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22 juin 2021 2 22 /06 /juin /2021 08:35

Etude par Bernard Deschamps

(Dernière mise à jour, 23 mai 2021, 8h.)

1518.  

Alger et sa région deviennent une province ottomane. Au XVIIIe siècle, avec la dynastie des Karamanli, la province d’Alger s’émancipe du pouvoir ottoman. L’Algérie devient-elle indépendante ? Voici ce qu’en pense l’universitaire Mme Abla Gheziel (1) :

 « …Alger faisait partie intégrante de l’Empire ottoman, ce dernier avait un droit de regard sur sa politique et imposait ses décisions tant aux choix des gouverneurs qu’à l’implantation des concessions et comptoirs […] La phase des aġas (2) accéléra la dégradation des relations à tous les niveaux […] La phase des deys (1671) (3) marqua le retour à la stabilité. Période caractérisée par une volonté d’indépendance plus affirmée […] Il faut que l’on insiste sur une vérité primordiale ; l’Etat algérien, à l’époque des deys, jouissait d’une liberté d’action dans le domaine politique, il s’est doté d’une armée forte, et avait son propre budget comme celui que possédait n’importe quel Etat puissant de l’époque. Le dey signait les traités au nom de l’Algérie, sans prendre l’avis de la Turquie, déclarait la guerre, utilisait une monnaie propre à l’Algérie. Tous ces aspects montrent l’indépendance de l’Etat algérien ». (Bouhouche.1997 : p.61) » ?

 

1830.

La Turquie gardera une profonde rancune envers la France qui l’a dépossédée, à partir de 1830, de sa tutelle sur l’Algérie, première parcelle de terre arabo-musulmane sortie de la sphère ottomane. Mais elle sera réservée quant à la revendication de l'indépendance du Front de Libération Nationale algérien (FLN) dont elle craignait la contagion sur l’île de Chypre. D’où son comportement contradictoire durant la guerre de libération  de 1954 à 1962 : « La Turquie est le seul membre de l’Alliance Atlantique à avoir livré des armes au FLN, et l’unique pays musulman à avoir voté en faveur de la France aux Nations Unies»(4). Le 17 novembre 1957, des armes arrivent à Tripoli à bord du cargo Ardahan pour être livrées à l’Armée de Libération Nationale algérienne. En novembre 1959, la Turquie récidive et envoie un cargo rempli d’armes à Tunis. On dénombre 4 000 fusils de 7,6 modèles 88, 400 mitrailleuses Hotchkiss et 80 mortiers de 81mm (5). Les relations resteront cependant conflictuelles.

1962.  

A partir de 1962, la Turquie  regardera avec méfiance,  l’orientation  « socialisante » des deux premiers présidents de l’Algérie, Ahmed Ben Bella puis Houari Boumediene, et l’Algérie pour sa part, n’oubliera pas la reconnaissance tardive du GPRA par la Turquie.

Le président Bouteflika élu en 1999, soucieux de désenclaver son pays isolé du Monde depuis l’arrêt du processus électoral en 1992 et la meurtrière décennie noire, va se rapprocher de la Turquie.  Racep Tayyp Erdogan qui devient Premier ministre de la Turquie en 2003, va de son côté travailler au rapprochement avec le monde sunnite (l’Islam algérien est sunnite).  Recep Tayyip Erdogan est reçu à Alger du 2 au 4 février 2005, puis en mai 2006, date à laquelle est conclu un Traité d’Amitié entre l’Algérie et la Turquie et l’implantation d’entreprises turques en Algérie sera vigoureusement encouragée.

La victoire électorale de l’AKP (Frères Musulmans) en Turquie et la présence de ministres islamistes, MSP (ex Hamas)  et Nahda dans les gouvernements algériens: 1999-2000, Benbitour (MSP et Nahda); 2000- 2002, Benflis (MSP); 2003-2008, Ouyahia, (MSP), ont favorisé ce rapprochement. Les investissements turcs se multiplient mais les relations politiques demeurent difficiles. Au début de l’année 2012, une violente polémique opposera  le Premier ministre algérien Ahmed Ouyahia au Premier ministre turc, Recep Tayip Erdogan, à propos du génocide arménien.

Une présence économique turque importante

La Turquie était en 2017, le sixième fournisseur de l’Algérie, son septième client, mais son premier investisseur.

Parmi les pays fournisseurs, la Turquie arrive derrière la Chine (5.974 milliards (mds) de dollars), la France (2.788 mds $), l’Italie (2.363 mds S), l’Allemagne (2.100 mds S) et l’Espagne (2.062 mds S).

