HIRAK EN ALGERIE, l’invention d’un soulèvement (Omar Benderra, François Gèze, Rafik Lebdjaoui, Salima Mellah (direction), La Fabrique éditions, 2020) retrace le déroulement du hirak de 2019 (1), son humour, sa créativité, son caractère pacifique, mais pas que. L’essentiel de l’ouvrage constitue un véritable réquisitoire contre les dirigeants de l’Algérie depuis l'indépendance.
« L’insurrection du hirak n’est pas tombée du ciel ». Les causes, nous disent les auteurs, en sont: « Un régime opaque et corrompu […] La banqueroute au bout de la dictature».» « Peu nombreux, à travers le monde, sont les pays où la corruption a atteint un tel niveau. » (P. 171)
MInimisant les réalisations remarquables de la période postindépendance, jusqu'à la mort de Houari Boumediene, ils font remonter l'origine de ces déviations à 1962 : « De fait, la corruption au sommet de l’État et de ses appareils est aussi vieille que le régime militaro-policier installé par le colonel Houari Boumediene au lendemain du coup d’État du 19 juin 1965, même si l’évolution a été très progressive.[…] la bureaucratisation de l’économie placée sous tutelle administrative au nom du « socialisme spécifique » et du développement national est la matrice de toutes les déviations ultérieures. (P. 60) « Depuis l’indépendance en 1962, il a en effet dirigé de plus en plus selon une logique qui ne vise à construire ni un État ni une économie durable, mais qui obéit à un double impératif : édifier une (fragile) économie de rente au bénéfice de la nomenklatura et de ses réseaux clientélistes et neutraliser, fragmenter et isoler un peuple qu’il méprise.(P.29)
Dans la logique de cette analyse, l’ouvrage bien évidemment glorifie la conversion de l’Algérie à l’économie de marché mise en œuvre après le décès du Président Boumediene par le Premier ministre Mouloud Hamrouche notamment, sous la présidence de Chadli Bendjedid. Mais les « réformes » amorcées par celui-ci auraient été contrecarrées par la hiérarchie « militaro-policière ».
Plusieurs contributions détaillent les mécanismes de la corruption: surfacturations, clientélisme, dessous- de-table. Elles mettent particulièrement l'accent sur le décret présidentiel n° 02-250 du 24 juillet 2002 portant réglementation des marchés publlcs, pris par Abdelaziz Bouteflika qui légalise la pratique du gré à gré (2) en confiant au sommet de l’Etat le choix des entreprises qui en bénéficieront. La responsabilité du mode de production capitaliste dont le moteur est la recherche du profit, est évacuée par les auteurs de l’ouvrage qui mettent ces pratiques délictuelles au compte de comportements individuels. En particulier d’Abdelaziz Bouteflika et des généraux qui l’ont fait accéder à la présidence.
Selon eux, au mépris de la réalité, ce sont ces mêmes généraux et non le Front Islamique du Salut et le GIA, qui furent responsables du bain de sang de la décennie noire des années 1990. C’est la thèse que soutient le site de l’association Algeria Watch commanditaire de cet ouvrage et qui fut à l’époque propagée en France par le quotidien Libération (Qui tue qui ?) auquel était alors attachée une des auteures de l’ouvrage, la journaliste Josée Garçon.
« Entre 1992 et le début des années 2000, l’Algérie a connu une guerre contre les civils qui a causé environ 200 000 morts, près de 20 000 disparus, des centaines de milliers de déplacés, des dizaines de milliers de torturés et de déportés. S’il est indéniable qu’une partie de ces violences a été le fait de groupes armés se réclamant de l’islam, les principaux responsables ont été les forces spéciales de l’armée, les services de renseignements, les milices, les escadrons de la mort ou les faux groupes armés.» P. 13)
Les expressions «la sale guerre des années 1990», « guerre contre les civils », « terrorisme d’Etat », « officiers criminels », reviennent à de multiples reprises comme un leitmotiv tout au long de l’ouvrage. Ce serait, écrivent les auteurs, une des causes majeures du mouvement populaire déclenché en 2019.
On peut s’interroger: pourquoi cette thèse qui n’était plus défendue que par les anciens terroristes du FIS et du GIA, est-elle aujourd’hui réactivée? Cela témoigne-t-il uniquement d’une incapacité des auteurs à se remettre en cause, ou s’agit-il d’une des multiples opérations en cours visant à orienter le hirak alors que celui-ci s’interroge sur son avenir ? On ne peut être en effet que frappé par sa concomitance avec les manœuvres des anciens terroristes du FIS et du GIA regroupés au sein de Rachad, auquel certains transfuges de la « gauche » algérienne prêtent la main.
Bernard DESCHAMPS
31 mars 2021
1- Lire comment j'ai vécu le hirak à Alger en 2019 dans mon livre REVOLUTION ( pages 29 à 163). Vous avez la possibilité de passer vos commandes directement à mon adresse:- par e-mail/ bernarddeschamps30@gmail.com - ou par courrier postal à l'adresse suivante/ Bernard Deschamps, 7, rue de Montaury, 30 900 NÎMES (France) Chèques à l'ordre de Bernard Deschamps à l'adresse ci-dessus. 20€+ 4 € de port (sur 8€ de port l’éditeur prend 4 € à sa charge) (Pour les Nîmois : Librairie Diderot, 2, Rue Emile Jamais, 30900 NÎMES).
2- Le Code français des marchés prévoit une clause identique pour les marchés d’intérêt général dont le montant toutefois est plafonné. Ce plafonnement est malheureusement souvent contourné en segmentant les marchés en plusieurs tranches.