Xuereb lui-même poète, et qui a apporté une aide précieuse à l’auteure.  Jean-Claude Xuereb  est le père de Pierre-Henri Xuereb bien connu des lecteurs de ce blog et du public de la Fête de l‘Alto de Lasalle dont il est le directeur artistique.

Cette enquête est conduite par Alice Casado avec beaucoup de tact, sans jamais porter de jugement sur la personnalité de René Char qui fut à la fois un grand Résistant pendant la Seconde guerre mondiale et l’égal de Paul Eluard, d’Aragon, d’Albert Camus, mais qui en l’occurrence se comporta comme un salaud avec Marie-Louise Bègue la mère de Marcelle Bédoc. Ce jugement est de moi. L’auteure au contraire le décrit comme un héros à la tête du groupe de maquisards qu’il avait créé dans les Basses-Alpes et qu’il commanda sous le nom de Capitaine Alexandre. Elle nous livre également de belles pages pétries d’humanité et d’amour pour cette région sur les bords de la Sorgues « cette étrange et pure rivière » selon Camus et pour ses habitants qui inspirèrent l’œuvre de René Char.

Mais l’ouvrage vaut surtout par la description détaillée, très documentée, des conditions horribles dans lesquelles vivaient les enfants de l’Assistance publique dans les années 1930. En effet, Marie-Louise Bègue dite Malou, l’arrière-grand-mère de l’auteure, était une enfant abandonnée qui fut placée dans des familles d’accueil qui non seulement la méprisaient, l’humiliaient, mais la considéraient comme leur esclave. A la moindre incartade, ces enfants étaient enfermés au  « Centre de relèvement » l’Oasis à Caissargues dans le Gard. Une de ces familles fit exception grâce à qui Malou  put fréquenter l’école puis, ce qui était exceptionnel, aller au collège. A l’âge de 17 ans, elle fut placée dans une famille bourgeoise de l’Isle-sur-Sorgues, sous la férule de la terrible Marie-Thérèse Char, la mère du poète. C’est au cours d’un séjour de celui-ci, très indépendant, en quasi rupture avec sa famille et qui vivait à Paris, que Malou en  devint éperdument amoureuse.

Enceinte, fière et digne, elle n’interviendra pas auprès de René Char, pour qu’il reconnaisse cette paternité, mais elle souffrira de cet abandon et l’on mesure à la lecture du livre la douleur que généra une telle situation pour la maman et pour l’enfant.

Merci madame Casado pour ce courageux, sensible et utile témoignage.

Bernard DESCHAMPS

8 juin 2022

( J’ai choisi ces quelques extraits de textes de René Char.B.D.)

 Est-ce l’abord des libertés,

L’espérance d’une plaie vive,

Qu’à votre cime vous portez,

Peuplier à taille d’ogive ?

….

L’alouette à peine éclairée,

Scintille et créé le souhait qu’elle chante,

Et la terre des affamés

Rampe vers cette vivante.

(Les Matinaux. Fête des arbres et du chasseur)

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Venus du mur d’angle d’une ruine laissée jadis par l’incendie,

Plongèrent soudain dans l’eau grise

Deux rosiers sauvages pleins d’une douce et inflexible volonté.

Il s’y devinait comme un commerce d’êtres disparus, à la veille de s’annoncer encore.

(Les Matinaux. Le bois de l’Epte)

_________________________________________

 

Enlevé par l’oiseau à l’éparse douleur,

Et laissé aux forêts pour un travail d’amour.

                   L’ARBRE FRAPPE

La foudre spacieuse et le feu du baiser

Charmeront mon tombeau par l’orage dressé.

(Les Matinaux. Epitaphe)

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Etres que l’aurore semble laver de leurs tourments, semble doter d’une santé, d’une innocence neuve, et qui se fracassent et se suppriment deux heures après…Etres chers dont je sens la main.

(Les Matinaux. Le rempart de brindilles)

______________________________________

 

Ils sont venus, les forestiers de l’autre versant, les inconnus de nous, les rebelles à nos usages.

Ils sont venus nombreux.

Leur troupe est apparue à la ligne de partage des cèdres

Et du champ de la vieille moisson désormais irrigué en vert/

La longue marche les avait chauffés

Leur casquette cassait sur leurs yeux et leur pies fourbu se posait dans la vague.

Ils nous ont aperçus et se sont arrêtés.

Visiblement ils ne présumaient pas nous trouver là.

Sur des terres faciles et des sillons bien clos.

Tout à fait insouciants d’une audience.

Nous avons levé le front et les avons encouragés.

(Les Matinaux. Les inventeurs)

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