Après une interruption de 21 jours, le procès a repris le mercredi 2 février avec les plaidoiries des parties civiles. Les observateurs se demandaient quelles suites lui seraient données par la junte militaire issue du coup d’Etat du 24 janvier 2022. La poursuite du procès montre qu’elle ne s’y oppose pas. Il faudra être attentif à son attitude dans l’avenir.
Me Ferdinand Nzepa, un des avocats de la partie civile, a salué le travail jusqu’à présent du tribunal : « Vous avez mené les débats avec une justesse hors du commun" a-t-il déclaré, mais comme on le verra plus loin, Mariam, la veuve du Président Sankara, s’est émue de l’attitude conciliante des réquisitoires contre certains accusés. Enfin, reste en suspens, la grave et délicate question des responsabilités internationales dans l’assassinat du Président du Burkina-Faso. Maître Anta Guissé a rappelé à la Chambre que le volet international du procès Thomas Sankara est toujours en instruction et que les avocats des parties civiles sont dans l’attente de la désignation officielle du successeur du juge Yaméogo François. « Nous sommes inquiets de n’avoir pas eu de suite sur le remplaçant du juge d’instruction Yaméogo ».*
Le Réseau international justice pour Sankara qui a des représentants à Ouagadougou, Niamey, Paris, Barcelone, Oxford, Sabadel, Turin, Ottawa, Las Palmas, Bobo Dioulasso, Banfora, Montpellier, Toulouse, Grenoble, Nîmes, Ajaccio, réclame, dans une déclaration publiée le 7 février 2022, une reprise urgente du volet international : « C’est avec colère et la plus grande inquiétude que nous apprenons qu’il n’y a plus d’instruction au Burkina Faso concernant le volet international de l’assassinat de Thomas Sankara et de ses compagnons. »
Maître Anta Guissé a également insisté sur la légalité du régime burkinabé de 1987 contre lequel a été perpétré le coup d’Etat et elle a démontré que « La thèse de la légitime défense comme a tenté de le faire croire le principal accusé, Blaise Compaoré, ne peut pas être évoquée ici. Le complot de 20h aussi n’a jamais existé ». Elle a conclu en disant que l’attentat à la sûreté de l’État dont a été victime Thomas Sankara et ses compagnons, a été prémédité, préparé.
« L’objectif de Blaise Compaoré – a affirmé Maître N’zepa - était de prendre la place de Thomas Sankara. Pour y arriver, il fallait avoir des assurances que le crime restera impuni aussi bien par la communauté internationale que par des amis proches des deux personnalités […] Il a eu l’assurance de la France, de la Côte d’Ivoire et de la Libye. Je n’ai pas évoqué le Togo dans la mesure où ce pays n’avait pas une importance capitale".
Maître Prosper Farama, autre avocat de la partie civile, fera cette remarque qui mérite attention : «L’histoire du Burkina, connu pour sa longue série de coups d’Etat, commence en 1966 lorsque les militaires prennent le pouvoir à l’appel de la population. La boîte de Pandore venait de s’ouvrir à cet instant […] mais les Burkinabè ont été interloqués par la violence utilisée pour déchoir le président Thomas Sankara et par le fait que le coup ait été perpétré par son ami, son frère d’arme ».
Maître Anta Guissé est revenue sur l’espoir qu’incarnait Sankara : « Thomas Sankara c’est l’histoire de notre pays, ce n’est pas simplement notre histoire. C’est aussi l’histoire de l’Afrique et de tous ces enfants d’Afrique qui étaient à l’extérieur et qui, en 1987, ont vu l’espoir d’une autre Afrique si ce n’est assassiné, au moins retardé. Le message que Thomas Sankara portait est actuel »
Selon lefaso.net : « Le parquet militaire a requis 30 ans de prison ferme contre l’ex-président Blaise Compaoré et l’adjudant à la retraite Hyacinthe Kafando, tous deux fugitifs dans le dossier de l’assassinat de Thomas Sankara et de ses compagnons. Quant au général Gilbert Diendéré, numéro 2 du Centre national d’entraînement commando au moment des faits, le parquet a requis contre lui, 20 ans de prison ferme.
La partie poursuivante a également requis 20 ans de prison contre les soldats Idrissa Traoré et Nabonswendé Ouédraogo et Bossobé Traoré, le soldat de la garde de Thomas Sankara, accusé d’avoir été la taupe au conseil de l’Entente.
Le parquet a requis l’acquittement pour les médecins militaires Diébré Alidou et Kafando Hamado pour cause de prescription de l’action publique. Le premier avait porté la mention « mort naturelle » sur le certificat de décès de Thomas Sankara tandis que le second est accusé également de faux en écriture publique ou authentique pour avoir apposé la mention « mort accidentelle » sur le certificat de décès de Bonaventure Compaoré, employé à la présidence.
Le parquet militaire a également requis l’acquittement pour trois militaires, accusés de complicité d’attentat à la sûreté de l’Etat pour infraction non constituée. Il s’agit du colonel à la retraite, Tibo Ouédraogo, commandant de l’Escadron motocycliste commando (EMC) à Pô, de l’adjudant-chef Albert Pascal Sibidi Bélemlilga et de l’adjudant-chef major Diakalia Démé, tous les deux en service à l’EMC.
Quant au colonel-major, Mori Aldiouma Jean Pierre Palm, il est requis contre lui 11 ans de prison assorti de sursis. Onze ans de prison ferme ont également été requis contre Yamba Élysée, le soldat dont Me Prosper Farama a salué la sincérité dans la narration des faits. Trois ans de prison ferme et une amende ferme de 900 000 F CFA ont été requis contre Tondé Pascal, le chauffeur de Gilbert Diendéré, accusé de subornation de témoin.
A la fin des réquisitions, le parquet a demandé que les mandats d’arrêt internationaux contre Blaise Compaoré et Hyacinthe Kafando soient maintenus. »
Les parties civiles et Mariam Sankara ont été désagréablement surprises par la mansuétude des réquisitions du parquet militaire contre plusieurs accusés et notamment contre le colonel-major de gendarmerie à la retraite Jean Pierre Palm accusé de complicité d’attentat à la sûreté de l’Etat.
L’audience reprendra le mardi 1er mars 2022.
J'ai conservé l'intégralité des comptes-rendus de presse (faso.net) que je peux vous transmettre si vous le souhaitez.Me préciser les dates des audiences.
Bernard DESCHAMPS