Ce fut un bonheur ! Des moments chargés d’émotion ! Mes enfants avaient bien fait les choses pour mes 90 ans. Dans la salle Camboulive, ajourée, lumineuse du Dépôt SNCF de Nîmes, les invité-es étaient accueilli-es autour des tables fleuries et devant un mur d'images rétrospectives, aux sons de la cornemuse, du banjo et de la derbouka dans la tradition algérienne de Kabylie. Tout au long de la soirée, Hacene, Karim et Zakaria par la grâce de la musique chaâbi et Françoise au chant et à la guitare sur des paroles de Georges Brassens, nous ont fait rêver.
En maître de cérémonie, Frédéric invita celles/ceux qui le souhaitaient, à prendre la parole. Je suis sans aucun doute partial, mais ce sont mes petites filles, Annélie et Cécilia qui m’ont le plus surpris et ému en évoquant leurs souvenirs d’enfance. Nos lectures, nos jeux, nos découvertes, devant la cheminée à Soudorgues, au Rocher des Fées, à la mer… Des moments, des impressions qui les ont marquées et dont j’avais perdu le souvenir. Vincent Bouget, en professeur bienveillant (trop), évalua mon engagement politique. Patrick Malavieille qui me succéda à la présidence du groupe communiste au Conseil général, rappela ma rigueur. Qualité ou défaut ? Les deux certainement. Et Michèle Oromi nous lut un poème de Rachid Boudjedra…
L’impétrant se devait bien évidemment de répondre.
« Merci, merci infiniment chères amies et chers amis de votre présence.
Cela fait chaud au coeur de l’enfant unique que j’étais de me retrouver au soir de ma vie avec une si grande et si belle famille, métissée, multiculturelle.
En ce premier jour de Ramadan de l’année 1443 de l’hégire, je souhaite à mes ami-es musulman-nes de chaleureux moments de Partage, de Fraternité, d’Affection et de Paix.
Non, je ne vais pas vous infliger le récit de ma vie, mais je vais par contre évoquer quelques personnes qui pour moi ont compté. J’ai eu du mal à faire le choix, car toutes et tous dans votre diversité vous m’avez tellement apporté .
Il y eut d’abord mes parents et notamment ma mère. Maman était couturière, petite fille d’un ouvrier de la cristallerie de Baccara dans les Vosges. Une famille de gauche, plutôt radicale-socialiste dans l’esprit de l’époque, et cela n’est sans doute pas étranger à l’engagement qui sera le mien, bien que j’aie passé une partie de mon enfance dans un milieu de droite, le Nord des Deux-Sèvres que l’on appelait la Vendée militaire.
Il y eut ensuite Annie mon épouse, la maman de Frédéric que j’avais rencontrée en colonie de vacances à Bois Salève près de Genève. Avec Annie, j’ai fait la connaissance d’une famille cévenole, protestante et communiste. Mon beau père Daniel était un ancien Résistant FTP, cheminot au dépôt SNCF – ici même - ma belle-mère Léonie et sa sœur Léa avaient été ouvrières dans les usines de vers à soie de Lasalle. Annie, avant de perdre la foi, avait été très engagée dans les Groupes Bibliques Universitaires. Elle avait une connaissance approfondie de l’Ancien et du Nouveau Testament. J’ai alors découvert la profondeur du traumatisme laissé par la répression sanglante des Huguenots et le combat des Camisards. Cette découverte, venant à la suite de l’histoire de la Chouanerie qui avait baigné mon enfance (Je suis arrière-arrière-petit-fils de Chouan) a imprimé en moi qui suis athée un attachement viscéral au respect les convictions religieuses.
Lorsque j’ai été nommé instituteur à Aigues-Mortes en 1956, je suis devenu très proche de quelqu’un auprès de qui j’ai presque tout appris : un ancien mineur de charbon du Martinet, André Fabre, le Ded, qui deviendra Maire d’Aigues-Mortes. Grâce aux écoles du Parti Communiste, il avait acquis une remarquable culture politique. La théorie marxiste de la plus-value n’avait pas de secret pour lui. C’était mon premier contact avec cette corporation, fer de lance du mouvement progressiste et révolutionnaire dans le Gard.
Un jeune Aigues-Mortais que j’évoque souvent dans mes textes, m’a également profondément impressionné, Marc Sagnier qui fit 11 mois de bagne à Timfouchy dans le Sud algérien pour avoir refusé de porter les armes contre le peuple algérien en lutte pour son indépendance.
C’est également à cette époque que j’ai connu le Dr. Jean Basdide, ancien médecin-chef des FFI du Gard et qui était le Conseiller général, socialiste SFIO du canton d’Aigues-Mortes. Ensemble, nous avons lutté contre le coup d’Etat militaire du 13 mai 1958 à Alger et combattu la Constitution gaulliste de 1958. Jean Bastide s’était très tôt engagé en faveur de l’Indépendance de l’Algérie. Aux élections législatives de 1973, je me suis désisté en sa faveur. Il a alors été élu député du Gard. Ne se représentant pas en 1978, il me soutint dès le premier tour et je fus élu. C’était au temps du Programme commun de la Gauche.
