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3 août 2021 2 03 /08 /août /2021 07:30

Le Président Macron affirme que c’est la fin de l’Opération Barkhane qui avait pris la suite en 2014 de l’opération Serval engagée en 2013 par François Hollande, et que les soldats français vont être rapatriés. Qu’en est-il réellement ? Y-a-t-il un changement de stratégie de la part de la France et dans quel sens ? Est-ce la fin de l’option militaire ? Que devient l’Accord pour la Paix et la Réconciliation au Mali issu du processus d’Alger de 2015 ?

Les déclarations faites par Macron et les chefs d’Etats du G5 (Burkina-Faso, Mali, Mauritanie, Niger, Tchad)  à l’issue du sommet de Pau le 13 janvier 2020, témoignent de la volonté de poursuivre les opérations militaires, en y impliquant davantage les pays sahéliens et les nations européennes déjà présentes ainsi que les USA. Ce qui a conduit Le Monde diplomatique d’avril  2021 à écrire: « Au Sahel, la France sous-traite sa guerre »

Extraits des déclarations faites à Pau :

Christian KABORÉ, président du sommet : «  Le second point également sur lequel nous nous sommes attardés, c'est la nécessité de renforcer la capacité des armées nationales et de les doter des moyens qui leur permettent d'assurer le type de combat »

Emmanuel MACRON : « Pour atteindre cet objectif nous changeons la méthode en mettant en place une coalition militaire avec un commandement conjoint entre la force Barkhane et la force conjointe du G5 Sahel, en concentrant nos efforts sur cette zone et donc en intégrant nos forces de renseignement, nos forces militaires sur cette zone avec une latitude d'engagement beaucoup plus forte. »(souligné par moi, BD)

Il n’y a donc pas désengagement comme le prétendent les médias aux ordres mais renforcement des opérations militaires. Ce que confirment les déclarations de Macron aux sommets du G7 de Carbis Bay le 13 juin 2021 et celui de l’OTAN le 14 juin à Bruxelles, ainsi qu’un  un article de Jeune Afrique du 22 juin 2021 :

Communiqué conjoint du Sommet de l'OTAN (30 pays) à Bruxelles le 14 juin 2021 : « Nous intensifierons le dialogue et la coopération pratique que nous menons avec les partenaires actuels, y compris avec l'UE, les pays aspirant à l'adhésion et nos partenaires de la région Asie-Pacifique, et nous renforcerons nos interactions avec des acteurs mondiaux clés et avec d'autres nouveaux interlocuteurs au-delà de la zone euro-atlantique, notamment d'Afrique, d'Asie et d'Amérique latine. »

 Cette option militaire est à l’opposé de l’orientation pacifique définie par l’Accord d’Alger signé en 2015 par l’Etat du Mali et plusieurs groupes rebelles touaregs et arabes  du Nord-Mali (Azawad). Cet accord qui faisait droit aux revendications politiques, sociales, économiques, culturelles des populations du Nord-Mali (voir mon livre REVOLUTION, pages 250, 251, 252), n’a jusqu’à ce jour pas été appliqué sauf à la marge. Ce qui a entrainé la radicalisation de ces groupes et l’extension du terrorisme à l’ensemble du Sahel.

Depuis 2015, les médias français (y compris l’Humanité) ont systématiquement ignoré cet accord, sauf pour le critiquer. Le 12 avril 2021, l’hebdomadaire Le Point-Afrique, lui consacrait plusieurs pages, l’accusant d’avoir favorisé « l’insécurité au Sahel » (à lire sur mon blog, 12 avril 2021). Cette affirmation est contredite par les experts de l’ONU, notamment leur Rapport final du 6 août 2019, qui pointent les retards dans l’application de l’accord.

Depuis quelques mois des voix se font entendre avec plus d’insistance pour en réclamer sa mise en application. C’est le cas du Secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres et du Conseil de sécurité. C’est le cas également de la CEDEAO (Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest, 15 membre et bientôt 17), en dépit de ses dissensions avec l’Algérie ; de l’Union Africaine (55 pays d’Afrique) ; de la Ligue des Etats Arabes (22 membres)  qui en 2015 s’étaient déclarés favorables à l’Accord d’Alger, mais la CEDEAO et l’Union Africaine avaient eu depuis une attitude ambigüe.