Elle devance la Corée du sud (1.300 mds de $), les USA (1.237 mds de $), l’Argentine (1.018 mds de $) et le Brésil (956 millions de $).

Parmi les clients de l’Algérie, la Turquie est devancée par l’Italie, qui est en tête avec 3.868 milliards de dollars ; la France (2.939 mds de $) ; l’Espagne (2.605 mds $) ; les USA (2.391 mds), le Brésil (1.449 mds) et les Pays-Bas (1.371 mds).

Selon les mêmes sources (Centre national de l’informatique et des statistiques (CNIS) des douanes algériennes), sur les 8 premiers mois de 2017, les exportations ont enregistré une augmentation pour atteindre 23,51 milliards de dollars (mds $), contre 19,41 mds $ sur la même période de 2016 (+21,12%). Les importations, ont connu une légère baisse en s'établissant à 30,84 mds $ contre 31,65 mds $ (-2,56%).

La Turquie exporte principalement vers l’Algérie des véhicules de transport, du fer, de l'acier, du textile ainsi que des produits manufacturiers. L'Algérie exporte surtout des combustibles minéraux, du sucre et des produits chimiques. En 2017, le solde extérieur entre l'Algérie et la Turquie était presque à l'équilibre.

1250 entreprises algéro-turques

A la date du 7 janvier 2021, l’ambassadrice de Turquie en Algérie mentionnait (6) la présence de 1250 entreprises turques en Algérie, employant 25 000 salariés. Le média Algérie eco n’en mentionnait en 2018 que 796. Quel que soit le chiffre, c’est une présence importante. La Turquie se classe en tête des investisseurs en Algérie (7). Parmi les investissements récents les plus importants, citons l’usine sidérurgique Tosyali  implantée à Oran en 2013 et le complexe intégré des métiers du textile (Tayal) de Relizane, implanté dans la zone industrielle de Sidi Khettab.  

L'usine de Relizane est le fruit d'un partenariat algéro-turc selon la règle 51-49, conclu entre la société turque "Intertay" (filiale du groupe "Taipa") et les sociétés publiques algériennes "C & H" et "Texalg", ainsi que la Société nationale des tabacs et allumettes (SNTA), qui a abouti à la création de la société mixte "Tayal".

Six ans après son entrée en production, l'usine algéro-turque de sidérurgie Tosyali implantée dans la zone d’activité de Bethioua (Oran), "le plus grand groupe en Afrique" a produit en 2019, près de 4 millions de tonnes de rond à béton et de fil machine. Plus de 131.000 tonnes de rond à béton ont été exportés vers plusieurs pays, dont les Etats unis, le Canada et la Belgique, à partir des ports d'Oran et de Mostaganem. L’objectif est d’accroître le volume des exportations algériennes en sidérurgie vers les pays d’Afrique.(8)

Les groupes turcs suivants sont très présents en Algérie :

Le Groupe KOC dont le siège algérien est à El Hammadia, wilaya de Bordj-Bou-Arreridj: énergie, artisanat, découpage industriel de viande de boucherie,  aliments pour animaux,  commerce de gros animaux et  volailles, etc.

Le Groupe NUROL : travaux publics, bâtiment et hydraulique, commerce, tourisme et gestion hôtelière, industrie de défense et machinerie,   équipement autos, construction d'infrastructures, irrigation et barrages, routes et autoroutes, chemins de fers et systèmes de métro, tunnels, centrales thermiques, établissements industriels "clefs en main", résidences de haut standing, centres commerciaux, hôtels et villages de vacances. C’est le groupe NUROL qui a réalisé le barrage de Douera  à vocation agricole, situé à une trentaine de kilomètres au sud-ouest d'Alger, sur les contreforts nord de la plaine de la Mitidja.  Ce barrage-réservoir de Douera est destiné à satisfaire les besoins des périmètres d'irrigation de la Mitidja et du Sahel. La hauteur de la digue est de 85 m et la longueur de 820 m.

Le Groupe YAPI – MERKEZI dont le siège pour l’Afrique du Nord et de l’Ouest est à Alger, a mis en exploitation 4 projets importants en Algérie durant les dernières années :

Le Centre de Maintenance, Réparation et Remisage de Caroubier (2011). La ligne Ferroviaire Banlieue entre Bir Touta et Zeralda (2016). Le tramway de Sidi Bel Abbes (2017). Le Tramway de Sétif (2018).

De son côté l’Algérie investit en Turquie.  L’Algérie, 9e producteur mondial de gaz naturel est le troisième plus grand fournisseur de la Turquie après la Russie et l’Iran. La compagnie énergétique nationale algérienne SONATRACH a signé un accord pour un investissement pétrochimique d'un milliard de dollars dans la zone franche de Yumurtalik d'Adana avec les importantes sociétés turques Ronesans et Bayegan.

