A la lecture de Naissance du communisme gardois, 1914-1926, par Raymond Huard, préfacé par Vincent Bouget, secrétaire départemental du PCF, j’éprouve un profond sentiment de gratitude pour ces militants qui firent en 1920 le choix d’adhérer à la IIIe Internationale et de créer le Parti communiste Français.
Je suis d’autant plus sensible au récit de Raymond Huard que j’ai connu plusieurs de ces militants dont certains avaient à peu près l’âge que j’ai aujourd’hui : Fernand Corbier l’emblématique dirigeant des mineurs CGT des Cévennes, Maire de La Vernarède, qui sera membre du cabinet de Marcel Paul le ministre communiste de la Production industrielle à la Libération; Isidore Michel également mineur et syndicaliste CGT alors Maire de Le Martinet la première commune communiste de France; Jules Monleau modeste et efficace agent de liaison dans la Résistance, instituteur à Fourques dans le canton de Beaucaire dont je fus le Conseiller général pendant 19 ans ; Charles Plantier, petit propriétaire terrien, Maire de Canaules dont l’éloquence et l’érudition me subjuguaient ; Louis Roddes d’AIgues-Mortes où j’ai exercé pendant dix ans comme instituteur. Louis Molinier (le père de Jean Molinier) qui fut secrétaire départemental (on disait fédéral) du parti dans le Gard…
Au Congrès de Tours du Parti Socialiste en décembre 1920, la question posée était celle de l’adhésion ou non à l’Internationale communiste (la IIIe) donc de l’acceptation des 21 conditions imposées par les bolcheviques russes.
Avec le recul, connaissant ce que l’on sait aujourd’hui de l’Union Soviétique, ce choix peut paraître singulier, voire comme une erreur. Et pourtant. Rappelons-nous ce qu’était la situation en 1920. La Première guerre mondiale, dont la France et l’Europe étaient sorties depuis deux ans à peine, avait fait dix millions de morts civils et militaires et vingt millions de blessés. Tous les villages de France en demeurent marqués dont les Monuments aux Morts en portent témoignage. Non seulement les partis socialistes avaient été dans l’incapacité d’éviter cette hécatombe, mais dans certains pays comme la France, leurs parlementaires avaient voté en faveur des crédits de guerre demandés par les bourgeoisies au pouvoir. Il fallait rompre avec ces pratiques de collaboration de classes à l’exemple des révolutionnaires russes, les Bolcheviques qui venaient en 1917 d’accéder au pouvoir sous la direction de Lénine. Ils devenaient le phare et le modèle du changement fondamental qu’appelaient nos sociétés. Certes les 21 conditions témoignaient de conceptions autoritaires et ne tenaient pas compte des spécificités nationales. Ainsi la 12e condition : « Les partis adhérents à la 3e Internationale devront être édifiés sur le principe de la centralisation démocratique, ils auront une discipline de fer confinant à la discipline militaire. », ou encore la 3e, reflet d’une autre époque : « Création dans tous les pays d’un organisme clandestin parallèle à l’organisation légale du parti.» Mais elles permettaient d’engager une rupture radicale avec les pratiques de la social-démocratie et certaines d’entre-elles comme la 8e permirent au jeune parti d’être fidèle à son idéal internationaliste : « Lutte contre l’impérialisme colonial et soutien actif aux mouvements d’émancipation. »
Par-delà les erreurs et les fautes (et les crimes) du PCb. et de l’Union Soviétique – souvent imputables d’ailleurs aux conditions historiques de la Révolution d’Octobre - je suis reconnaissant aux camarades de cette époque d’avoir fait ce choix et d’être à l’origine d’un parti qui a marqué profondément la France au cours du XXe siècles. Ce fut un choix difficile et il serait injuste de leur reprocher les hésitations, les erreurs, les allers et retours. Je sais gré à Raymond, en historien conséquent, de ne pas porter, contrairement à d’autres, de jugements de valeur sur ces camarades qui ont permis à notre parti d’apprendre à marcher.
Dans le Gard, l’adhésion à la IIIe Internationale fut votée par 50,8% des 2583 adhérents du parti. 8,3% votèrent contre et 40,9% se portèrent sur la motion Longuet.
Le titre de l’ouvrage n’est pas anodin : Naissance du communisme gardois…Il y a en effet un « communisme gardois » avec ses spécificités. Cela m’a particulièrement frappé lorsque, venant des Deux-Sèvres, je suis arrivé dans le Gard en janvier 1956. Le poids décisif des ouvriers et notamment des mineurs des Cévennes dans les directions du parti et le rôle important des petits exploitants agricoles. Les références constantes aux traditions de luttes des Camisards pour la liberté de conscience. Un état d’esprit rebelle hérité lui aussi des Camisards qui fait des communistes gardois pourtant légitimistes, des adhérents parfois indisciplinés (J’ai plusieurs épisodes en tête que j’évoquerai en d’autres occasions). Un sens aigu de la solidarité internationale qui se manifesta contre l’occupation de la Ruhr en 1923, contre la guerre du Rif en 1925 et en faveur de Sacco et Vanzetti, que l’on retrouvera contre les guerres coloniales dans les années 50/60. Un ancrage municipal important…
Raymond Huard met l’accent sur la filiation entre l’ancien parti socialiste influent dans le Gard et le jeune parti communiste qui à l’origine se faisait appeler Parti socialiste-communiste. Le PCF en effet ne fut pas créé ex-nihilo, mais greffé sur le parti socialiste en continuité et en rupture avec celui-ci. C’est sans doute, avec la composition sociologique du département, une des raisons de son ancrage qui persiste à notre époque en dépit de tous les bouleversements.
Bernard DESCHAMPS
23 décembre 2020