Par Bernard Deschamps
Qui était Thomas Sankara ? Bref rappel.
Thomas Sankara, né le 21 décembre 1949 à Yako en Haute-Volta est mort assassiné le 15 octobre 1987 à Ouagadougou au Burkina Faso.
Son père etait un ancien combattant et prisonnier de guerre de la Seconde Guerre mondiale. Il fait ses études secondaires d'abord au lycée de Bobo-Dioulasso, deuxième ville et capitale économique du pays puis, de la seconde au baccalauréat, à Ouagadougou (capitale politique du Burkina), au Prytanée militaire de Kadiogo. Catholique, il sert la messe mais refuse d'entrer au séminaire. Il suit une formation d'officier à l'École militaire inter-armes (EMIA) de Yaoundé au Cameroun, puis à l'Académie militaire d'Antsirabe, à Madagascar, et devient en 1976 commandant du CNEC, le Centre national d'entraînement commando, situé à Pô, à 150 km au sud de la capitale. Il fonde le Regroupement des officiers communistes (ROC) dont les autres membres les plus connus sont Henri Zongo, Boukary Kabore, Blaise Compaoré et Jean-Baptiste Boukary Lingani.
En 1974, il s'illustre militairement lors de la guerre avec le Mali, ce qui lui donne une renommée nationale. Capitaine, il crée ensuite une organisation clandestine avec d'autres officiers et se rapproche de militants d'extrême gauche.
À la fin des années 1970 et au début des années 1980, le Burkina Faso connaît une alternance de périodes autoritaires et de démocratie parlementaire, jalonnées de scandales financiers. Cela amène de jeunes officiers comme Thomas Sankara à s'investir en politique. Un coup d'État militaire a lieu en novembre 1980 auquel Thomas Sankara ne participe pas mais ne s'y oppose pas. Populaire, il est nommé en septembre 1981 secrétaire d'État à l'Information avant de démissionner en réaction à la suppression du droit de grève. Il est alors dégradé.
Le 7 novembre 1982, un nouveau coup d'État porte au pouvoir le médecin militaire Jean-Baptiste Ouédraogo. Thomas Sankara devient Premier ministre en janvier 1983 d'un Conseil de salut du peuple (CSP), position acquise grâce au rapport de forces favorable au camp progressiste au sein de l’armée. Il se prononce ouvertement pour la rupture du rapport « néocolonial » qui lie la Haute-Volta à la France . Il poursuit sur cette ligne en invitant, en avril, le dirigeant libyen Mouammar Kadhafi. Le 17 mai, il est limogé et mis en résidence surveillée, sans-doute sous la pression de la France.
Des manifestations populaires soutenues par les partis de gauche et les syndicats contraignent le pouvoir à libérer Sankara. Le 4 août 1983, la garnison insurgée de Pô arrive à Ouagadougou accompagnée d'une foule en liesse. Ce nouveau coup d’État consacre la victoire de l’aile « progressiste » de l’armée menée par le capitaine Thomas Sankara, qui est placé à la présidence du Conseil national révolutionnaire. Il constitue un gouvernement avec le Parti africain de l’indépendance (en) et l'Union des luttes communistes - reconstruite (ULC-R).
Chef de l’État de la République de Haute-Volta rebaptisée Burkina Faso, de 1983 à 1987.Il est le président du pays qu'il finit par totalement incarner. Durant ces quatre années, il mène à marche forcée, une politique d'émancipation nationale, de développement du pays, de lutte contre la corruption ou encore de libération des femmes. Il est abattu lors du coup d'État qui amène au pouvoir Blaise Compaoré, le 15 octobre 1987. Son souvenir reste vivace dans la jeunesse burkinabé mais aussi plus généralement en Afrique, qui en a fait une icône, un « Che Guevara africain », aux côtés notamment de Patrice Lumumba.(Source wikipédia)
Le procès.
Trente-cinq ans après les faits, le procès des assassins de l’ancien Président progressiste du Burkina-Faso, s’est ouvert le 25 octobre 2021 à Ouagadougou devant le Tribunal militaire.
Seuls les protagonistes burkinabés sont jugés. Les commanditaires et les complices étrangers ne sont pas cités. Deux des accusés sont absents : Blaise Campaoré, l’ancien compagnon de Thomas Sankara, principal bénéficiaire du coup d’Etat et qui lui a succédé et Hyacinthe Kafando qui serait l’auteur des coups de feu qui ont abattu Thomas Sankara.
Malgré ses impasses et en dépit des réticences de certains témoins qui, comme ils l’affirment, craignent pour leur vie, ce procès permet de préciser la chronologie des faits.
