Le covid vaincu par l’alto. Ce n’était pas évident. Les bénévoles de l’association Viv’Alto, leur présidente Marie-Hélène Bénéfice et Pierre-Henri Xuereb, le directeur artistique étaient à juste titre inquiets : la pandémie ne risquait-elle pas de dissuader le public de venir assister aux concerts de cette 9e Fête de l’Alto ? Les ondes musicales (et les mesures barrières) furent les plus fortes qui écartèrent les risques de contamination, et, comme les années précédentes, les mélomanes remplirent les salles tout au long de la semaine, à Lasalle, Les Plantiers, Saint Jean du Gard et le concert de clôture samedi en fin d’après-midi couronna cette réussite.
Les bancs du temple de Lasalle étaient tous occupés quand le violoncelle de Philippe Muller attaqua les premières mesures du Prélude, Suite n°4 de Jean-Sébastien Bach (1720-1723 ?) auquel succéda l’Adagio pour 3 altos (Ruixin Niu, Pierre-Henri Xuereb, Marta) de Ludwig Van Beethoven (1770-1827), empreint de nostalgie, suivi de l’Andante du Quatuor à cordes n° 13 en la mineur (op. 29) « Rosamunde », écrit par Franz Schubert en 1824 , et interprété par de jeunes artistes (Mia, Emilie, Barbara, Antonio) et dont la douceur contraste avec l’âpreté de la Suite de Bach et l’atmosphère de l’Adagio de Beethoven.
Tout au long de cette soirée, nous avons été impressionnés par le talent de ces jeunes filles et de ces jeunes gens qui venaient de participer aux master class dirigées par P.H.X. Telle Marta qui, d’abord stressée lors de l’interprétation du Prélude, Suite solo (1915) de Max Regier, s’épanouira dans la Passacaille passionnée de Johan Auguste Halvorsen (1864-1935), au cours de laquelle j’ai été également bluffé par la limpidité du jeu et la pureté des sons du violon de Lisa âgée de 14 ans seulement. Les 2 Petits Duos de Reinhold Glière (1875-1956) poursuivirent le dialogue entre violon et violoncelle.
Burlesque, opus 9, composé en 1855 par Friedrich Hermann, avec ses ondulations, ses clowns sautillants, ses galops audacieux et ses pizzicati, fut l’occasion d’un fou rire irrépressible de la part d’Emilie, de Mia et de Lisa qui, loin de défigurer l’œuvre, ajouta encore à sa gaîté. Avec Allemande (1726-1730) de Jean-Sébastien Bach, le violoncelle de Julia, sur une belle entame grave, nous permit de retrouver notre sérieux au cours d’une conversation musicale très modulée.
Nous vivrons, avec le quatuor qui interpréta Intermezzo n°1, du compositeur mexicain Manuel Maria Ponce (1882-1948), la naissance du jour, timide d’abord, puis qui s’affirme, tandis que perdurent avec le violoncelle les rêves nocturnes.
J’attendais avec curiosité Kaddisch de Fabien Waksman, adapté pour alto solo par Pierre Henri Xuereb. Les premiers kaddish datent de l’époque de la destruction du Second Temple de Jérusalem par les Romains en 70. Ce sont des prières juives de deuil. Dans le Kaddish de Fabien Waksman, une voix lointaine s’élève comme une plainte qui monte et se transforme en colère puis en révolte, avant de se résigner. Dès les premières notes, la parenté est sensible avec le rythme et la couleur de l’appel du mu'adhdhin dans le rite musulman. Emouvant message de Paix de la part du compositeur !
Enfin, ce fut Modinha (Prélude), un extrait des Bachianas brasileiras, série de neuf suites du compositeur brésilien Hector Villa-Lobos, écrites entre 1930 et 1945. Modinha date de l’année de la Révolution de 1932 au Mexique. 87 jours de combats (du 9 juillet au 4 octobre 1932), qui firent officiellement 934 morts, Des estimations officieuses font état de 2 200 morts. J’ignore si ces évènements ont influencé H.V.L. qui était plutôt proche du pouvoir d’Etat, mais j’imagine mal que l’artiste y ait été insensible.
A chaque écoute de cette oeuvre, j’éprouve une profonde émotion dont les raisons m’échappent et je ne parviens pas à en démêler l’écheveau. Pourquoi suis-je aussi sensible à cette composition d’Hector Villa Lobos ?
Au chant langoureux porté par les cinq altos et le violoncelle, répond une petite musique teintée de tristesse qui, comme un rappel lancinant, viendra en permanence troubler le souvenir d’un passé merveilleux magnifié par les envolées lyriques des cordes. A la douleur et aux regrets succèdera enfin la consolation apportée par la voix grave et raisonnable du violoncelle.
C’est ce Prélude (Modinha) de la Bachianas Brasileiras N°1, interprété par Ruixin Niu, Pierre-Henri Xuereb, Antonello Farulli, Philippe Muller, Marta et Tamara, qui couronna ce concert de clôture longuement applaudi par le public.
Ce fut une belle soirée. Un grand merci aux artistes, professeurs et stagiaires, aux bénévoles de Viv’Alto pour leur engagement. Ils nous ont offert avec cette 9e Fête de l’Alto, des moments d’enchantement partagé, précieux en ces temps troublés par la pandémie et les tragédies qui frappent le monde.
Bernard DESCHAMPS
30 août 2021