L’usine sera dotée d’une capacité de 450 000 tonnes de propylène par an. Cette usine devrait réduire de 25%, la dépendance de la Turquie vis-à-vis des produits pétrochimiques importés.

Les pourparlers visant à instaurer une zone de libre-échange algéro-turque se sont intensifiés. Ainsi, en janvier 2020 s'est tenu le forum d'affaires Algérie-Turquie à Alger, qui a notamment été l'occasion pour le président Erdogan de souhaiter la signature rapide de cet accord.

La politique extérieure des deux pays

Selon le magazine hebdomadaire Jeune Afrique (9):« Depuis plusieurs années, les Turcs s’emploient à resserrer leurs liens avec Alger, Tunis et Rabat. Une stratégie d’autant plus cruciale que Recep Tayyip Erdogan a engagé son pays sur plusieurs fronts dans la région. Porte d’entrée du marché africain, le Maghreb n’est pas terra incognita pour la Turquie. Diplomatie, commerce, soft power… Le Maroc, et surtout l’Algérie et la Tunisie – jadis ottomanes – font depuis plusieurs années l’objet d’une attention particulière de la part d’Ankara. Ce désir d’instaurer un climat de confiance redouble aujourd’hui, alors que la Turquie défend ardemment ses intérêts et a plus que jamais besoin de soutiens.

C’est le cas en Syrie, où elle s’emploie à garantir sa frontière contre toute présence du PYD (indépendantistes kurdes). C’est aussi le cas en Libye, où elle se démène pour aider le président du Conseil Fayez al-Sarraj, dont la légitimité est reconnue par l’ONU, à triompher de celui qu’elle appelle le « pirate putschiste Haftar ». C’est enfin le cas en Méditerranée orientale, où elle envoie des navires prospecter dans des zones riches en gaz également revendiquées par la Grèce. Face aux critiques de l’UE, qui soutient Athènes, et aux rodomontades de l’Égypte, qui menace d’envoyer des troupes en Libye, Ankara s’efforce de convaincre l’Algérie, la Tunisie et le Maroc de la légitimité de ses actions, à défaut de les faire sortir de leur prudente neutralité. » (9)

La visite à Alger de Recep Erdogan, les 19 et 20 novembre 2014, s’inscrivait dans une trajectoire que le président turc voulait positive. Mais passées les déclarations d’affection, les limites de la coopération politique entre les deux pays réapparaissaient. Turquie et Algérie s’opposaient sur plusieurs dossiers notamment sur la défense du régime de Bachar Al-Assad.

Sur la fin de la présidence d’Abdelatif Bouteflika, les relations entre l’Algérie et la Turquie se sont  détériorés. Le  Général-Major Gaïd Salah qui de fait dirigeait le pays, voyait d’un mauvais œil les accointances  de la fondation turque El Karama, directement liée au parti au pouvoir à Ankara, avec le mouvement Rachad dont le siège est en Suisse et qui a recyclé les anciens dirigeants du FIS (Front Islamique du Salut) responsable des crimes de la décennie noire en Algérie.

Très proche des Émirats Arabes Unis, le patron de l’armée algérienne  avait pris position en leur faveur  dans le conflit qui les oppose au duo Qatar-Turquie. En Libye, l’Algérie ne dénonça pas l’offensive de Khalifa Haftar (soutenu par Abou Dhabi) qui avait lancé son opération contre la capitale Tripoli au lendemain de la démission de Bouteflika.

Le « tropisme » turc du Président Tebboune

Le « tropisme pro-turc « du président algérien (l’expression est du magazine Jeune Afrique) (10) daterait des cinq années passées à la tête du ministère de l’Habitat (2012-2017), où il a eu à gérer l’attribution de marchés à de grands groupes turcs  du BTP par l’entremise de l’homme d’affaires turc Ahmet Demirel.

Après la disparition de Gaïd Salah le 23 décembre 2019, la politique extérieure de l’Algérie va prendre avec le Président Tebboune un nouveau cours. Le 6 janvier 2020, à la faveur d’une visite du ministre turc des Affaires étrangères Mevlüt Cavusoglu à Alger, Abdelmadjid Tebboune affirme que « Tripoli est une ligne rouge à ne pas franchir » — avertissement explicite aux troupes du maréchal Haftar qui réalisent alors une progression importante autour de la capitale libyenne. Une déclaration qui vaudra à l’Algérie une visite historique du président Erdogan accompagné d’une importante délégation d’hommes d’affaires le 27 janvier. Cette visite d’Erdogan est la première effectuée au niveau présidentiel depuis l’élection d’Abdelmadjid Tebboune. Elle a par conséquent une forte signification symbolique. Elle vise à  consolider la coopération économique et politique avec l’Algérie.