Une première remarque : la rumeur d’un coup d’Etat circulait bien avant le 15 octobre 1987 sur un fond de désaccords politiques au sein du Conseil national de la Résistance et d’ambitions personnelles. Certains des conjurés présumés avaient d’ailleurs été mis sur écoute par les Services de Renseignement burkinabés, mais Thomas Sankara n’y prêtait pas foi. Il refusait d’admettre que Blaise Campaoré son plus proche compagnon puisse être impliqué. Quelques heures avant son assassinat, son épouse lui avait pourtant téléphoné pour le prévenir : « « Thomas, tu es où ? Sauve toi, ils vont te tuer ». (Audience du mercredi 1er décembre). Il n’avait pas donné suite, persuadé que le conseil des Ministres qui s’était tenu la veille avait désamorcé les conflits.
Bien évidemment, une grande partie des débats tourne autour de la responsabilité personnelle de Blaise Campaoré. Selon le témoignage de Yalba Elysée Iboudo, chauffeur et agent de sécurité de ce dernier (Audience du mardi 26 octobre), le commando qui a éxécuté Thomas Sankara et treize de ses compagnons est parti du domicile de Blaise Campaoré et c’est le responsable de sa Garde rapprochée, Hyacinthe Kafando qui a abattu le Président. « …lorsque les tirs ont commencé, le capitaine Thomas Sankara est sorti de la salle de réunion, les mains en l’air, sans arme, demandant ce qui se passe » (Audience du mercredi 27 octobre). Selon plusieurs témoins, Blaise Campaoré avait, semble-t-il l’intention, non pas de le tuer, mais d’emprisonner Thomas Sankara afin de le contraindre à la démission, mais il aurait décidé d’assumer son exécution. « L’ancien ministre de l’équipement et de la communication, Philippe Ouédraogo […] confie également que Blaise Compaoré a signifié que "vu la situation", Boukary Lingani, Henri Zongo et lui "ont décidé" d’assumer le coup d’État » (Audience du lundi 19 novembre).
Outre l’auteur du coup de feu, un homme parait avoir joué un rôle essentiel, l’ancien lieutenant Gilbert Diendéré, proche des militaires français, devenu Général et Chef d’Etat-major particulier de Blaise Campaoré après le coup d’Etat. Il sera décoré de la Légion d’honneur en 2008 par Sarkozy (ndlr). Un homme redoutable qui, bien que présent dans le box des accusés, continue de susciter la terreur. « La sécurité du président incombait aux éléments dirigés par le général Diendéré. On ne pouvait pas accéder au conseil de l’Entente sans avoir leur code. Si un drame comme celui du 15 octobre 1987 arrive et qu’il n’y a pas eu de rapport pour au moins expliquer les faits, c’est qu’il est le commanditaire. » (Audience du mardi 30 novembre)
Les responsabilités étrangères dans l’élimination du Président, ont affleuré au cours de plusieurs audiences : « En tant qu’ancien ambassadeur, Ismaël Abdoulaye Diallo répond que l’ancien président nigérien Seyni Kountché (Ndlr, président du Niger de 1974 à 1987), un ami personnel à lui, lui aurait confié, lors d’un voyage au Niger, que les présidents du Mali, de la Côte d’Ivoire et du Togo, d’alors, auraient contacté "Paris" pour organiser un "contre coup" à Ouagadougou, donc contre Thomas Sankara."Seyni Kountché a affirmé qu’il aurait personnellement appelé "Paris" pour dire que ce qui se passait au Burkina Faso ne les concerne pas. Il a même prévenu les dénoncer s’ils tentaient quoi que ce fut" (Audience du dimanche 5 décembre). « Le commandant de la gendarmerie à l’époque, Ousseni Compaoré, à la certitude que plusieurs chefs d’État soutenaient le coup de force de Blaise Compaoré, parce que voulant mettre fin à la révolution. […] Houphouet Boigny (proche de la France, ndlr), a dit à Jean Claude Kamboulé (membre de la branche de l’opposition burkinabè en Cote d’ivoire qui voulait mettre fin à la révolution), de ne plus chercher à faire tomber la révolution car il avait trouvé quelqu’un pour le faire, en la personne de Blaise Compaoré ». (Audience du mercredi 29 novembre).
Les manœuvres subversives des Services secrets français ont également été brièvement évoquées, mais le Tribunal n’a pas donné suite à la demande qu’ils soient convoqués, formulée par Maître Olivier Badolo, un des avocats de la partie civile.
L’ensevelissement de nuit, de Thomas Sankara et des autres martyrs, a donné lieu à une scène répugnante, l’un des ouvriers s’emparant de la bague et des chaussures du président – au vu et au su des responsables présents - pour les revendre.
A la date du 20 décembre, le procès continue.
B.D.