Un autre mineur m’a beaucoup marqué, Emile Jourdan dont je serai le secrétaire lors de son premier mandat de Maire de Nîmes. Emile m’a appris une chose essentielle qui me sera très utile quelques années plus tard lorsque je serai en responsabilité au Conseil général : savoir travailler avec des personnes qui n’ont pas la même opinion. Pas uniquement par esprit de tolérance et par souci de la démocratie, mais parce qu’une opposition évite de s’endormir et oblige à mieux travailler les dossiers. C’était aussi la démarche de José Boyer, Maire de Beaucaire, auquel j’ai eu l’honneur de succéder au Conseil général.
Il est une personne pour laquelle j’ai toujours éprouvé une grande admiration: une ancienne Résistante qui fut l’une des premières femmes députées – la première dans le Gard - élue à l’Assemblée Nationale constituante en 1945 et réélue jusqu’en 1956 : Gilberte Roca. Elle sera ma suppléante, lorsque le Parti Communiste me désignera comme candidat à la députation en 1968. Cela, n’est-ce pas, en dit long sur sa modestie et son sens de la fraternité, dans la tradition de la Commune de Paris de 1871.
Enfin en cette année du 60e anniversaire des Accords d’Evian, vous comprendrez que j’évoque deux personnalités qui se sont engagées dans le combat pour l’Indépendance de l’Algérie.
Le premier, M. Mohamed Bouricha a eu un parcours tout à fait singulier. Né le 10 octobre 1934 à Boufarik, il avait quitte l’Algérie à la suite d’une altercation avec un militaire français qui avait tenu devant lui des propos raciste. Foot-baller doué il est recruté par le club de La Grand’Combe où il est remarqué par Kader Firoud et Marcel Rouvière et intégré au Nîmes Olympique. En 1958 est créée ce que l’on appellera « La glorieuse équipe de foot du FLN »
qui sera l’ambassadrice des combattants algériens sur les stades du monde entier. Un nombre important de joueurs professionnels - Zitouni, Ben Tiffour – la rejoignent. Mohamed quitte clandestinement le Nîmes Olympique en Octobre 1960 et rejoint à Tunis l’équipe du FLN à l’issue voyage mouvementé et risqué à partir de la Suisse puis de l’Italie. Il était marié à une nîmoise Gisèle qui le rejoindra par la suite. Ils feront carrière tous les deux en Algérie après l’Indépendance. Merci Gisèle d’être des nôtres ce soir.
Je n’ai évoqué jusqu’à maintenant que des personnes disparues. Je vais faire une exception pour une moudjahida des Cévennes. Je connaissais son mari Mohamed Krim, un camarade qui était le contact entre la CGT des mineurs et le FLN très organisé dans le bassin minier. Et c’est en prenant connaissance des archives de la police qui ne sont pas du domaine public mais que je pouvais consulter par dérogation, que j’ai découvert les procès-verbaux d’interrogatoires de Fatima qui à l’époque était une jeune maman. Elle avait été arrêtée à son domicile à Alès – en présence de sa fille Zohra si je ne me trompe – en même temps qu’un responsable inter-régional du FLN et emprisonnée dans la forteresse de l’Ecole d’Enfants de troupe de Saint-Hippolyte-du-fort. Bouleversé, j’ai découvert que Fatima avait refusé de dévoiler les lieux d’entrepôts d’armes et d’argent, que pourtant elle connaissait, car c’est elle qui faisait la liaison avec Marseille. Cette femme courageuse qui est devenue une amie n’a malheureusement pas pu se déplacer ce soir.
Il faudrait pour être juste, ajouter à cette évocation, d’autres personnes qui m’ont profondément et durablement marqué, notamment Henri Martin, Annie Steiner, Henri Alleg, Jean Kanapa et Georges Marchais, mais je m’en suis tenu à mon Panthéon gardois.
Et il y a ma famille. Ma famille franco-finlando-maroco-bretonne qui a organisé cette fête. Mes enfants Frédéric et Ann-Charlotte venue de sa lointaine Finlande.
Frédéric avec l'aide d'Ann-Charlotte, s’est beaucoup dépensé pour réussir cette soirée et il s’est fait énormément de souci. Vous le savez avec l’âge les rôles s’inversent, la sénilité peu à peu gagne du terrain et les fils jouent le rôle du père. Frédéric veille sur moi comme le lait sur le feu dans la crainte qu’il m’arrive quelque chose. Mais il reste pour moi, mon petit en souvenir de l’époque où il baroulait avec ses copains dans les roubines d’Aigues-Mortes.
J’ai un bon Petit !
J’ai aussi la chance d’avoir des petits-enfants merveilleux : Annélie et son mari Adil ; Cécilia et Charles son compagnon, et, prunelles de mes yeux, mes arrières-petits-enfants, Anna-Sofia et Naël.
Ce sont eux l’avenir ! Mes chéris je vous aime, et je vous souhaite bon vent !
Et une nouvelle fois, mille mercis à vous mes ami-es qui êtes présent-es ce soir ! Cela me touche, cela me fait très, très plaisir ! »
Les vins de la Cave de Laudun (Côtes du Rhône), les boissons sans alcool et les petites choses à grignoter, furent ensuite bien utiles pour évacuer (un peu) l’émotion suscitée par ces témoignages.
Bernard DESCHAMPS
- - 1 100 € ont été collectés au cours de la soirée pour la Palestine et pour l’Ukraine.