L’Humanité du 25 juin publie une Table ronde sur le thème, Algérie : quelle perspective pour un changement démocratique ? avec la participation de trois universitaires: Mme Tihinan Al Qadi, chercheuse à la London School of Economics ; M. Madjid Bencheikh, ancien doyen de la Faculté de droit d’Alger et ancien président d’Amnesty International Algérie et Mme Louisa Driss Aït Hamadouche de l’université Alger-III.
Peut-on dire avec Mme Tihinan Al Qadi, que « A quelques changements près, c’est le même système politique qui contrôle le pays depuis l’indépendance» ?
Cela revient à nier les réalisations de la période « socialiste » de 1962 à 1978, sous les présidences d’Ahmed Ben Bella et de Houari Boumediene, puis la conversion de l’Algérie à l’économie de marché qui s’accompagna d’une certaine libéralisation politique à partir des années 80.
Le jugement exprimé par Mme Tihinan Al Qadi, très minoritaire dans le hirak à l’origine en 2019, comme j’avais pu le constater, est martelé par un certain nombre d’analystes au mépris de la réalité historique. Je suis surpris qu’il soit repris par une universitaire. Ne mettant pas en doute sa bonne foi, je crois en discerner l’origine dans l’absence d’une analyse de classe de l’évolution de la société algérienne. A aucun moment, en effet, dans la table ronde publiée par l’Huma, il n’est fait état des antagonismes de classes. A la question posée : « quelle perspective pour un changement démocratique ? », l’analyse se limite au niveau institutionnel, sans, à aucun moment, préciser pour quelle politique, économique, sociale, culturelle, au profit de quelle catégorie sociale.
Certes, le niveau institutionnel n’est pas sans intérêt. Un régime démocratique même imparfait est préférable à un régime autoritaire ou dictatorial. Il offre aux classes populaires plus de possibilités de luttes qu’une dictature. Mais l’expérience de l’Algérie est à cet égard éclairante. L’ouverture politique des années 80 (création de partis politiques et de journaux d’obédiences diverses y compris d’opposition, etc), s’est accompagnée au nom de la liberté d’entreprendre, d’une avalanche de privatisations d’entreprises, de chômage et d’une baisse drastique du pouvoir d’achat. Sous la pression populaire, un certain nombre d’acquis de la période socialiste, avaient cependant sous la présidence Bouteflika été maintenus : une partie du secteur nationalisé, l'âge de la retraite, etc. A l’occasion du hirak et du changement de président de la République, les lobbies financiers et industriels ont engagé une intense campagne de propagande visant à remettre en cause ces acquis afin de faire franchir à l’Algérie de nouveaux pas dans le sens du néolibéralisme économique et la soumettre aux normes du FMI et de la Banque mondiale. J’en donne plusieurs exemples dans mon livre REVOLUTION.* La Table ronde de l’Huma n’évoque pas du tout ces questions.
Un sujet, par contre y est largement traité celui de l’unité du hirak, mais lui aussi déconnecté des problèmes de classes. L’unité pour quelle politique, donc avec qui ? Cela n’est pas dit. L’unité avec les anciens chefs du Front Islamique du Salut (FIS) et du GIA qui ont fait tant de mal à l’Algérie ? Une phrase de Mme Tihinan Al Qadi est à cet égard particulièrement inquiétante : « Le poids de la guerre civile est toujours présent. Les fractures idéologiques sont encore clivantes, rendant le coût d’un compromis entre l’opposition dite « démocrate » et « islamiste » plus élevé.» Une partie de l’opposition « démocrate » prône en effet une alliance avec les anciens du FIS au nom de l’unité du hirak. La presse algérienne cite notamment le cas d’un ancien secrétaire général exclu du FFS (Front des Forces Socialistes). Que l’Huma par ailleurs si utile à nos combats relaie – involontairement sans doute – un tel objectif me pose problème.
Les débats contradictoires sont nécessaires et il est bon que l’Humanité y contribue. Mais à condition qu’ils soient réellement contradictoires. Ce qui en l’occurrence n’est pas le cas. C’est dommage.
Bernard DESCHAMPS
30 juin 2021
(Photo : assemblée délibérante (djemaa) de village en Kabylie.
* Dans mon nouvel ouvrage "REVOLUTION"...Le Hirak et Bouteflika, quel bilan ? Précédés d’un état de l’Algérie en novembre 2018 avant le hirak : des rencontres à Alger, au monastère de Tibhirine, à Guelma et à Constantine.…Vous avez la possibilité de passer vos commandes directement à mon adresse:- par e-mail/ bernarddeschamps30@gmail.com - ou par courrier postal à l'adresse suivante :. Bernard Deschamps, 7, rue de Montaury, 30 900 NÎMES (France) Chèques à l'ordre de Bernard Deschamps à l'adresse ci-dessus. 20€+ 4 € de port (sur 8€ de port l’éditeur prend 4 € à sa charge)(Pour les Nîmois : Librairie Diderot, 2, Rue Emile Jamais, 30900 NÎMES)
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