Je suis en complet désaccord avec l’éditorial de notre camarade Guillaume Roubaud-Quashle dans Cause commune de mai-juin 2021.
Selon lui la cause est entendue, l’unité de la gauche est morte et elle n’est même pas souhaitable. C’est « se raconter des histoires » que d’y croire encore, « c’est nager entre le rêve et la nostalgie ». Tout l’éditorial est ensuite construit pour justifier à postériori ce jugement péremptoire.
Quels sont les arguments de Guillaume Roubaud-Quashle ?
Un. Selon lui, « Le peuple de gauche a fondu comme neige au soleil », et il invoque les sondages d’opinion qui créditent la gauche de « 13 à 20% » des intentions de vote. Première confusion : le « peuple de gauche » ne se résume pas à ses intentions de vote à un moment donné. C’est fondamentalement une réalité sociologique. Or, les intérêts de l’immense majorité du peuple de France, exploitée, spoliée, méprisée, sont opposés à ceux des propriétaires des moyens de production et d’échanges. Selon l’INSEE, en 2020, la France sur 66 millions d’habitants, comptait 29,6 millions d’actifs (dont 50% disposaient de moins de 1735€ par mois) et 16,2 millions de retraités (dont les ¾ ont moins de 2000 € retraite).C’est cette réalité objective qu’il convient de prendre en compte.
Deux. L’unité est impossible, nous dit-il, car « dans ce qui reste du « peuple de gauche » […] les divisions sont extrêmement profondes ». Ce constat est exact. Et les partis de gauches ne sont malheureusement pas imperméables à une certaine « fascisation » des idées, comme en témoignent certains dérapages récents. Or, nous dit Roubaud, « Le monde qui nous attend après la pandémie […] ne laissera guère la place à des demi-mesures et des non-choix ». Je suis également d’accord avec cette analyse, mais je ne partage pas la conclusion pratique qu’il en tire : « Tout accord minimaliste mènera dans le mur et risque si surement d’installer, le coup d’après Le Pen au pouvoir. » Mais c’est dès maintenant que le danger Le Pen existe! Le nier, c’est gravement sous-estimer ce danger. Certes, un accord « minimaliste » des partis de gauche pour 2022 ne résoudra pas les graves problèmes économiques, sociaux et politiques que nous connaissons aujourd’hui, mais il est de nature à nous préserver du pire : un régime d’extrême-droite. Ne pas y travailler revient à banaliser l’extrême-droite. Une candidature commune de la gauche en 2022 est-elle en mesure d’être présente au 2e tour ? Au vu des sondages aujourd’hui, c’est Non. Mais l’histoire des sociétés humaines est jalonnée de retournements de situations et parfois il existe des évolutions rapides qui surprennent. Rien n’est jamais joué avant la fin de la partie. Et en tout état de cause, une candidature commune de la gauche pour faire barrage à Le Pen et tenter d’éviter le pas de deux Macron-Le Pen, serait un cri d’alarme salutaire.
Et si la gauche l’emportait ? Est-elle condamnée à pratiquer la politique des puissances d’argent ? Au regard des politiques mises en oeuvre par Mitterrand (après 1983), par Jospin et par Hollande, on peut le craindre. Mais là encore, il n’y a aucune fatalité, cela dépendra du mouvement populaire. Alors chaque chose en son temps : en priorité barrer la route à Le Pen-alliée éventuellement à la droite dite « républicaine » - et lutter pour des politiques progressistes. Les élections législatives auront à cet égard une réelle importance.
Nous sommes fin juillet. L’élection présidentielle aura lieu au plus tôt en avril 2022. Il n’est pas trop tard pour travailler à la désignation d’un candidat commun de la gauche.
Bernard DESCHAMPS
20 juillet 2021