Ma France
Ma France métissée. La télévision qui, avec sa propagande, nous met si souvent en colère, nous permet aussi parfois de vivre d’intenses moments d’émotion. Ce fut le cas mardi soir en écoutant le Chant des Partisans qui accompagnait le cercueil de Joséphine Baker dans sa lente montée vers le Panthéon. La France, ma France ouverte sur le monde, accueillante, respectueuse des différences, rendait hommage à l’artiste qui détourna les stéréotypes coloniaux pour les ridiculiser ; la Résistante au nazisme ; la combattante pour les droits civiques et contre le racisme ; la femme audacieuse, provocatrice parfois, en un mot libre ; la maman de la famille arc en ciel.
Du discours du Président de la République, j’ai retenu cette phrase: «l’universalisme, l’unité du genre humain, la défense de tous avant l’identité de chacun. » Pourquoi opposer « universalisme « et « identité ». L’universalisme, ne saurait être, à mon sens, la négation des cultures. L’unité du genre humain se construit en permanence de l’apport des « identités » qui s’enrichissent mutuellement et s’affinent au contact de l’Autre.
L’hommage rendu à Joséphine Baker est mérité, mais il est dommage qu’elle ait été préférée à Gisèle Halimi, la défenseure des patriotes algériens qui luttaient pour l’indépendance de leur pays. Les deux méritent leur place au Panthéon.
Ne pas se laisser abuser par les apparences
Nous vivons une situation mondiale dangereuse dont il est parfois difficile de décrypter les ressorts. Contrairement aux années 50 du siècle dernier, quand l’affrontement Est/Ouest apparaissait comme la conséquence de l’antagonisme entre socialisme et capitalisme, aujourd’hui, depuis l’implosion de l’URSS et sa conversion à l’économie de marché, les repères sont brouillés. La volonté du capitalisme de dominer le monde pourtant demeure. C’est dans sa nature même. Pour maintenir ses profits, il s’efforce d’avoir accès dans les meilleures conditions pour lui, aux sources de matières premières et aux marchés potentiels. Et il est prêt pour cela à s’opposer par tous les moyens aux revendications populaires et abattre les régimes qui peu ou prou s’opposent à sa domination. Cela lui est d’autant plus facile quand ces régimes sont coupés de leur peuple et ne disposent pas d’un soutien populaire leur permettant de résister à ces entreprises de déstabilisation. Il bénéficie d’un autre atout, le recul, à part quelques exceptions, des idéologies progressistes et la récupération et le dévoiement des aspirations populaires par des idéologies rétrogrades dont certaines se réclament abusivement des religions. Le combat contre le « jidahisme », contre le « terrorisme islamique » sert désormais de prétexte aux interventions militaires contre les soulèvements populaires qui malheureusement empruntent cette forme.
C’est au prétexte de ce qui apparait comme une croisade pour la démocratie, qu’ont été détruits les régimes qui régnaient en Afghanistan, en Irak, en Libye dont les territoires, les populations et les ressources sont désormais sous domination occidentale ; qu’une guerre atroce a ravagé la Syrie, cependant sans parvenir jusqu’à maintenant, à l’abattre ; que les entreprises de déstabilisation se multiplient au Liban ; que l’Algérie est dans le collimateur des impérialismes français et US avec l’aide d’Israël et du Maroc ; que perdure la Françafrique et l’opération Barkhane ; que les USA soutiennent la colonisation de la Palestine par Israël et celle du Sahara Occidental par le Maroc.
Le « terrorisme islamique » doit certes être combattu – sans tomber dans la répression antireligieuse - et nous ne devons pas accepter qu’il serve de prétexte à des interventions militaires comme au Sahel où la présence de l’armée française nourrit les rancoeurs et amplifie les ralliements au « jihadisme ». Ni qu’il cache à nos yeux le bienfondé des revendications populaires dont il se fait frauduleusement le porte-parole. C’est en répondant de façon positive à ces revendications que l’on assèchera le terreau sur lequel prolifère le terrorisme. Rien ne doit nous détourner du combat contre le capitalisme mondialisé responsable des malheurs des peuples.
Nous avons-nous Français, à cet égard, une responsabilité particulière, en raison de la perpétuation d’une politique néocolonialiste de l’Etat français au Maghreb et en Afrique subsaharienne ; en raison des interventions militaires extérieures de la France et des atteintes aux libertés en France même sous le prétexte de lutter contre le terrorisme, comme en témoignent notamment le vote de la loi « séparatisme » et les attendus liberticides, dénoncés par la Ligue des Droits de l’Homme, des décrets de dissolution de deux associations : le Collectif contre l'islamophobie en France (CCIF) et la Coordination contre le racisme et l’islamophobie (CRI).
Bernard DESCHAMPS, 2 décembre 2021.