 

« Outre une coopération économique puissante, la Turquie souhaite ces derniers temps coopérer avec l’Algérie en termes de politique régionale. La visite du ministre des Affaires étrangères puis du président en moins d’un mois est la preuve de cette forte volonté. Lors de sa visite en Algérie le 6 janvier, le chef de la diplomatie turque Mevlut Cavusoglu a effectué d’importants entretiens. Par ailleurs, la visite officielle du président Erdogan le 26 janvier ainsi que ses entretiens portant sur les développements régionaux et internationaux ainsi que sur les relations économiques, montrent que cette volonté est réciproque. La question libyenne est sans nul doute un des sujets importants pour les deux pays. Ayant des frontières terrestres avec la Libye, l’Algérie est incontestablement affectée par l’instabilité de ce pays. De même, comme la Libye est un pays méditerranéen, la Turquie fait partie des pays qui peuvent être affectés par le chaos qui y règne. C’est pourquoi, la coopération entre la Turquie et l’Algérie qui souhaitent que la Libye retrouve rapidement sa stabilité, contre les démarches destructives de l’Egypte et des Emirats arabes unis qui soutiennent le putschiste Khalifa Haftar, revêt une grande importance pour la stabilité régionale.» (11)

Le Président de la Turquie était-il venu obtenir l’assentiment d’Alger pour l’envoi de militaires turcs et de mercenaires syriens en Libye ? Quoi qu’il en soit, la contre-offensive du gouvernement de Tripoli appuyée par la Turquie ne suscitera pas de commentaire du côté d’El Mouradia. Pas plus que le projet turc d’installer deux bases militaires en Libye ou l’accord militaire conclu entre Ankara et Niamey début août.

« De plus, dans un contexte mondial où de nombreux pays tels que l’Arabie saoudite, l’Egypte ou encore les Emirats arabes unis ont tendance à diviser le monde musulman plutôt que de l’unir, le partenariat turco-algérien donne de l’espoir pour tous les autres pays musulmans qui aspirent à une renaissance de la Oumma.»(12)

Au-delà de l’infléchissement de sa politique extérieure, c’est le régime turc lui-même et son orientation politique générale qui à l’évidence séduisent « l’Algérie nouvelle » du Président Tebboune.

Bernard DESCHAMPS

  1. juin 2021

 

1-Abla GHEZIEL, Doctorante 3 ième année  A.T.E.R à Toulouse II Le Mirail.

2-Dans l'Empire ottoman, commandants des différentes branches des forces militaires.

3-De 1671 à 1689, les deys sont choisis par la taïfa des raïs (armateurs) et de 1689 à 1830 par l'odjaq, la milice des janissaires. Sur les trente deys qui se succèdent de 1671 à 1818, quatorze sont imposés par l'émeute après l'assassinat de leur prédécesseur. En 1711, le dixième dey, Ali Chaouch, refuse d'accueillir l'envoyé de Constantinople et obtient du sultan l'autonomie. La Turquie et la Guerre d’Algérie, un tiers-mondisme Atlantique ?

4-Tancrède Josseran. Publié le 16/08/2012 • modifié le 06/03/2018 • Les clefs du Moyen-Orient. La Turquie et la Guerre d’Algérie, un tiers-mondisme Atlantique ?

5-Source : Algérie Presse Service (APS), 21/09/2017.

6-Citée par Algérie eco le 7 janvier 2021.

7-Les relations Turquie-Algérie en plein essor. Etude  Abdoulaye Bachir Abdoulaye, doctorant de l’université de Bayreuth, 01/02/2020.

8-APS, le  05 Février 2020.

9-Jeune Afrique, Turquie-Maghreb : comment Ankara pousse ses pions, Larissa Samba, 2 septembre 2020.

10- Jeune Afrique, 14 septembre2020.

11- Les relations Turquie - Algérie en plein essor (étude) Etude du chercheur Ibrahim Bachir Abdoulaye (doctorant à l’université de Bayreuth01.02.2020 ~ 03.06.2021.

12-Ibidem. L'oumma, ou ummat, est la communauté des musulmans, indépendamment de leur nationalité, de leurs liens sanguins et des pouvoirs politiques qui les gouvernent. Le terme est synonyme de ummat islamiyya, « la nation islamique ». Wikipédia

(Photo aa.com.tr)

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