Malika Rahal propose le portrait d’Ali Boumendjel, l’une des figures importantes de l’histoire contemporaine algérienne. Basé sur une méthode à la fois historique et biographique, le livre restitue un moment crucial de l’histoire de l’Algérie contemporaine, celui de la période charnière de la guerre de libération nationale. L’analyse des faits ne se focalise cependant pas sur le personnage d’Ali Boumendjel, mais tente également de décrire les contextes historique, sociologique, politique et intellectuel dans lesquels cet acteur social a émergé puis évolué pour devenir une figure politique et intellectuelle majeure dans le mouvement nationaliste pour l’indépendance de l’Algérie. Ce faisant, le livre propose une lecture historique très minutieuse d’une Algérie colonisée et rebelle.[…]
Sa démarche, explicitée et analysée dans la première partie de l’ouvrage, constitue une approche « individualiste » de l’histoire contemporaine de l’Algérie pertinente et novatrice.[…]
Dans une seconde partie, l’ouvrage évoque l’environnement familial d’Ali Boumendjel et son itinéraire de formation. Issu d’une famille paysanne originaire du village Taourit Menguellat en Kabylie, petit-fils de paysan, Ali Boumendjel est le fils de l’un des premiers instituteurs kabyles installés dans l’Oranie, à Relizane, où il est venu au monde en 1919. La famille Boumendjel a ainsi connu une mobilité sociale et géographique importante, passant de la famille paysanne en Kabylie à la famille d’instituteurs loin de la Kabylie. Cette « rupture » est fondatrice d’un environnement culturel et d’acculturation dans lequel Ali Boumendjel va évoluer et être socialisé. Par ailleurs, la profession du père va constituer un héritage culturel familial qui sera transmis tant aux filles (à l’exception de la soeur aînée), toutes devenues institutrices et ayant épousé des instituteurs, qu’aux garçons de la famille, Ali et son frère Ahmed ayant été également instituteurs au début de leurs carrières. C’est ce qui fait de cette famille, « une famille homogène ».
Ali, comme son frère Ahmed avant lui, poursuit ensuite des études en droit à la faculté d’Alger et devient un avocat spécialisé dans le droit musulman. Il épouse Malika Amrane, originaire d’une famille également kabyle et devient père de trois garçons et d’une fille.
C’est l’itinéraire de « l’avocat de la république algérienne » engagé qui est évoqué dans la troisième partie de l’ouvrage. Ali Boumendjel a vécu dans un milieu très politisé, caractérisé par l’activisme des étudiants et des associations. Son frère Ahmed était déjà l’avocat de Messali Hadj, leader du Parti du Peuple Algérien (PPA). Ali Boumendjel est lui-même un acteur politique engagé activement, depuis son jeune âge, dans l’action militante. Entre 1944 et 1945, il adhère à l’association AML (Amis du Manifeste et de la Liberté), fondée en 1944, et au sein de laquelle la contribution de la famille Boumendjel a été conséquente. Il quitte cette organisation après les événements de mai 1945 qui entraînent la dissolution de celle-ci. Il s’engage ensuite dans la formation politique initiée et pilotée par Ferhat Abbas, l’UDMA (Union démocratique du Manifeste Algérien), créée en 1946 dans un contexte caractérisé par une recomposition du champ politique national et par l’ouverture électorale. Dans cette formation, Ali Boumendjel représente non seulement la jeune génération (contrairement à son frère Ahmed, de onze ans son aîné, qui représente l’ancienne génération), mais aussi la tendance de gauche. Il est responsable, dans un premier temps, de la section de Blida, puis de celle d’Alger.
Son militantisme s’est également exprimé à travers son engagement dans la presse. C’est ainsi qu’Ali Boumendjel s’est investi d’abord dans le journal Égalité (organe de l’AML) dont il représente l’une des plumes importantes ; ensuite dans le journal La République algérienne (organe de l’UDMA) en tant que responsable et principal contributeur. M. Rahal souligne que l’engagement d’Ali Boumendjel dans la presse exprime sa volonté de participer à une réécriture de l’histoire de l’Algérie.
La guerre de libération nationale constitue bien sûr une étape importante dans le parcours militant d’Ali Boumendjel. Dans cette phase décisive et charnière de l’histoire politique de l’Algérie, Ali Boumendjel s’est fait l’avocat de la révolution, entre 1954 et 1957, en défendant les victimes de la guerre auprès de la cour d’appel d’Alger. Il a participé par ailleurs à la révolution à travers ses activités internationales, notamment lors du Conseil national de la paix qui s’est tenu à Stockholm en 1956. Pendant la guerre, Ali Boumendjel occupe une position stratégique ; il est l’un des conseillers politiques de Abbane Remdane, figure politique centrale du FLN, notamment après sa prise en main d’Alger. Enfin, si Malika Rahal demeure prudente quant à l’engagement d’Ali Boumendjel au FLN (Front de Libération Nationale), en raison de la confusion des informations qu’elle a pu recueillir à ce sujet, la donnée principale est celle qui s’accorde au ralliement de Ferhat Abbas au FLN.
La répression qui s’abat sur la capitale algérienne lors la bataille d’Alger (janvier 1957) touche de plein fouet les familles Boumendjel et Amrane. Ali Boumendjel est arrêté le 9 février 1957 et maintenu en détention pendant 43 jours dans les locaux des militaires français, jusqu’à son assassinat le 23 mars 1957.
Dans une quatrième partie, M. Rahal s’attarde, à travers une approche historiographique et biographique très rigoureuse, sur ce que l’auteur appelle « l’affaire Boumendjel ». Les circonstances de sa mort (suicide ou assassinat ?) constituent en effet, comme pour des milliers d’Algériens, un « objet de débat ». À travers sa démarche historique, M. Rahal en arrive à démentir la thèse du suicide prônée et développée par le discours des autorités françaises de l’époque et par la presse métropolitaine. Elle met plutôt en lumière la perspective de la « liquidation » ou de « l’assassinat » dans un immeuble à El Biar, après de nombreux jours de torture. L’enquête sur les circonstances de la mort d’Ali Boumendjel a amené l’auteur à confronter de nombreux écrits, faisant la part des choses entre de nombreux avis et thèses divergents, émanant tant des historiens que de la presse. À travers une démarche qui vise à « dépasser la seule dimension politique au profit d’une vision plus large de sa vie », l’auteur extrait la mort d’Ali Boumendjel d’un mystère que l’historienne est parvenue à démystifier avec un œil vigilant. Une affaire d’homme et d’Histoire qui va intéresser les peuples de deux rives de la Méditerranée, en Algérie et en France. »
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Pour citer cet article (Référence électronique) Azzedine Kinzi, « Rahal Malika, Ali Boumendjel (1919-1957) : Une affaire française, une histoire algérienne, Les Belles Lettres, Paris, 2010, 295 p. », Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée [En ligne], 131 | juin 2012, mis en ligne le 21 novembre 2011, consulté le 04 mars 2021. URL : http://journals.openedition.org/remmm/7273
(Tableau: Les artistes face à la guerre d'Algérie)