Pour sa part, le très influent imam malien Mahmoud Dicko  déclarait le 12 février 2021 à France 24 : « Concernant le dialogue avec les leaders jihadistes Amadou Koufa et Iyad Ag-Ghali, le "bon sens oblige à chercher une solution[…] La victoire militaire contre eux étant impossible, il n'est pas acceptable d’installer le pays "dans une guerre infini, car on "met la République en péril".

L’assassinat le 14 avril 2021 à Bamako, de Brahim Ould Sidatt,  un des principaux chefs rebelles signataires de l’Accord d’Alger, témoigne de cette tension nouvelle autour de cet accord.

Comment expliquer cette évolution ? La raison première est l’échec des opérations militaires qui, au-delà de quelques succès limités, n’ont pas enrayé les avancées des groupes rebelles et suscitent de plus en plus de réactions négatives dans les populations. Les deux coups d’Etat militaires intervenus au Mali le 18 août 2020 et le 24 mai 2021 sont à la fois la conséquence de ces échecs et des accélérateurs d’une recherche d’une nouvelle stratégie.

 

Après avoir condamné le 19 août 2020,  le coup d’Etat du 18 août qui a déposé le Président élu Ibrahim Boubakar Keïta (IBK), remplacé par le colonel à la retraite Bah N’Daw, le Conseil de sécurité de l’ONU, a  cependant noté avec satisfaction, le 8 octobre 2020, la présence « pour la première fois » au  gouvernement, de représentants des groupes rebelles signataires de l’Accord d’Alger et estimé que « la transition malienne offre une opportunité pour sortir le pays d’un « cycle infernal ».

Le coup d’Etat du 24 mai 2021 qui a évincé le nouveau Président  M. Bah N’Daw, remplacé par son vice-président, le colonel Assimi Goïta, a par contre, le 26 mai 2021, suscité une vive inquiétude du Secrétaire général de l’ONU et du Conseil de sécurité en raison de la nomination comme Premier ministre de M. Choguel Maïga  connu pour son hostilité à l’Accord d’Alger dans lequel il voit un risque de partition du Mali . Assimi Goïta qui se présente comme un admirateur des dirigeants progressistes Thomas Sankara et Jerry Rawlings, s’est entretenu avec les responsables de la Coordination des  Mouvements de l’Azawad (CMA), le 2 juin 2021 à Kidal au cœur de leur fief. Cet  entretien   et la présence au gouvernement, du colonel Ismaël Wague  qui se dit favorable à l’Accord, ont laissé la porte ouverte à  l’application de celui-ci et laissé le champ libre à ceux qui, comme le Premier ministre Choguel Maïga, préconisent sa « refonte », position en faveur de laquelle argumentait en novembre 2016 une étude des Jeunes de l’IHDEN  (Institut (français) des Hautes Etudes de la Défense Nationale)*et que soutient désormais l’Ambassadeur de France au Mali. Du silence entretenu autour de cet accord depuis 2015, on est donc désormais passé à un bras de fer concernant son contenu.

La Charte pour la Paix et la Réconciliation au Mali issue du processus d’Alger (Accord d’Alger) ouvre-t-elle un boulevard à la partition du Mali comme l’affirment ses adversaires et notamment Choguel Maïga ?

Certes, l’accord (Titre I/Chapitre 2/article 5)  reconnait à la région du Nord-Mali « l’appellation Azawad ». C’est le nom que lui donnent les touaregs, mais ceux-ci ne revendiquent plus son indépendance depuis 2013. L’article 6, chapitre 3, Titre III énonce : « La région est dotée d’une Assemblée régionale élue au suffrage universel direct, bénéficie d’un très large transfert de compétences, de ressources et jouit des pouvoirs juridiques, administratifs et financiers appropriés.» N’est-ce pas le cas en France et dans de nombreux pays, sans que cela remette en cause l’unité nationale ?

