Le Festival international de documentaire de Lasa lle en Cévennes avait choisi ce thème pour sa 21e édition du 25 au 28 mai 2022. Sujet éminemment d’actualité en ces temps de pollution idéologique par le racisme et le rejet de l’Autre. En phase avec l’esprit de ce festival créé par Henri de Latour, président d’honneur de Champ contrechamp, l’association support.
Une cinquantaine de films de quelque 25 pays* étaient au programme, ainsi qu’une exposition, des spectacles Jeune public, des rencontres et trois soirées musicales.
La foule se pressait dans les rues habituellement si paisibles de Lasalle et les associations locales installées sur la Place Jean Gazay sollicitaient nos papilles. Ma découverte de l’année : un jus fermenté de fleurs de sureau légèrement acide et pétillant.
Il était évidemment impossible de voir tous les films. Il fallait choisir. Ce choix dépendait de notre humeur et de nos préoccupations de l’instant. J’ai choisi le flamenco, le melting pot des villes, le génocide des musulmans birmans, la descente aux enfers de la Libye, le drame des « Enfants de Daech » et la fraude électorale au Zimbabwe.
Trance, le film d’Emilio Belmonte nous fait suivre pas à pas le flûtiste et saxophoniste espagnol Jorge Pardo qui a révolutionné le flamenco en le mariant au jazz. Quelques beaux moments musicaux accompagnés de la danseuse Rocio Molina et la découverte du flamenco à la harpe. Quand l’autre est complémentaire.
Avec Boisbouscache de Jean-Claude Coulboy, nous assistons à la confrontation au Québec, entre les grands propriétaires terriens et les chasseurs et pêcheurs. L’opposition entre droit de propriété et droit de passage. Quand l’Autre est un adversaire.
L’Autre a du commun, par-delà les différences d’âge, de sexe, d’origine dans Je me souviens du temps où personne ne joggait dans le quartier, de Jerry Cartwright.
Mais l’Autre est parfois –souvent, trop souvent – une victime, comme le furent les musulmans birmans, brimés, battus, assassinés, contraints à l’exil et vivant dans des conditions effroyables de pauvreté, sans espoir, nous disent Mélanie Carrier et Olivier Higgins dans Errance sans retour, avec des images en noir et blanc, grises et sombres comme la vie de ces pauvres gens.
En 2018 au Zimbabwe, à l’issue des élections, le candidat officiel Emmerson Mnangagwa fut proclamé élu, alors que son challenger de centre-gauche Nelson Chamisa avait recueilli le plus de suffrages. Président de la cinéaste Camilla Nielson nous fait revivre la campagne électorale et le procès inique qui débouta Nelson Chamisa de sa plainte pour fraude en dépit des preuves apportées par ses avocats. Quand L’Autre est un escroc.
Deux films m’ont particulièrement interpellé, Children of the enemy et After a révolution.
Children of the enemy de Gorki Glaser-Müller expose avec délicatesse et honnêteté le sujet angoissant des « Enfants de Daech » à travers la quête longue et difficile d’un grand-père dont la fille radicalisée a été tuée en Syrie, et qui veut rapatrier en Suède ses sept petits-enfants. Contrairement à lui, son ex épouse avait soutenu et suivi sa fille. De retour en Suède, elle aussi veut retrouver ses petits-enfants. Quelle doit être l’attitude à son égard ? Les services sociaux décideront de placer les enfants dans des familles d’accueil avec le droit de visite pour les grands-parents. Quand L’Autre est un-e criminel-le, ses enfants n’en sont pas responsables.
After a révolution de Giovanni Buccomino nous plonge dans la Libye post-Kadhafi en pleine décomposition, à travers le parcours d’un frère et d’une soeur qui se sont engagés dans deux camps opposés, avec la conviction de bien servir leur patrie, mais qui finiront par se rejoindre. Cette approche du réalisateur confirme que le peuple libyen a en lui les ressources pour surmonter cette crise sans intervention étrangère. Quand L’Autre est mon double. Mais pourquoi le réalisateur fait-il l’impasse sur l’intervention destructrice de l’OTAN et sur la présence aujourd’hui en Libye de mercenaires russes, égyptiens, syrien et autres, ainsi que des services secrets occidentaux notamment états-uniens et français. Après l’intervention de l’OTAN serait plus approprié que After a révolution. Quel dommage qu’un débat n’ait pas été organisé à l’issue de la projection.
Un riche débat par contre s’est tenu sous le préau de l’école de Lasalle sur le thème L’Autre, c’est qui ? animé par Yves Defago avec la participation de Emmanuel Licha, Hélène Magny et Régis Sauder et diffusé par Radio Grille Ouverte.
La Québéquoise Hélène Magny nous parla des traumatismes de guerre des enfants étudiés dans son film Je pleure dans ma tête, dont l’angoisse est source d’agitation, du déficit d’attention et parfois de la violence.
Emmanuel Richa , à partir de la situation en Haïti – la République des ONG – met en lumière dans Zo Reken le rejet que suscite une présence étrangère massive et souvent condescendante dans les pays pauvres.
Régis Soder, dont l’épouse est enseignante, a filmé (En nous) les réactions des enfants scolarisés dans les quartiers nord de Marseille. Il eut des mots très durs – et à mon sens justifiés – pour dénoncer la dégradation des conditions de l’enseignement en France, les propos de l’ancien ministre macroniste Blanquer et les campagnes de haine de l’extrême-droite. Il formula cette remarque qui mérite réflexion : « Se connaître soi-même pour comprendre l’Autre, car parfois l’Autre est le reflet de la partie monstrueuse de nous-même »
Ce fut une rencontre passionnante à laquelle manqua peut-être la dimension des causes économiques et sociales du rejet de l’Autre : la mise en concurrence des travailleurs par les propriétaires des moyens de production.
Bernard DESCHAMPS
*Allemagne, Belgique, Biélorussie, Brésil, Bulgarie, Canada, Chine, Danemark, Espagne, Etats-Unis, France, Israël, Italie, Japon, Mali, Maroc, Norvège, Portugal, Québec, Slovaquie, Sri Lanka, Suède, Ukraine, Vietnam . (Je sollicite votre indulgence pour d’éventuels oublis).