Tu étais apparu soudain un matin dans le jardin. Venu d’où ? Tombé du ciel ? Abandonné sans doute. Mais un don du ciel assurément. Si petit, dégingandé sur des pattes trop longues pour son âge ; pas effrayé ; surpris peut-être ; levant ses yeux vers moi. Curieux. J’avais été séduit et décidai le l’adopter. Je l’ai nourri plusieurs mois au biberon.
Il est devenu un grand chat. Félin. Vêtu d’une tunique tigrée. Botté de blanc. La moustache conquérante. Le jardin était son domaine, tantôt perché dans le cerisier à l’affut d’un oiseau imprudent ou endormi, caché dans les herbes au plus profond des massifs de seringas. Faisant des rêves… Car Pitou – nous l’avions appelé Pitou, diminutif de petitou, car dans notre esprit il était demeuré le chaton découvert un matin dans le jardin. Pitou, donc, était un rêveur. Il venait me confier ses rêves, chaque après- midi à l’heure de la sieste, lorsque j’étais allongé sur le fauteuil, venant d’un bond se blottir contre ma poitrine en ronronnant. Parce qu’il en avait décidé ainsi. Il en avait choisi le moment et n’aurait pas accepté que je m’empare de lui. C’était un chat indépendant. Il me racontait la légende de son ancêtre le chat d'Abou Hurairah qui avait sauvé Mahomet d'un serpent. Quand il levait les yeux vers moi, des lueurs d’humanité souvent les traversaient, me disant « Je t’aime ». Je craquais. Pour bien montrer à tous qu’il était chez lui, il se juchait dans les endroits les plus invraisemblables, au milieu des objets précieux qui jamais n’en souffrirent. Pendant les vacances, il s’était d’emblée habitué à notre petite maison des Horts dans les Cévennes, partant des journées entières dans la montagne mais revenant le soir, montant la garde couché sur le rebord de la fenêtre ouverte de la cuisine.
Les années passant, il tomba malade et supporta stoïquement les soins que nous lui prodiguions. Mais nous sentions combien il souffrait. Un jour il disparut et nous n’avons jamais trouvé l’endroit où il était allé se cacher pour mourir. Jusqu’au bout indépendant.
J’ai retrouvé ce soir cette photo sur laquelle, devant la citrouille d'Hallowen, il a l'air de nous narguer. Et j’ai éprouvé un gros coup de cafard. C’est bête, non ?
Bernard DESCHAMPS
28 mai 2021