De nombreuses références au « Respect de l’unité nationale, de l’intégrité territoriale et de la souveraineté de l’Etat du Mali, ainsi que de sa forme républicaine et de son caractère laïc. » émaillent le texte de l’accord, notamment: le Préambule ; le Titre I/Chapitre 1/Article 1/alinéa a ; le Titre I/ Chapitre 2/Article 5, etc. Le Titre III et l’Annexe 2 affirment sans ambiguïté, l’« Unicité des forces armées et de sécurité du Mali, relevant organiquement et hiérarchiquement  de l’Etat central ». Les anciens combattants rebelles seront incorporés dans l’armée nationale.(Annexe 2)

 L’Accord d’Alger, à mon sens, est clair quant à la volonté des signataires de respecter l’unité du Mali sous l’autorité d’un pouvoir étatique central qui prend en compte la diversité du pays ?

Y-a-t-il un risque de « territorialisation de l’ethnicité », comme le craint André Bourgeot dans un  article de la revue Recherches internationales (N°117, janvier-mars 2021, page 54) ?

La population du nord du Mali est d’origines ethniques diverses : Touaregs, Maures, Kountas, Peuls, etc. qui ont conservé leurs coutumes. Précisément, l’Accord d’Alger prend en compte cette diversité : « réappropriation de l’Histoire à travers une unité nationale respectueuse de la diversité humaine caractéristique de la Nation malienne […] diversité ethnique et culturelle, ainsi que de ses spécificités géographiques et socio-économiques »(Préambule) ; « valoriser la contribution de ses différentes composantes à l’identité du pays »(Titre I, Chapitre 2/Article 5) . Il n’ouvre donc pas le risque de la domination d’une ethnie sur les autres. Les Conseils de Cercles et les Conseils communaux « élus au suffrage universel direct » (Titre II/Chapitre 3/ Article 6) auront auprès d’eux un représentant de l’Etat « aux fins de préserver l’intérêt général » (Titre II/ Chapitre 5/ Article10). Ce qui limite le risque de créations de féodalités ethniques.

Ces déclarations de principe sont accompagnées – c’est peut-être le plus important- de l’énumération détaillée des très nombreuses mesures pratiques à mettre en œuvre, avec un souci louable de précision : des écoles, des garderies, des bibliothèques dans tel ou tel village ; des installations hydrauliques à tel endroit ; la « promotion des cultures des régions », etc.

Quant à l’Assemblée régionale, il dépendra du mode de scrutin et de l’honnêteté des consultations électorales, que toutes les catégories de la  population soient équitablement représentées.

Cet Accord d’Alger a été signé le 15 mai puis le 20 juin 2015 sous la médiation de l’Algérie, alors que Ramtane Lamamra était Ministre algérien des Affaires Etrangères depuis le 11 septembre 2013 après avoir été Commissaire à la Paix et à la Sécurité de l’Union Africaine de 2008 à 2013. C’est un proche du Président Bouteflika, Abdelkader Messahel, qui était  depuis 2014, Ministre algérien des Affaires maghrébines et africaines. Leurs mandats avaient été confirmés par le Président Bouteflika lors du remaniement ministériel du  14 mai 2015, la veille de la signature de l’Accord d’Alger. On peut donc raisonnablement penser que Lamamra et Messahel avaient pris une part active à sa rédaction sur la base des négociations depuis 2013 entre l’Etat malien et les groupes rebelles et que le Président Bouteflika en dépit de son AVC de 2013 n’y était pas étranger.

En cas de « refonte », on peut craindre – c’est le cas entre autres du quotidien algérien Liberté DZ du 8 juin 2021 - que l’orientation favorable à Paix soit édulcorée et que notamment soient remises en causes certaines des clauses politiques, économiques, sociales et culturelles donnant satisfaction aux groupes rebelles. Comment vont se positionner la CEDEAO, l’Union Africaine et la Ligue Arabe ?

Bernard DESCHAMPS

1er août 2021

 

*Les Jeunes de l’IHDEN, Mali, du combat pour l’Azawad au combat tribal.

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